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A Oaxaca, la révolution s’organise depuis longtemps déjà

vendredi 8 décembre 2006


1. D’une grève réformiste à une nouvelle insurrection

En mai 2006, des professeurs de l’État fédéral de Oaxaca déclenchent une grève :illes réclament une augmentation de salaire, des aides matérielles, comme des petits déjeuners et un transport gratuit pour les enfants, et s’opposent à la réforme, qui prévoit, outre la privatisation de l’éducation, une négation de l’apprentissage de l’histoire pré-colombienne du pays. Face au mépris affiché par le gouverneur de l’État (Ulises Ruiz, membre du PRI - Parti Révolutionnaire Institutionnel) à leur encontre, des milliers de professeurs bloquent les rues de Oaxaca le 22 mai. Le zocalo (place centrale de la ville) est occupée , les grévistes soutenu-e-s par une partie de la population y installent des campements . Comme à son accoutumée, le gouvernement mexicain répond au peuple dans la rue par une répression violente. Le 14 juin, il envoie un contingent de plusieurs milliers de policiers armés, espérant noyé dans la terreur la lutte qui commence à s’organiser. C’est le contraire qui arrive : la population se solidarise massivement avec les grévistes, la police ne parvient pas à faire évacuer le centre-ville. Suite aux bavures commises, Ruiz prétend finalement accepter de négocier avec les grévistes, mais c’est déjà trop tard.

Le 17 juin, l’APPO (Assemblée Populaire des Peuples de Oaxaca) est crée. Elle réunit plus de 300 organisations (paysannes, indigènes, étudiantes, syndicats, etc).
Dès lors, la lutte s’étend à toute la région. De nombreuses municipalités se déclarent autonomes et autogérées. Des manifestations rassemblant des dizaines de milliers de personnes sont organisées. La ville de Oaxaca est assiégée par la population, des barricades sont mises en place, les bâtiments institutionnels sont occupés.
La revendication principale (mais pas unique) de l’APPO est la destitution du gouverneur Ruiz, soupçonné de corruption à grande échelle.

Ne recevant comme réponse qu’une répression sanglante, accompagnée d’une campagne de diffamation menée par la majorité des médias mexicains, l’APPO fait sienne Radio Universidad, la radio de l’université autonome Benito Juarez de Oaxaca,. Afin de tenir informer le plus grand nombre possible, elle investit également des radios et télévisions gouvernementales et/ou commerciales.

Le 27 octobre, un membre d’Indymedia New York qui se trouve sur place est assassiné par la police, fait qui est bien plus relayé par les médias internationaux que la lutte menée par les peuples de Oaxaca depuis des mois. Ceci sert de prétexte au gouvernement pour envoyer sur place plus de 4000 membres de la PFP (Police fédérale de prévention) afin de « rétablir l’ordre ». Après deux jours de lutte acharnée, le zocalo est vidé de ses campements, les lutteur-e-s se retranchent dans les locaux de l’université, où la radio continue de transmettre les informations et demandes d’urgence tels que médecins, besoin de renfort sur une barricade, etc, ainsi que les messages de soutien qui affluent d’un partout dans le monde. La PFP tente d’investir l’université, mais 50 000 résistant-e-s lui font face, soutenu-e-s par le recteur, seul légalement habilité à autoriser l’entrée des forces de police dans l’enceinte des locaux universitaires. Radio Universidad fonctionne jusqu’au 29 novembre, protégée par la dernière barricade en place à Oaxaca, dont la désormais célèbre Cinco Seńores, devenue « barricade de la Victoire », qui se fait démembrée ce jour.

Durant les marches massives qui se succèdent, s’ajoute à la demande d’éviction de Ruiz de son siège de gouverneur de l’État, celle du retrait de la PFP de Oaxaca, accusée de propager la terreur, de meurtres, emprisonnements, tortures, viols, enlèvements, entres autres exactions.

Durant les 10, 11 et 12 novembre à lieu un congrès qui a pour objectif de constituer formellement l’APPO, c’est-à-dire de définir ses principes, programmes et statuts, d’élire son premier conseil (organe voué à sa représentation et sa coordination) et mettre en œuvre un plan d’actions à court, moyen et long terme.

Le 20 novembre est marqué par l’anniversaire de la Révolution de 1910 dans tout le pays. C’est également une journée d’actions de solidarité internationale, des rassemblements devant les ambassades et consulats du Mexique ont lieu un peu partout dans le monde.
Ce même jour, l’APPM (Assemblée Populaire des Peuples du Mexique) est constituée. Elle regroupe une vingtaine d’assemblées populaires (dont celle de Oaxaca), ainsi que 75 organisations sociales et politiques (seuls sont exclus les groupes liés au PRI ou au PAN -Parti d’Action Nationale, dont sont membres Vincente Fox, le président sortant, et Felipe Calderon, son successeur). Les premières activités de l’APPM au niveau national sont de soutenir le plan d’action de l’APPO (en organisant notamment une « mégamarche » en direction de Oaxaca), puis de participer au mouvement massif de protestation qui entoure l’investiture de Calderon dans ses fonctions de président du Mexique.

2. L’autogestion comme mode d’organisation

Ce n’est sans doute pas par hasard si tout a commencé en mai par une grève du corps enseignant. En effet, la section 22 , celle des profs de l’État de Oaxaca, se tient en marge du SNTE (Syndicat national des enseignant-e-s). Ce dernier, proche des pouvoirs politiques, reproche d’ailleurs au gouvernement de mener des négociations avec la section 22, qui ne jouit d’aucun statut juridique, alors que selon lui, seul l’organe syndical national est habilité à représenter et défendre le corps enseignant. Suite aux menaces d’exclusion de la section 22, un front anti-SNTE s’est crée parmi plusieurs associations de profs partout au Mexique, qui appelle à quitter la SNTE.

Rappelons que les membres de la section 22 s’opposent à la politique de privatisation de l’éducation. Elle se bat pour une éducation libre et gratuite pour tou-te-s. De même, elle s’oppose à la négation de l’apprentissage de l’histoire pré-colombienne, ainsi qu’à la prédominance de la langue espagnole dans les écoles. L’État de Oaxaca est celui qui comprend le plus d’indien-ne-s de tout le Mexique. On y parle 16 langues indigènes différentes. C’est une région très rurale. De ce fait, les villages sont particulièrement isolés. Lorsqu’un-e enseignant-e vient travailler dans une école, cela implique le plus souvent pour lui-elle de s’éloigner durant des semaines de ses proches et de tout autre lieu habité outre le village où se trouve l’école. Les enseignant-e-s sont généralement bien vu-e-s des populations car, plutôt de se faire l’écho des discours et politiques gouvernementaux, illes s’investissent dans la vie des communautés, apprennent les langues indigènes, enseignent en retour à lire, à écrire. La plupart désignent les enfants par le terme de compańeros-as, les traitant d’égal à égal, avec la volonté de construire avec eux le collectivisme.

Dans ce contexte, on voit mieux pourquoi la population s’est rapidement et massivement jointe à leur lutte lorsque la répression a frappé celle-ci.

On voit très rapidement se mettre en place un mode d’organisation autogestionnaire dans tous les domaines. La population se prend en main, des assemblées ouvertes ont lieu tous les jours, où chacun-e peut s’exprimer, dire pour quoi ille se bat et comment ille conçoit la lutte et sa progression. Bien sûr, les dirigeant-e-s syndicaux proches des partis politiques, habitué-e-s à réfléchir et discourir sur leur conception de la société, tendent à prendre plus souvent la parole, à s’ériger en leaders de l’APPO, passant parfois outre les décisions prises par l’assemblée. Mais à aucun moment, illes ne le deviennent vraiment, la conscience de participer à un processus de démocratie directe lors de ces assemblées quotidiennes est visible. La population veut reprendre le pouvoir que le gouvernement, à l’échelle nationale, fédérale et locale, lui a ôté. Cette volonté n’est pas nouvelle : la population mexicaine n’est pas dupe des mensonges et crapuleries perpétrés par ses dirigeant-e-s à seule fin d’asseoir leur pouvoir. Il n’est pas anodin qu’elle ait décrété que l’État de Oaxaca n’existe plus à ses yeux, qu’elle ait repris en main des municipalités, qu’elle ait décidé l’occupation des institutions représentant les pouvoirs politique et juridique ( siège du gouvernement fédéral, tribunal... ).

Une réflexion est amorcée sur un nouveau pacte social. Ce travail de réflexion et de proposition, entamée le 10 octobre, se prolonge par le moyen de tables de discussion et de dialogue, d’assemblées générales et de retour aux tables de discussion, jusqu’au congrès constituant de l’APPO. Environ 1500 personnes de tous horizons participent à ce travail de réflexion. Les tables sont les suivantes : 1. Nouvelle démocratie et gouvernabilité à Oaxaca ; 2. Économie sociale et solidaire ; 3. Vers une nouvelle éducation à Oaxaca ; 4. Harmonie, justice et équité sociale ; 5. Patrimoine historique, culturel et naturel de Oaxaca ; 6. Moyens de communication au service des peuples.
Durant le congrès constitutif de l’APPO, ces idées sont reprises et discutées. .A travers les questions discutées, on voit clairement poindre la volonté de renverser le système politique en place au profit d’une société plus égalitaire. Il est aussi important de souligner la cohésion qui se construit entre les divers-e-s acteur-trice-s de la lutte, dont les intérêts ne sont pourtant pas toujours les mêmes, notamment entre les communautés indiennes et les forces d’opposition au capitalisme (communistes, libertaires). Les dissensions qui existent ne leur font pas perdre de vue qu’ils-elles ont un réel intérêt commun à construire ensemble une société plus juste et respectueuse de leurs individualités.

Par leur mode d’organisation, les peuples de Oaxaca montrent qu’ils sont aptes à assumer par leurs propres moyens les fonctions et les services essentiels de la vie sociale : l’approvisionnement et la distribution de la nourriture, des soins, l’ordre public et la justice, les transports et la propreté, l’information, etc. Si des barricades sont érigées, qui n’empêchent d’ailleurs pas la libre circulation des personnes, si les institutions gouvernementales ne fonctionnent pas, si les touristes ne viennent plus (le tourisme est l’une des plus importantes mannes financières de l’État), en revanche, la vie suit son cours, les marchés sont approvisionnés, la nourriture est distribuée dans les campements et les colonies (quartiers créés à partir de la concession de terrains par les habitant-e-s elleux—mêmes), les transports publics fonctionnent, etc. Des commissions sont créées par l’assemblée pour le bon fonctionnement de la ville : entres autres, commission de la santé, de l’hygiène, des finances, de la logistique, de la presse, de la cuisine et de l’approvisionnement , commissions des brigades mobiles et de la surveillance, de la sécurité. « On apprend à s’organiser pour manger, pour l’auto-défense, pour les occupations, pour nos récoltes, pour construire un accord... C’est tout bénef, surtout si on dépasse les discours sur la solidarité et le soutien mutuel pour en venir à une pratique qui garantit notre survie », explique une membre de l’APPO.

L’expérience n’est pas si nouvelle. Dans certains quartiers urbains comme dans les zones rurales, ça fait bien longtemps que s’est développée une démocratie parallèle pour contourner l’autoritarisme du PRI qui sévit depuis 1920. Par exemple, il est d’usage de participer au tequio (travail communautaire non rémunéré servant les intérêts de la communauté), de pratiquer la guelaguetza ( acte de solidarité entre membres d’une communauté), pratiques qui sont reprises par les membres de l’APPO. La commission de sécurité a été constituée sur le modèle des topiles, ou plus précisément de la police communautaire telle qu’elle existe dans le Guerrero ou au Chiapas parmi les zapatistes, ils ont été désignés, ou plutôt acceptés (ce sont pour la plupart des volontaires) par l’assemblée.

La référence à la Commune de Paris revient fréquemment dans les propos, on entend parfois parler de « Commune de Oaxaca ». Peut-être serait-il plus juste de dire que le nouvel ordre social créé s’inscrit dans la continuité de la Commune de Paris par ses pratiques et ses objectifs d’autogestion, mais que les fondements sur lesquels il s’organise viennent de l’histoire du Mexique elle-même.

Il ne faut pas oublier que la présence des communautés indigènes n’est pas négligeable, dans l’État de Oaxaca, comme dans les États voisins que sont le Guerrero et le Chiapas. Au sein de ces communautés, les pratiques d’auto-organisation et de constitution d’un pouvoir populaire sont maintenues depuis des siècles. « On voit donc que le peuple mexicain est apte au communisme parce qu’il l’a pratiqué, au moins en partie, durant des siècles, et cela explique que bien qu’analphabète en majorité, il comprenne qu’aux farces électorales pour élire des bourreaux, il est préférable de s’emparer de la terre , et c’est ce qu’il fait au grand scandale des voyous de la bourgeoisie. » (propos tenu en 1911 par Ricardo Flores Magon, révolutionnaire anarchiste et indigène originaire de Oaxaca).
L’APPO s’inscrit dans la ligne directe du CIPO-RFM (Conseil populaire des indigènes de Oaxaca -Ricardo Flores Magon), créé en 1997 et regroupant plusieurs dizaines de communautés indigènes, des libertaires et des marxistes, suivant un mode d’organisation mélangeant les pratiques et coutumes indigènes et libertaires et se revendiquant anticapitaliste.

Il est également important d’analyser la place et le rôle tenus par les femmes, dont on a souvent tendance à faire des mères-courage apportant la soupe (ou des pierres, selon les circonstances) aux jeunes qui tiennent les barricades, dans les chroniques relatant la situation. Il serait bon de rappeler que lorsque Radio Universidad se fait mitrailler, ce sont pas moins de 6000 femmes qui, armées de casseroles, investissent la radio officielle du gouvernement fédéral (qu’elles rebaptisent pour l’occasion Radio casserole !) et tiennent tête durant 3 semaines à la PFP qui tente de les en chasser. Ce sont elles encore qui, à l’instar des Femmes Sans Peur au Guerrero, organisent des manifestations (parfois de nuit) pour dénoncer les crimes commis par la PFP, en particulier les agressions sexuelles dont elles, ou leurs compańeras, sont victimes. Notons aussi qu’elles se battent pour que des questions telles que l’égalité des genres et le droit à la terre pour les femmes indigènes soient débattues en assemblées et posées dans le programme de l’APPO (à l’instar du CIPO-RFM qui se bat activement sur la question de l’antipatriarcat).

3. Contexte social et politique

La lutte pour le droit à la terre est très ancienne au Mexique. Depuis l’arrivée des colons espagnols au XVIème siècle jusqu’à nos jours, les Indiens ne cessent de se voir voler leurs terres.

Actuellement, les multinationales, comme partout ailleurs dans le monde, expulsent des communautés et dévastent des régions entières pour installer des infrastructures polluantes. Une nouvelle étape est franchie avec le PPP (Plan Puebla Panama), présenté en 2001 par le gouvernement mexicain pour « permettre d’intégrer l’Amérique centrale au marché mondial ». En résumé : constructions de réseaux autoroutiers et ferroviaires, d’aéroports, de ports, d’oléoducs et gazoducs, de barrages hydroélectriques géants (en grande partie destinés à la consommation états-unienne d ’énergie), qui nécessitent de « déplacer » des populations (en les expulsant de leur terre, en leur volant leur savoir sur les plantes médicinales pour les breveter, avant de détruire la faune, voire de créer de véritables catastrophes écologiques). Ces populations rurales peuvent alors aller se faire exploiter (« sortir de leur marginalité » est l’expression employée), dans les maquiladoras, ces usines qui poussent comme des champignons et où l’on fabrique à la chaîne tout le nécessaire pour mener à bien ce gigantesque chantier. Un plan bien ficelé, en somme.

Seulement voilà, les populations concernées refusent cette logique mercantile et destructrice. A Atenco (ville à la périphérie de Mexico), par exemple, le FPDT (Front des Peuples en Défense de la Terre), lutte activement contre le projet de construction d’un aéroport international et d’un vaste réseau autoroutier qui provoquerait l’expulsion de 4000 paysan-ne-s. En mai dernier, tandis que les enseignant-e-s de Oaxaca débutent leur grève, de violents affrontements ont lieu entre les communautés d’Atenco et l’armée, en raison de la construction d’un supermarché en lieu et place d’un marché indigène. Cette lutte contre l’expropriation est liée à celle contre la politique libérale du gouvernement qui favorise le fait que la population mexicaine soit une main d’oeuvre bon marché et qui détruit les champs leur permettant de se nourrir par eux-elles-mêmes.
Comme ses voisins Chiapas et Guerrero, l’État de Oaxaca est très pauvre. La population est majoritairement rurale et les communautés indiennes représentent 60% de la population. Trois raisons suffisantes pour comprendre que la question du droit à la terre y est fondamentale. Or, le PPP prévoit d’y construire un large couloir d’autoroutes et de voies de chemin de fer nécessitant des usines de montage, des lignes THT, etc, et de faire de l’isthme de Tehuantepec une alternative au canal de Panama. Ce qui impliquera... vous suivez la logique ? ! Et, comme par hasard, les principaux soutiens à Ruiz viennent des investisseurs de ces chantiers.

Et le contexte électoral n’est pas là pour rassurer la population. En juillet ont eues lieu les élections présidentielles qui opposaient Obrador (du PRD – Parti de la Révolution Démocratique, issu d’une scission du PRI) à Calderon (du PAN). Ce dernier est donné vainqueur, mais bien vite on constate que de nombreuses fraudes ont eues lieu, la plus flagrante d’entre elles étant que les candidats obtiennent plus de voix qu’il n’y a d’inscrit-e-s sur les listes. Un large mouvement de protestation à l’investiture officielle de Calderon se met en branle. Obrador va même jusqu’à s’auto-déclarer président « légitime » du Mexique lors de la journée à grande valeur symbolique du 20 novembre. Et les députés des deux partis, armés de polochons, se battent les bancs et la tribune du Parlement, comptant l’occuper jusqu’à l’investiture de Calderon, sous le regard effaré des Mexicain-e-s.

Comme on l’a vu, l’APPO demande la destitution de Ruiz. Depuis son investiture en 2004, celui-ci s’arrange notamment pour confier les chantiers de rénovation de la ville de Oaxaca (qui consistent principalement à détruire des bâtiments et des arbres centenaires pour les remplacer par des blocs de béton) à ses proches, se mettant dans les poches une partie du financement alloué par le gouvernement au passage. Le fait que Ruiz soit du PRI participe du mouvement pour sa démission. En effet, lorsqu’en 1995, l’ancien gouverneur (lui aussi au PRI) reconnaît légalement le système de démocratie propre aux indigènes (mentionné plus haut), c’est surtout de crainte que le mouvement zapatiste qui éclate au Chiapas ne se propage. En parallèle, il met en place des caciques indigènes, espérant par la même occasion gagner leurs voix aux prochaines élections. Les caciques sont les vrais seigneurs de la région. S’ils ne sont pas officiellement nommés à la tête des institutions, ce sont bien eux qui les contrôlent, en grandie partie par leur pouvoir financier et militaire. Ils empêchent par tous les moyens que ne soit réellement appliquée la nouvelle loi. La population indienne se rebellent alors. La répression est brutale, les « rebelles » sont qualifié-e-s de « terroristes », des dizaines d’entre eux sont assassiné-e-s, d’autres croupissent encore aujourd’hui en prison. Le mouvement de résistance actuel est intimement lié à celui d’il y a 10 ans.

La réponse gouvernementale à toute tentative d’entraver ses manoeuvres est d’une violence singulière et propre aux régimes sévissant en Amérique latine. Les dirigeant-e-s n’hésitent pas à envoyer la police, aussi bien nationale que fédérale, calmer les esprits un peu trop échauffés à son goût. Celles-ci matraquent, tirent à vue, enlèvent et emprisonnent à tour de bras. Dans les prisons, les actes de tortures (dont les viols) sont légions. Lorsque ça ne suffit pas, l’armée, entraînée par les USA, vient filer un coup de main ; les ranjos envahissent les rues, les armes sont pointées en direction de la population. Les hélicos survolent la ville jour et nuit. Ou encore les escadrons de la mort, qui ne sont rien d’autres que des policiers en civil envoyés par les caciques et le gouverneur et qui tirent sur la population la nuit à partir de camionnettes. Tout ça sous l’oeil bienveillant de l’Union Européenne, qui gagne des sommes colossales en exportant des armes vers le Mexique tout au long du mandat présidentiel de Fox.
Celles et ceux qui luttent à Oaxaca comme ailleurs au Mexique savent qu’ils encourent de grands risques. Les manifestations dégénèrent en affrontements, la bonne vieille technique du flic en civil infiltré dans la manif qui chauffe la police sévit ici aussi. Sortir après le coucher du soleil revient à risquer de se faire tirer dessus par les forces de l’ordre et les paramilitaires.

4 . « Tout le pouvoir au peuple » [1]

Que va-t-il advenir à Oaxaca ? L’APPO continue à organiser d’énormes manifestations dans Oaxaca, malgré l’omniprésence de la PFP dans les rues de celle-ci. Radio Universidad émet jusqu’au 29 novembre, relayant en suite via internet les informations qui démentent les « Tout est revenu au calme à Oaxaca » proférés par Ruiz, visiblement pas décidé à démissionner (« Celui qui impose et retire, c’est Dieu », dit-il encore). Au sein de l’APPO, certain-es négocient avec la PFP le déroulement des manifestations, d’autres (« la base »), ne s’en approchent que pour tenter de la faire dégager et profitent de chaque occasion pour tenter de ré-occuper le zocalo.

La date d’investiture de Calderon se rapprochant, les différentes conceptions de la lutte pour la démocratie apparaissent plus clairement. Il y a celleux qui se battent essentiellement pour que disparaissent les pratiques de fraudes et de corruption, soutenant dans leur majorité le combat juste que prétendent mener Obrador et le PRD pour destituer Calderon. Il y a celleux qui soutiennent le projet d’une démocratie participative, promouvant les initiatives populaires et l’organisation de référendums. Et puis il y a tou-te-s celleux qui sont pour l’autonomie, il n’y a qu’à voir ses pratiques pour constater que ce sont les plus nombreu-se-s au sein de l’APPO. Sauront-illes continuer à faire l’expérience du nouvel ordre social qu’illes incarnent ? Si Ruiz venait à être limogé, le sentiment de victoire sera-t-il plus fort, ou du moins plus largement partagé, que celui que la lutte doit se poursuivre ? . Dans le manifeste de l’APPO comme lors des dernières manifestations, on voit bien que l’heure n’est pas au découragement. Si l’action se concentre autour de la libération des prisonnier-e-s et l’arrêt des violences policières, l’APPO continue à appeler à la lutte à l’échelle locale, nationale et internationale.

Que va-t-il advenir de l’APPM ? Puisque, dans l’idée de former une coalition alternative la plus large possible aux partis au pouvoir (PRI de 1920 à 2000, et depuis PAN), les membres du PRD sont les bienvenus au sein de l’APPM, le risque existe que celle-ci ne se fasse manipulée en vue de n’être principalement vouée qu’à soutenir Obrador dans sa course pour le pouvoir. Celui-ci profite de la situation pour se déclarer « proche du peuple », dénoncer avec force démagogie la répression qui s’est abattue à Oaxaca à cause de ses rivaux. Tout à fait dans la lignée d’un Lula ou d’un Chavez. Rappelons que même l’EZLN, qui avait décidé de baisser les armes pour mener à travers tout le Mexique son « Autre campagne », soi-disant non électorale, a fini par appeler à soutenir Obrador.
Il serait cependant prématuré et vainement pessimiste d’enterrer les espoirs que suscitent la création de l’APPM. L’un de ses principaux objectifs est quand même, dans la lignée directe de l’APPO, de permettre l’existence d’assemblées « pour retrouver les traditions collectives, communautaires et populaires, qui trouvent dans les assemblées l’expression la plus complète et la plus développée de la démocratie directe ». Des APP voient le jour toutes les semaines au Mexique. Comme au Chiapas, le 11 novembre, à l’initiative de 25 organisations sociales. Comme à Mexico le 26 novembre, où une banderole érigée sur le zocalo affirme : « La démocratie est morte. S’il n’y a pas de solution, ce sera la révolution ».

titre documents joints

Notes

[1C’est par ces mots que se termine le Manifeste de l’APPO, rédigé le 30 novembre 2006