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Coup d’Etat au Niger

mercredi 5 mai 2010


Le 18 février, le Niger, ancienne colonie
française au sous-sol riche en uranium,
a connu un nouveau coup d’Etat.
Mamadou Tandja, président depuis 1999 a
été renversé par l’armée. Il est d’ailleurs
amusant de voir que les chefs militaires qui
l’ont renversés sont les mêmes que ceux qui
l’avaient porté au pouvoir après avoir viré
son prédécesseur. Ce changement brutal de
régime arrive alors que Tandja, de plus en
plus contesté, ne voulait pourtant plus lâcher
le pouvoir alors que la population
nigérienne vit dans les pires
difficultés puisque les cas de
famine se multiplient.

Dernier acte pour un Ubu de seconde zone

En 2007, le gouvernement
est renversé par une motion
de censure du parlement,
mais Tandja
profite de la lutte
contre la rébellion
touareg du nord pour
se maintenir au pouvoir
et renforcer celui de l’armée.
Il se comporte alors en parfait autocrate
à coup de répression brutale contre
les Touaregs et contre ses opposant-es. Fin
2008, il cherche à modifier la constitution
pour se maintenir au pouvoir. Après le refus
du conseil constitutionnel et l’opposition de
l’assemblée, il dissout le parlement et s’octroie
les pleins pouvoirs, faisant passer sa
réforme constitutionnelle après un referendum
bidon en août 2009. En octobre, il organise
de nouvelles élections législatives,
évidemment truquées. L’opposition et la société
civile appellent à boycotter (aux 51,5%
de participation annoncés par l’État, ses opposant-
es avançaient le chiffre de 5%).

Un régime contesté

Malgré ce comportement de potentat
classique de la Françafrique, Tandja était
de plus en plus contesté. La mobilisation
sociale prenait de l’ampleur contre le gouvernement,
la misère ou l’exploitation terrible
des mines d’uranium, sous l’autorité
de l’entreprise française AREVA, tant pour
les populations voisines que pour les travailleurs.
L’armée aussi commençait à en
avoir ras-le-képi de ce président pourtant
sorti de ses rangs. Enfin, il a été aussi
lâché par d’anciens Etats alliés puisque le
Niger a été suspendu en octobre de la
Communauté économique des États de
l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), que
Tandja avait pourtant dirigée en 2007, et
enfin par l’UE qui avait récemment suspendu
son aide humanitaire. Seule la
France s’était jusqu’alors fait remarquer
par son mutisme.

Les connexions mafiafricaines

En effet, si le Niger occupe les
dernières places au classement
du développement humain
(IDH), que les crises de malnutrition
voire les famines sont
monnaie courante,
son sous-sol est riche,
particulièrement en
uranium (7,5% des ressources
mondiales) essentiellement
exploité
sans vergogne par AREVA.
C’est d’ailleurs après que
sa patronne, Anne Lauvergeon,
se soit rendue au
Niger pour l’inauguration de
la mine géante d’uranium à
Imouraren que Tandja a annoncé
son projet de modification constitutionnelle
en mai 2008.

Par ailleurs, toujours en 2008, Bolloré,
l’un des caïds de la mafia françafricaine,
s’est rendu maître du port de Cotonou au
Bénin voisin, par lequel transitent les
échanges du Niger. Or pour les autorités
et le patronat français, il faut à tout prix
préserver la stabilité pour faire du business.
C’est d’ailleurs le credo principal du
secrétaire d’Etat à la coopération Alain
Joyandet.

Ce qui se cache derrière le coup d’Etat

Dès lors, il peut paraître surprenant qu’un membre éminent de la Françafrique
puisse ainsi tomber et que la France ne soit pas plus intervenue dans
son pré carré pour le maintenir au pouvoir.

On peut émettre plusieurs hypothèses :
 La France a finalement lâché son pantin qui devenait trop grotesque et impopulaire,
pour reprendre le boulot de pillage des ressources avec ses successeurs.
 La France ne voyait peut-être pas d’un bon oeil la part croissante de la Chine
dans l’exploitation au Niger, la China National Petroleum Corp ayant conclu
un contrat de cinq milliards de dollars en juin. On peut d’ailleurs noter que
Joyandet a déclaré, après le coup d’Etat, que les intérêts d’AREVA n’étaient
pas en danger au Niger. On note aussi les relations diplomatiques entretenues
entre Khadafi et la junte. Or, le dictateur libyen sert souvent de mercenaire
pour l’État français en Afrique.
 La France perd de son autorité dans son pré carré depuis la fin de la guerre
froide et ne peut maintenir tous ses pantins au pouvoir. Ainsi, malgré le mutisme
de la France, l’UE avait suspendu son aide humanitaire et la presse internationale
dénonçait la situation au Niger, mettant notamment en avant le
poids croissant de milices d’Al Qaidâ là-bas. Le poids croissant des Chinois
pouvant aussi éventuellement expliquer une intervention en sous-main du
monde anglo-saxon.
 La France, consciente de sa baisse d’influence, a décidé de s’allier avec d’autres
pays européens pour maintenir les intérêts de firmes comme AREVA ou
Bolloré, quitte à lâcher son ancien pantin. Au niveau des communications officielles,
on peut d’ailleurs voir que la Chine semble le pays le plus inquiet
quant à ses intérêts économiques au Niger.

Quoi qu’il en soit, si la population nigérienne ne semble pas le moins du
monde touchée par l’éviction de Tandja, elle ne semble pas partie pour voir
sa situation s’améliorer, la famine menaçant toujours. Plus que jamais, il faut
soutenir les populations en lutte en Afrique et se battre chez nous contre les
Etats et le patronat qui, à l’aide de leur réseau, organisent le pillage des ressources
et se paient un jeu de diplomatie “pour de vrai” où des milliards de
personnes servent de pions.