A l’occasion de l’attaque de Gaza par l’armée israélienne, la confusion a encore été entretenue entre dénonciation du sionisme et antisémitisme. Si l’on ne peut nier que des propos et pancartes antisémites ont flétri les cortèges, ils ont été plus que montés en épingle. Jouant du sinistre souvenir du génocide, certains média et penseurs/ses auto-proclamés assimilent toute critique de l’État d’Israël et du sionisme à des délires négationnistes ou antisémites. Par là même, ils/elles ne font qu’amplifier le prétendu conflit de civilisation qui les fait vivre médiatiquement. Mais au fond, qu’est-ce que le sionisme ?
Qu’est-ce que le sionisme ?
Le mouvement sioniste prône l’existence d’un État juif. Il nait en Europe à la fin du XIXème siècle comme une réponse aux pogroms de l’Europe de l’est, aux persécutions et au passage à l’ouest de l’antijudaïsme à l’antisémitisme [1]. Le sionisme, comme la plupart des nationalismes, est lié à un état de persécution d’un peuple. Le génocide nazi lui donne une réalité encore plus douloureuse, une valeur d’exemple. Si aujourd’hui l’État sioniste est présenté comme devant nécessairement être implanté en Palestine, cela n’a pas toujours été le cas. Ainsi, à la fin du XIXème siècle, certains réfléchissent à l’installation de cet État juif à Madagascar, en Argentine, en Ouganda, etc. Theodor Herzl (1860-1904), fédérateur du mouvement sioniste, a d’abord défini en 1896 les trois principes fondamentaux du sionisme (existence d’un peuple juif, impossibilité de son assimilation par d’autres peuples, d’où la nécessité d’un État juif). Ce n’est que l’année suivante qu’un quatrième principe est ajouté, celui du « droit au retour » des Juifs/ves en Palestine. Encore convient-il de préciser que ce quatrième principe n’a pas signifié que l’État juif devait obligatoirement être situé en Palestine.
Pour autant, le sionisme n’a pas été la seule réponse aux persécutions antisémites. Nombre de personnes considérées comme juives ont fait le choix d’un militantisme dans des organisations non juives, d’autres se sont repliées sur les valeurs religieuses traditionnelles, d’autres encore se sont battues pour un État ou une zone d’autonomie juive au Yiddish Land en Europe orientale où les populations juives étaient les plus nombreuses. Le Bund, organisation marxiste, est le plus connu des partis de cette tendance. Il participe à l’émergence de structures d’autodéfense juives face aux pogroms qui étaient encore actives lors de la résistance aux nazis dans le ghetto de Varsovie. Aujourd’hui pourtant, le sionisme, particulièrement depuis que nombre de religieux se sont ralliés à lui, est présenté comme la seule expression d’un mouvement juif.
Le retour vers « la terre promise », la « terre des ancêtres » est un leitmotiv lancinant du sionisme y compris dans une version laïcisée. Tout partirait de ce que le peuple juif aurait été dispersé dans tout le bassin méditerranéen lors de la diaspora. Outre que nombre d’archéologues israéliens ont montré que les histoires de la Bible ne sont pas paroles d’évangiles et que l’identité ethnique juive est plus que douteuse, l’historien Shlomo Sand, dans Comment le peuple juif fut inventé, démonte le mythe. La très grande dispersion des Juifs à travers l’Europe serait le fait du grand succès du judaïsme à l’époque et de son caractère prosélyte. De nombreux sujets de l’Empire romain s’y seraient alors convertis. Si selon l’histoire officielle, les Juifs/ves d’aujourd’hui sont les descendantEs du peuple de Judée, Sand explique que les principaux descendantEs de ce peuple de Judée sont… les PalestinienNEs. Dès lors, la dimension ethnique de la judéité n’a pas de sens. Le judaïsme n’est qu’affaire de culture et de religion. Israël en tant que “l’État du peuple juif” est donc fondé sur des fariboles ethniques et religieuses.
De la colonisation à l’Etat
L’immigration juive en Palestine (Aliyah) débute vers 1880 et s’accélère après la déclaration Balfour de 1917 qui prépare la reconnaissance d’un “foyer national juif” en Palestine sous mandat anglais (1918-1948). Précisons qu’au même moment, les mêmes négociateurs anglais promettaient aux Arabes, jusqu’alors sous tutelle turque, un État arabe. De 1918 à 1948, la population juive de Palestine passe de 80.000 à 650.000. C’est la grande période des achats de terres et de l’expérimentation socialisante dans les Kibboutzim. Après la guerre et le génocide, l’Aliyah reprend, la puissance coloniale anglaise est dépassée par les évènements et les pays occidentaux, vaguement honteux face à la Shoah, ne sont pas mécontents de se soulager en “exportant le problème juif”. En 1947, la première guerre israélo-arabe commence et l’État d’Israël est proclamé en 1948. A la fois par souci de protection et intimement persuadés d’être les “légitimes” propriétaires de la terre d’Abraham, les sionistes victorieux pouvaient éjecter les squatters arabes (soit directement par la violence, soit indirectement en laissant circuler les pires rumeurs). A partir de 1967, les territoires palestiniens ont encore été grignotés par les colonies. Au gré des guerres israélo-arabes, dans un contexte de guerre froide puis de lutte contre “l’empire du mal” terroristo-musulman, l’État sioniste devient la tête de pont du bloc occidental au Proche Orient ce qui ne fait qu’aggraver les antagonismes.
Le mouvement sioniste est et a été multiple : populaire et bourgeois, de droite ou de gauche, et même libertaire. Il a incarné une certaine forme de progressisme que l’on retrouve par exemple dans La Tour d’Ezra (1946) de Koestler sur l’expérience de la communauté socialisante du Kibboutz. Aujourd’hui, l’un des arguments les plus fréquemment utilisés par les sionistes et leurs soutiens est qu’Israël est la seule démocratie du Proche Orient. Pourtant, à l’intérieur même de l’espace israélien, les Arabes sont des citoyenNEs de seconde zone voués à la suspicion permanente. Le poids électoral croissant de l’extrême droite sioniste risque de renforcer cette dérive. Israel Beytenou a obtenu 12% des voix aux dernières élections devenant la troisième force politique du pays et son leader, Liberman, considère les Arabes israélienNEs comme des ennemiEs de l’intérieur et propose d’expulser celles et ceux qui ne prêteraient pas serment d’obéissance au système qui les opprime. Enfin, les barrières de classes et d’origine n’ont pas été abolies au sein de la société sioniste. Ainsi, parmi les populations juives, on note que les descendantEs des Ashkénazes venus d’Europe sont largement favorisés par rapport aux Séfarades [2] issus du monde arabe, sans parler de celles et ceux venus de la Corne de l’Afrique.
Contre tous les nationalismes
A ce stade nous pouvons déjà répondre à la question initiale, peut-on encore lutter contre le sionisme ? La réponse est évidemment oui. Luttant contre tous les nationalismes, le sionisme ne peut faire exception à la règle. C’est d’autant plus nécessaire que cette idéologie est utilisée pour oppresser les populations palestiniennes. Encore convient-il de préciser, en laissant de côté la question de l’État, que tou-te-s celles et ceux qui y résident, juifs ou arabes, ont la même légitimité à rester en Palestine. Ce positionnement n’est cependant pas aussi aisé qu’il pourrait le paraître. En premier lieu parce que l’antisionisme est devenu pour certains un paravent pratique pour de réels délires antisémites. D’autre part, parce que les organisations sionistes mettent le paquet en terme de propagande, en tentant systématiquement d’assimiler les critiques contre l’État israélien à de l’antisémitisme. Depuis la guerre du Liban, le Mossad (services secrets israéliens) a ainsi créé un service de cyber-lutte – appelé GIYUS [3] - offrant plus de 100.000 logiciels pour permettre aux “supporters” d’Israël de le défendre sur le net selon la méthode précédemment décrite. Résultat : la crainte d’être associé à un courant antisémite et la participation de structures et d’individuEs douteux à la lutte pro-palestinienne découragent bon nombre de militantEs. Nous refusons quant à nous de rester prisonnierEs du cadre étroit du pseudo conflit de civilisation et des entreprises de désinformation. Il n’est pas question de laisser prospérer aucun nationalisme ni aucune oppression.
Et c’est au sein même de la population israélienne que le sionisme doit être combattu, car il imprègne tout. Les raisons en sont multiples : mémoire du génocide renforcée par les pogroms qui ont pu durer jusqu’aux années 1960-1970 en Europe orientale, sentiment d’encerclement au milieu de populations voisines hostiles, éducation, médias, classe politique unanimement sioniste... L’armée jouant un rôle majeur puisque touTEs les IsraélienNEs, à l’exception notable des PalestinienNEs de 1948, sont enrôlés deux ou trois ans pour le service militaire, puis doivent servir un mois par an en tant que réservistes. Affectées aux zones frontalières, ces recrues exécutent des ordres ignobles - dictés par leur hiérarchie militaires qui trouve dans le sionisme sa principale raison d’exister - et sont en retour très exposées à la révolte palestinienne. Dès lors, il n’est pas surprenant en période de guerre de voir les familles encourager les méthodes les plus dures et les plus inhumaines (bombardement aérien notamment), qui sont également les moins dangereuses pour leurs enfants-bidasses. Dans ces conditions la lutte des IsraélienNEs pour la paix, les luttes conjointes de PalestinienNEs et d’IsraélienNEs contre la colonisation et le mur de séparation (et nomment l’action des Anarchistes contre le mur), le mouvement des Refuzniks (appeléEs ou anciens soldatEs qui refusent de servir l’armée, tout du moins en territoires occupés), même si elles restent ultra-minoritaires et pas toutes dirigées contre le sionisme, sont encourageantes.