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Venezuela : hausse de la répression contre les manifestations

mercredi 14 mars 2007


Traduction de l’article "Aumenta la represión contra las protestas populares" paru dans le n°49 (février-mars 2007) d’El Libertario.

L’original est lisible ici

Entre le 1er juillet et le 30 novembre 2006, 36 manifestations ont été réprimées, interdites ou perturbées par les organes de sécurité de l’Etat, soit beaucoup plus que les 18 cas signalés dans le rapport de l’ONG Provea pour toute l’année 2005 (www/derechos.org.ve). Cette étude montre une augmentation des cas d’atteinte à l’intégrité physique, et dénonce au moins 71 blessures par balles, plombs, gaz, coups, et autres mauvais traitements, à comparer avec les 49 cas recensés en 2005. Les cas de violation de liberté ont augmenté de 60% avec 130 détentions arbitraires contre 81 pour les 12 mois de 2005. Dans 55% des cas, la répression était le fait de la police régionale, alors que les 45% restants sont le fait de la Garde Nationale. Seuls 6 cas (23% du total) ont eu lieu à Caracas.

Le dernier rapport annuel de Provea sur la situation des droits humains au Venezuela estime qu’entre octobre 2005 et septembre 2006, 58 manifestations ont été réprimées dans le pays. Si l’on y ajoute les 16 manifestations violemment dispersées en octobre et novembre, ce nombre atteint 74 cas cas. Deux étudiants, Jose Gonzalez (Cumana) et Dave Parker (Trujillo) sont morts cette année suite aux actions répressives de la police. Ces chiffres contrastent avec les déclarations officielles affirmant que la répression des manifestations appartient au passé. "Ce n’est pas un gouvernement qui piétine, assassine, torture ou réprime quiconque. Cela arrivait sous la Ivè République, le gouvernement du Président Chavez n’a pas les mains salies de sang vénézuélien", déclarait le vice-président Jose Vicente Rangel le 11 décembre dernier à propos des données publiées par les ONG.

Cette tendance démontre une radicalisation lente, progressive et spontanée des protestations populaires, particulièrement celles relatives au droit au logement et aux services publics, et dans une moindre mesure celles concernant les droits des travailleurs. Cette évolution se déroule dans un contexte et a des caractéristiques qui la distinguent d’autres éléments sur le continent : tout rapprochement avec cette réalité qui ne serait ni propagande ni mystification doit prendre en compte l’histoire et la subjectivité culturelle de notre pays.

Nous contre Eux : une Logique de Polarisation

Les grandes attentes suscitées par le pouvoir exécutif du pays et leur matérialisation insuffisante, à l’exception des programmes d’assistance des Missions, la domination charismatique d’Hugo Chavez commence à montrer des signes d’érosion, malgré les 7 millions de votes qui l’ont réélu. Sa première période présidentielle a été caractérisée, entre autres facteurs, par une forte polarisation politique qui a créé les conditions favorables à une dynamique de subordination électorale. Cette loyauté inconditionnelle a persisté à cause de la réitération continue d’une logique binaire : un "nous" révolutionnaire, patriotique et bolivarien pour les "bons" ; contre un "eux", l’impérialiste, le contre-révolutionnaire, le traître dans le rôle des "méchants". Toute opposition est interprétée comme une manipulation de l’ennemi étranger (l’impérialisme) face auquel une hypothétique confrontation exige la perpétuation de l’unité et de la loyauté. Ce raisonnement modèle non seulement le dialogue avec "l’autre" mais aussi les échanges au sein du "nous", subordonnés à la volonté du leader. Le débat autour de la construction du "Parti Socialiste Unifié" en est une illustration.

La rhétorique de l’exécutif a capitalisé sur le ressentiment à l’égard de la distribution des richesses et du pouvoir durant les quarante années de démocratie qu’a connues le pays. Les actions sur la forte volonté de changement suscitée pendant les années 80-90 ont profité des prix élevés du pétrole et d’une politique fiscale agressive qui ont assuré au gouvernement des revenus parmi les plus hauts qu’ait connu le pays. La timidité des avancées sur les questions sociales ne correspond pas à la manne financière qui s’infiltre à peine dans les secteurs populaires alors qu’elle enrichit toujours plus les élites. Au fil du temps, l’amour, même sous sa forme bolivarienne, ne peut pas supporter trop de promesses non tenues.

Jusqu’ici les protestations populaires ont eu certaines caractéristiques. Elles ont été pour une large part l’oeuvre d’acteurs formés sous l’influence du "processus" et sans expérience politique préalable- ce qui est dû en partie à la substitution et à la cooptation du tissu social depuis 1998. Comme l’écrivait Max Weber, la domination charismatique signifie que la figure présidentielle incarne des attributs magico-religieux et une prédestination historique. Les contradictions et les défauts du gouvernement sont attribuées aux simples limites de ses fonctionnaires. Les manifestants se mobilisent contre des ministres, des maires, des gouverneurs, des agents de la police et de l’armée, mais pas contre le président pour l’instant. En outre, afin de bien se distinguer des "autres", ils clament d’une manière ou d’une autre leur appartenance au "nous".

Au fur et à mesure de la centralisation du pays, la majorité des protestations ont eu lieu ailleurs qu’à Caracas, ville où la manne budgétauire est plus importante et plus accessible. L’exécutif sait qu’une manifestation dans la capitale, quelle que soit sa taille, est exponentiellement plus visible que si elle a lieu en province, ce qui explique les efforts pour diminuer ces manifestations à Caracas.

Les Murs de contention

Pendant la première période gouvernementale, la cooptation et la neutralisation des protestations était possible pour plusieurs raisons. Premièrement, les grandes attentes créées par Miraflores (le palais présidentiel à Caracas). Deuxièmement, l’imposition de la polarisation et la réduction des conflits sociaux à la farce électorale, imposant ainsi l’auto-censure aux expressions de mécontentement. Troisièmement, l’idée d’un ennemi extérieur et son hypothétique agression armée imminente. Quatrièmement, la neutralisation et la bureaucratisation des leaders de la base. Cinquièmement, la création d’une gamme complète de canaux institutionnels pour contrôler la participation et les revendications. Et sixièmement, la délégation progressive des fonctions de police et de surveillance aux citoyens sous les masques de l’"intelligence sociale" et de l’"alliance civils-militaires".

L’interaction entre ces éléments entraîne le fait qu’afin de se manifester, une protestation doit franchir une série de barrages et la neutralisation par l’appareil sécuritaire étatique ne devient nécessaire qu’en dernier ressort. A ce propos signalons que le "Révolution bolivarienne" n’a substantiellement changé aucune de ses composantes armées, de leurs structures et de leurs paradigmes traditionnels de contrôle des protestations de la population. Si, pendant ses premières années d’exercice, le gouvernement pouvait s’enorgueillir d’un très petit nombre de détentions et de blessures suite à des manifestations, c’est simplement parce qu’il n’y avait pas de manifestation, et non parce que la police aurait assumé des stratégies différentes de résolution des conflits. Après huit ans au pouvoir, le gouvernement a institué une commission nationale pour la réforme de la police afin de réaliser un diagnostic et de proposer des recommandations, avec des doutes quant à la mise en oeuvre réelle de la part de ses promoteurs.

Certains conflits (manifestations contre l’exploitation du charbon dans l’Etat de Zulia, mobilisations de vendeurs de rue à Caracas en octobre et l’occupation récente du port international de Guiria) démontre que la plus grande part du travail de neutralisation n’a pas été effectué par la police mais bien par des secteurs du "nous". Le 18 octobre 2006, les vendeurs de rue de la capitale ont appelé à une manifestation pour imposer un ensemble de revendications : la construction de centres commerciaux réservés aux vendeurs de rue déjà promis, leur inclusion dans le système de Sécurité Sociale, les Conseils Communaux et le système de retraites. Les manifestants ont déclaré que la marche était en faveur des droits des travailleurs, et afin d’éviter les thèmes électoraux – même s’ils chantaient parfois des slogans favorables au président – ils arboraient des tee shirts gris indiquant au dos le quartier où ils travaillaient. La marche a traversé calmement le centre ville et s’est achevée sous la pluie avec un défilé Avenue Urdaneta. 24 heures avant, le centre ville était couvert d’affichettes accusant la manifestation d’être une manifestation de l’opposition camouflée. Le jour du défilé, le journal officiel VEA suggérait la présence d’intérêts douteux derrière les vendeurs de rue : "Des groupes d’agitateurs pourraient cibler les travailleurs au noir qui triment dans les rues et les avenues de Caracas". D’après ce journal, "Des paramilitaires financeraient les vendeurs de rue de secteurs stratégiques de la capitale pour développer un plan visant à déstabiliser les institutions démocratiques". A la fin de la manifestations, les vendeurs de rue se sont retrouvés face à des personnes identifiées comme membres du parti officiel de l’Union Populaire du Venezuela (UPV) qui les accusaient d’être des "infiltrés de droite". Ce jour-là, la Garde Nationale et la Police Métropolitaine bloquaient simplement l’accès au Palais du Gouvernement.

D’autres fois, les manifestations sont explicitement repoussées par des "voix" des mouvements sociaux en accord avec l’agenda politique imposé d’en haut. Lors de l’assemblée mensuelle de l’Organisation Communautaire du Logement et des sans abri de novembre qui se tenait au Forum Libertador à Caracas, ils demandèrent de manière répétée depuis l’estrade qu’aucune protestation n’ait lieu avant les élections.

Une solidarité vers le haut

Une autre caractéristique, tant des mobilisations que des acteurs sociaux qui les dirigent, est le fait que la solidarité verticale envers le leader charismatique supplante les liens horizontaux entre camarades et la solidarité entre égaux. Cela complique la compréhension de ces initiatives comme des mouvements sociaux au sens traditionnel : des initiatives collectives avec une identité, des discours et des objectifs communs, capables de réagir face une agression contre une de leurs parties. 36 sans abri ont été poursuivis en 2006 pour des crimes que le Code Pénal qualifie de "résistance aux autorités". Certains d’entre eux sont encore aujourd’hui privés de liberté. Il n’y a eu ni e-mails, ni manifestations, ni pétitions pour leur libération, ni de la part des groupes de sans abri ni d’autre organisation sociale.

Il semble aussi qu’il manque de solidarité à l’intérieur d’une même classe dans des initiatives plus explicitement "révolutionnaires". Le 23 octobre Jose Miguel Rojas Espinosa a été arrêté pour avoir placé un détonateur de faible puissance près de l’ambassade étasunienne de Caracas. Trois semaines plus tard, à Maracaïbo, Teodoro Rafael Darnott, alias "Commandeur Teodoro" est arrêté, accusé d’être le "cerveau" de l’affaire. D’après une page web MSN, tous deux appartiennent à l’organisation islamique pour l’autonomie Wayuu (minorité autochtone antre Colombie et Venezuela), fondateur auto-proclamé du Hezbollah d’Amérique Latine. L’action prenait part au Jihad contre les Etats-Unis pour leur belligérance face à l’Iran et l’Irak. Il n’y a aucun graffiti pour nous les rappeler, pas de tracts les défendant ou demandant leur libération. Dans le pays champion de l’anti-impérialisme anti-américain, personne n’écrit aux anti-impérialistes incarcérés.

Les pauvres contre les pauvres

Plusieurs analystes s’accordent à dire qu’il va y avoir une augmentation du nombe de conflits sociaux en 2007. Avec la baisse de l’activité électorale, des attentes toujours présentes et des promesses redoublées, une hausse des mobilisations autour du logement, des services et du travail est concevable. Si l’on prend également en compte l’accroissement prévisible de conflits internes entre le parti de Chavez, face à l’homogénéisation du "parti" et l’accumulation d’indulgences vis-à-vis du leader charismatique, la seconde période présidentielle de Chavez devrait affronter des convulsions sociales différentes, à cause de la dette sociale maintenue et approfondie par le gouvernement précédent (le même !), de son incapacité à réformer ni à révolutionner la vie quotidienne de la population. Oscar Schemel, sociologue pour Hinterlaces, dont les prédictions pour les élections étaient parfaites, résume ce scénario par un titre : "Les pauvres contre les pauvres". Les turbulences pourraient être aussi grandes que la capacité du président à maintenir son règne hors de ce monde en repoussant le désaccord à la lisière du monde terrestre et imparfait des subalternes.

// Les Faits //

Novembre

21/11/06 Les habitants de La Yagura, dans la municipalité Libertador de l’Etat de Carabobo, boquent l’autoroute Valencia – Campo Carabobo dans les deux sens, pour protester contre le manque de services publics. L’Unité Tactique d’Appui Opérationnel de la Police de Valencia disperse la manifestation en utilisant des grenades lacrymogènes et des flashballs et arrête une personne. Le même jour à Caracas, la Garde Nationale agresse les personnes rassemblées devant la Banco Nacional de Vivienda y Habitat, arrêtant plusieurs personnes.

09/11/06 La police de l’Etat de Bolivar dissout à l’aide de grenades lacrymogènes et d’armes à feu une manifestation de travailleurs de la Corporaciòn Venezolana de Guayana, à Ciudad Guayana, arrête 6 personnes et occasionne autant de blessés.

08/11/06 10 à 25 personnes, membres de la OCV (Organisation Communautaire pour le Logement) La Guzmanera, sont blessées alors que la police tente d’empêcher le passage d’une manifestation visant à rallier Caracas pour réclamer des fonds pour la construction de logements.

01/11/06 28 adolescents et 11 adultes sont arrêtés à San Felix (Etat de Bolivar) alors qu’elles protestent près de la Banco del Libro pour exiger les services basiques et leur incorporation dans la Mission Sucre (programme d’enseignement supérieur gratuit pour adultes)

Octobre

30/10/06 20 personnes sont arrêtées lors de la tentative d’intrusion d’un groupe de chômeurs dans la raffinerie de Puerto La Cruz comme moyen de pression pour obtenir un quota d’emplois promis. Durant l’action, la Garde Nationale utilise des grenades lacrymogènes et de manchettes.

24/10/06 Environ 40 personnes sont arrêtées à Coloncito (Etat de Tachira), lors du 4ème jour de protestations contre le manque de services publics.

23/10/06 - 4 manifestants sont arrêtés et d’autres sont asphyxiés au cours de la dissolution d’une manifestation par la Garde Nationale à l’aide de grenades lacrymogènes et de balles réelles sur l’autoroute Caracas – Guarenas. 100 personnes avaient bloqué la voie pour exiger des réparations à leurs logements endommagés par les pluies récentes. Le même jour, 12 personnes sont blessées et 30 détenues à Coloncito au cours de la répression d’une mnifestation contre le manque d’eau et de services publics.

20/10/06 – 4 manifestants sont blessés par la police de Barinas au cours d’une occupation de la route nationale Barinas – San Cristobal. Les habitants protestaient contre le manque de service public et d’eau potable.

19/10/06 – 2 personnes sont blessées par balles et 6 par des cartouches lors de la protestation d’un groupe d’artisans pêcheurs, exigeant la nationalisation du port international de Guiria.

14/10/06 – La police de Carabobo disperse à coups de grenades lacrymogènes une manifestation d’employés des services de santé pour leurs conditions de travail.

13/10/06 – Deux personnes reçoivent des plombs dans les pieds lorsque les habitants du quartier Jacinto Lara à Barquisimeto, manifestent pour solliciter la construction d’une passerelle. La police de l’Etat de Lara et la Garde Nationale utilisent des renades lacrymogènes et armes à cartouches pour disperser la centaine de manifestants.

12/10/06 – Des policiers municipaux de Caroni tirent en l’air pour disperser des vendeurs au noir qui protestaient contre l’évacuation d’une foire artisanale à Puerto Ordenaz.

10/10/06 – L’armée occupe Coloncito (Etat de Tachira) après que des habitants aient incendié un véhicule de patrouille et attaqué des édifices publics en protestation contre des abus de la police de Tachira.

04/10/06 – Le Groupe de Réaction Immédiate de Poli-Anzoategui disperse à coups de carabine et de gaz lacrymogènes une manifestation d’habitants de la communauté de Punto Lindo.

Septembre

16/09/06 – La police de l’Etat de Barinas arrête 3 personnes, qui faisaient partie d’un groupe de 600 familles qui protestaient contre l’absence d’eau potable dans le quartier Agustin Codazzi à Barinas. Plusieurs autres personnes sont blessées suite à des coups ou des plombs.

11/09/06 – Une personne est arrêtée par la police de Aragua pendant qu’un groupe de familles du secteur El Campito à Maracay protestent pour obtenir la réalisation de promesses d’attributions de logements.

Août

17/08/06 – Une centaine de familles paysannes de Guanare sont expulsées par la police de l’Etat de Portuguesa alors qu’elle occupe un terrain dans le quartier "Paraiso Bolivariano". L’expulsion fait plusieurs blessés, dont une femme enceinte.

16/08/06 – Une manifestation à Valencia de deux groupes contre l’absence de ramassage des ordures et de places de stationnement s’achève avec 2 conseillers municipaux et 3 policiers blessés.

14/08/06 - Des personnes du quartier Las Casitas de Guatire (Etat de Miranda), manifestant devant le siège du Banco Nacional de Vivienda y Habitat sont dispersées à coups de grenades lacrymogènes par la Garde Nationale, qui arrête la meneuse présumées, Vilma Macias.

10/08/06 – Deux travailleurs affiliés à l’UNT sont blessés lors d’une manifestation devant les tribunaux des prud’hommes de Maracay. Ce jour-là, un groupe de 500 habitants du quartier de Catia La Mar barre la route pour réclamer la réparation des canalisations. Deux blessés ramassent des plombs suite à l’intervention de la police de l’Etat de Vargas.

09/08/06 – Cinq personnes sont arrêtées par la Garde Nationale suite à une expulsion dans le quartier Ojo de Agua à Baruta. 20 enfants sont affectés par les gaz lacrymogènes. Trois jours plus tard, 11 personnes reçoivent une mesure de privation de liberté pour "invasion et résistance à l’autorité". Ce jour-là deux personnes sont arrêtées alors qu’un groupe de 200 manifestants pour le logement tentent de se rassembler devant le palais Miraflores.

Juillet

28/07/06 – Un groupe de mineurs de El Callao tente d’organiser une manifestation contre l’entreprise transnationale chinoise Jin Yan alors que deux dirigeants du syndicat sont détenus par la Garde Nationale. Les travailleurs ont dénoncé l’usage de machettes et de lacrymogènes par les forces de répression.