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Lille 3000 : c’est reparti pour la mascarade !

vendredi 8 décembre 2006


Et encore moins le parti socialiste ! Par contre, pour vendre des produits politiques tout faits, avec le label culturel... Voilà pourquoi le grand cirque “Lille 2004, capitale européenne de la culture” renaît de ses cendres encore fumantes pour prendre les couleurs de l’Inde à travers l’opération “Lille 3000”. Définitivement, Lille se veut la ville de LA CULTURE, prête pour accueillir les touristes du monde entier ! Et tout ça grâce à l’esprit de solidarité des gens du Nord, comme le martèle à l’envi notre bonne mai-t-resse. Parce que Lille 3000, comme Lille 2004, se veut aussi et surtout fête de la solidarité.

Architecture ou Révolution !?

Depuis les prophètes de l’urbanisme autoritaire et fonctionnalisé d’un Haussman au XIXème siècle ou d’un Le Corbusier, pouvoir politique et pouvoir économique se donnent la main pour modeler les villes et leurs quartiers. Aujourd’hui, la culture en est un moyen absolu.

Lille, comme toutes les grandes villes occidentales ou millionnaires, participe de ce processus de la “nouvelle ville”, globale et totale. La réussite de Lille 3000, l’opération financière de la métropole – et des pouvoirs urbains - est nécessaire et... assurée. Pour cela, des moyens d’envergure sont de mise. Des flicEs en plus d’un côté, de la culture qui crée l’évènement de l’autre, et le tour est joué. Un centre urbain qui ne cesse d’être grapillé par le pouvoir marchand, des quartiers et leurs habitantEs qu’on quadrille, enferme et surveille. La nouvelle fête qu’on nous vend n’est donc qu’une facette d’une politique plus générale qui vise entre autres à nettoyer la ville (de ses pauvres, de celles et ceux qui contestent, qui occupent et s’affichent, qui montrent et revendiquent). Cette politique urbaine s’étale comme une tache d’huile à partir des quartiers centraux vers les quartiers péri-centraux, et plus précisément les quartiers populaires. Il y a trente ans on vidait le Vieux-Lille de ses pauvres. Aujourd’hui, c’est le cas de Fives et de Moulins, où les terrains et les friches industrielles abondent. A Fives, la municipalité est en train de redessiner le centre. Elle prévoit également une grosse opération d’aménagement des anciennes usines FCB sur 16 hectares alors que le prochain casino s’annonce. 410 millions d’euros de crédits de renouvellement urbain viennent d’être alloués à la communauté urbaine Lille Métropole par l’Anru (Agence nationale pour la Rénovation urbaine). Le but est d’améliorer le paysage urbain à Moulins et d’autres “sites associés”, Vauban, centre-ville, Euralille, Bois-Blancs. Pour créer une mixité sociale dans toute la ville, entend-on dire. Laissez-nous rire quand on voit l’évolution de l’accès au logement à Lille. Dans le même temps, les quartiers de la Porte-de-Valenciennes à Moulins et de Lille-Sud, cœur du dossier ANRU, feront pour la première fois l’objet de programmes privés. Sur les 410 millions d’euros, 36 millions vont aller à la requalification de la Porte-de-Valenciennes dans la continuité immédiate d’Euralille II. Celle-ci va être restructurée selon le vocabulaire “urbano-industriel”, des rues et des places seront créées et des barres démolies. Le prix d’achat au départ ? 3200 euros/m2.

Cette politique urbaine est adaptée aux besoins des stratégies privées des grandes entreprises. Et c’est bien main dans la main que gauche et droite, au delà des luttes partisanes, s’entendent sur ce projet ubanistique. Dans cette optique, Lille 300 est une opération parallèle qui légitime les nouveaux lieux de consommation du spectacle tout en orientant la composition des quartiers par des opérations de renouvellement urbain. Car c’est vendeur la Culture.

La culture du fric et du flic

Il paraît aussi que c’était rentable, Lille 2004. Alors rebelote aujourd’hui. Et, comme d’habitude, pour trouver les financements, les patrons et les entreprises sont là pour financer et choisir l’offre culturelle. Avec Lille 3000, le mécénat privé explose : 45 % de sponsoring (contre 18 % pour Lille 2004). Pas de financement de la région, ni de l’Etat ni de la communauté urbaine (seul le département a mis la main à la poche, à hauteur de 400.000 euros). Et 3 millions d’euros d’excédents de Lille 2004, réinvestis. On commence à saisir le sens du mot “culture”, qui ressemble de plus en plus à “publicité” et à “marketing”.C’est pourquoi EDF, Accor, Carrefour et SFR sont fiers de vous présenter “Lille 3000”, un empire qui doit durer 1000 ans. Un empire de la publicité et des marchands qui se servent d’événements culturels pour la “refondation urbaine et culturelle” au moyen de la culture, d’une certaine culture. Ainsi, Accor, cette multinationale de l’hôtellerie qui ne connaît de diversité culturelle qu’en étant un rouage dans les expulsions des sans-papierEs à la fin des années 1990, par la réservation de toutes les places de train et d’avion, par le biais de la Compagnie des Wagons-Lits, et par la location de chambres dans les hôtels Ibis des aéroports de Roissy et d’Orly à l’Etat, en vue de parquer les étrangerEs entrants sur le territoire sans visa. OUF ! Depuis les centres de rétention ont fleuri... Ce même Accor (toujours via Ibis) qui n’a jamais refusé d’abriter les réunions des cheffaillons de l’extrême-droite. De même, Carrefour qui, après avoir détruit le commerce de détail avec quelques autres membres de l’oligopole de la distribution, étrangle aujourd’hui les producteur/rices et précarise ses employéEs. Dans la même veine SFR, né de l’ambition orwellienne de J-M Messier, qui entendait, avec Vivendi Universal, fonder un trust maîtrisant tous les supports de diffusions et les contenus. Soulignons le rôle spécial de la grande distribution, déjà à l’oeuvre en 2004 (pour Lille 3000, Carrefour “remplace” Auchan, c’est ce qu’on appelle le “changement dans la continuité”). Selon les tenants de la “gouvernance” comme alternative à la démocratie, la grande distribution peut servir également pour les projets pilote de “revitalisation” des banlieues ou des quartiers : les hypermarchés sont considérés comme employeurs et lieux de sociabilité ; et certainEs éluEs sont prêts à leur accorder des aides à l’installation, renforçant par là-même des monopoles qui ne sont pourtant pas pour rien dans la désertification des banlieues (moins de commerces de proximités, vie sociale et associative difficile, obligation de s’orienter dans le sens des pouvoirs locaux).

Le choix de ces “partenaires” ne doit donc rien au hasard : il s’agit bien d’une idéologie, d’une “marque de fabrique” qui se renforce à chaque “évènement”. Au total, plusieurs dizaines de sponsors privés sont associés à Lille 3000. La culture est envisagée comme un espace de communication pour les marques. Chaque évènement de Lille 3000 sera l’occasion de faire la promotion d’une banque, d’une chaine d’hypermarchés, d’une multinationale de la restauration, etc. C’est l’avènement de la culture d’entreprise, avec au programme, l’exemple frappant de la Collection François Pinault.

Il y a déjà bien des années que les entreprises ne ménagent pas leurs efforts pour acquérir une légitimité culturelle permettant de dissimuler la réalité capitaliste de leurs pratiques économiques puis de conquérir des parts de marché. Cette stratégie fut longtemps l’apanage des grandes firmes, visant par là un public élitiste, notamment à travers l’art contemporain : ainsi le groupe Pernod-Ricard, un des premiers groupes mondiaux d’alcools, est-il devenu le premier acheteur de peinture d’avant-garde, avec l’ambition de se défaire de l’image populaire associée à ses apéritifs, qu’il avait cultivée jusqu’alors.

De l’instrumentalisation de la culture à la production d’une culture faite par et pour l’entreprise.

Tous les ans, la fondation anglaise Art and Business remet des prix aux entreprises pour les récompenser de leur “partenariat avec les arts”. En 2003 par exemple, Unilever (bien connu des militantEs nordistes pour avoir jeté à la rue les ouvrierEs de Lever en 2003) fut récompensée, sous l’égide du groupe Total, pour avoir aidé le Tate Gallery à acquérir une série de sculptures “percutantes” d’Anish Kapoor. Autre exemple, la société de sécurité privée Group 4, qui gère au Royaume-Uni des prisons pour mineurs sans-papiers, a ainsi été gratifiée d’un “Art and Business Award” pour avoir offert une initiation au théâtre à des enfants qu’elle maintenait sous écrou.

L’art est perçu à la fois comme vecteur de communication, outil de management interne, support indispensable de “l’éducation tout au long de la vie” mais aussi comme “nécessaire à des performances économiques durables“... Notons qu’en France l’Admical (Association pour le développement du mécénat industriel et commercial, 1984) a vu son influence, et plus généralement celle des entreprises sur le champ culturel, décuplée par la loi sur les fondations d’entreprises votée en 2004 qui organise un véritable transfert du financement de la culture du public au privé via des réductions fiscales. De la même façon, présidé par le prix Goncourt Jean-Christophe Ruffin, un jury a ainsi remis en 2004 le prix du mécénat culturel à la fondation Ronald Mac Donald. La légitimation des marques par les instances culturelles est donc bien avancée...

Nous écrivions il y a deux ans qu’ “À la culture d’élites, répondons par la culture des luttes !”. Plus que jamais, la culture qui nous est proposée et imposée par les gouvernantEs doit nous faire réagir.

Une conception autoritaire de la culture

Lille 3000 est le parfait exemple de la mise sous tutelle de l’ensemble des moyens d’expressions culturelles, au service d’une politique pensée, décidée, organisée en haut lieu, et imposée à touTEs. Un amusement sous surveillance : amusez-vous quand on vous en donne l’autorisation ; amusez vous comme on vous le dit ; amusez vous, vous êtes filméEs ; Amusez-vous sans protester.

Lille 3000 profite aussi de la précarité des acteurs et des actrices oeuvrant dans le secteur de la culture, pour imposer un modèle culturel unique. Pour nombre d’artistes ou d’associations locales, Lille 3000 est le point de passage obligé pour obtenir les moyens financiers nécessaires à leur survie. Très insidieusement, en plus d’imposer les sources et les conditions de financement de la culture, Lille 3000 impose aussi les contenus à aborder : il faudra parler de l’Inde, ou ne pas parler. Ainsi voit-on fleurir cours de danses et groupes de musiques indiennes, seules façons pour certainEs de tirer leur épingle du jeu. Et si vous voulez monter une pièce de théâtre, vous seriez bien aviséE qu’elle puisse avoir un lien avec le thème en question : par exemple, en programmant un Othello sauce curry au théâtre du Nord, comme au bon vieux temps des colonies .

Pour nous il n’est pas question de contester les choix de tel pays ou de telle thématique de la fête et de systématiquement dénoncer une vision simpliste et touristique, imbibée de colonialisme. Même s’il semble qu’il faille présenter l’Inde sous ses meilleurs atours, comme pourrait le faire n’importe quelle agence de voyage, certaines manifestations, dans les petits cinémas de Lille ou à l’Univers, peuvent offrir des exemples qui lient la découverte à la solidarité (rencontres du théâtre de l’Opprimé, mise en avant de collectifs de photographes).

Au final, c’est donc tout un secteur qui se sent obligé de proposer des spectacles, expositions, et autres manifestations sur l’Inde, en espérant récolter quelques subsides de cette course aux subventions. Les intermittent-te-s du spectacle, naguère en lutte, sont donc désormais tenus en laisse par le pouvoir qui profite pleinement de leur situation de précarité. Lille 3000 exerce un monopole culturel total. Lille 3000 impose également un certain modèle de présentation de la culture. Utilisant tous les moyens médiatiques possibles, le pouvoir local et ses sbires convoquent la population à venir célébrer cette grand messe de la culture qu’ils ont choisie pour elle. Lille 3000 poursuit sa logique de consommation de la culture, en plus de sa marchandisation, dans sa dimension participative. ChacunE a sa place, les acteurs-trices d’un côté, les spectateurs-trices de l’autre, le tout sous haute surveillance policière. Car il ne faudrait pas que le peuple s’empare de la rue et de la fête pour en faire autre chose que ce qui a été décidé. “Amusez vous, mais seulement quand, où et comment on vous le dit”. Dans sa forme même, Lille 3000 a été inauguré par une “parade” qui n’est pas sans rappeler certains rites monarchiques : le peuple agglutiné au pied des éléphants, les dirigeants à la tribune, sous l’œil des caméras. Le pouvoir local ne se contente pas de mettre en œuvre sa conception autoritaire de la culture, il l’accompagne d’une politique répressive contre les initiatives d’expression et d’organisation libres. Ainsi, pendant que la Brigade anti-tags efface toute expression dissidente sur les murs, les forces policières se font un plaisir d’expulser systématiquement les squats. Pendant la fête, les intérêts des bourgeoisES sont bien gardés et continueront de fructifier ! Eh oui, Lille aura bientôt son casino, dans le tout petit carré de verdure qu’il restait au centre d’Eurallile.

Adieu les arbres, voici enfin du pain et des jeux pour le peuple !

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