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Elle a bon dos, la crise !

mercredi 5 mai 2010


La crise, un contexte assommant

Depuis fin 2008, le mot le plus utilisé
dans le monde du travail est peutêtre
“crise”. La crise est présentée
par le tenants de l’économie libérale
comme on annonce une catastrophe naturelle”
aux informations télévisées. Nous ne
voulons pas lutter contre la crise car nous
sommes anti-capitalistes et notre projet de
société libertaire n’a rien à voir avec la remise
à flot de l’économie. Mais nous ne
sommes pas dupes. On veut nous faire
croire que la crise est étrangère au système
libéral, que celui-ci en est “victime”,
or il en est la cause. Le capitalisme s’en
nourrit. La crise est un moyen – un outil –
au service du système capitaliste. Elle permet
de justifier les politiques de restructurations
des patrons et les politiques de
réformes des Etats, les deux allant de
concert. Pour un peu, ceux-là nous demanderaient
de les plaindre, comme s’ils n’y
pouvaient rien de licencier, de délocaliser, de
fermer les boutiques.

Pourtant en 2009,
les sociétés du
CAC40 ont encore
affiché des bénéfices
écoeurants.
Après avoir été désignées
comme coresponsables
de la
bulle spéculative à
l’origine de la crise
financière, puis allègrement
renflouées
par l’Etat, les
banques et les assurances ont enregistré
les progressions de profits les plus importantes
en 2009, hormis la Société Générale
désignée comme le “mauvais élève” à la
vindicte populaire. Mais les autres secteurs
ne sont pas en reste. Total partage avec Sanofi-
Aventis la palme des bénéfices records
avec 7,8 milliards d’euros, vous lisez bien.
Le groupe pétrolier distribue 14% de dividendes
à ses actionnaires alors qu’il méprise
ses salarié-e-s dans le même temps.
Bien-sûr, les capitalos ont fait diversion en
désignant des coupables : Madoff pour le
monde, Kerviel pour la France. Mais pendant
ce temps le système de domination
économique se maintient et s’amplifie
même. C’est l’occasion pour les plus riches
d’accroître leur domination sur les plus
pauvres, en drapant leurs appétits féroces
d’une nouvelle caution morale qu’ils appellent
“crise”. Pendant ce temps, le nombre
de personnes précaires – avec ou sans travail
– s’accroît.

L’Etat, le rouage sans lequel le capitalisme ne serait pas possible

L’Etat orchestre sans sourciller. Tout
d’abord, il calme le jeu et la population en
activant son appareil médiatique. Il annonce
à grand fracas que les “patrons
voyous” devront payer, que tous les excès
seront punis, qu’il faut de nouvelles règles
pour contenir les appétits du marché, que
la spéculation a assez duré. Mais à peine le
dos tourné, les gouvernements européens –
gouvernement français en tête – renflouent
les banques à coup de centaines de millions
d’euros … pour permettre au marché
de continuer à fonctionner ... comme avant !

Les Etats assurent
donc d’abord la
campagne de communication
de “La
crise”. Les médias
jouent leur partition
– télévisions, radios
et presses bourgeoises
– et diffusent
la bonne parole
capitaliste. L’objectif
est clair : assommer
la population,
éviter tout embrasement
social, maintenir
la chape de plomb pour que chacun-e
continue à courber l’échine sans protester,
et aussi faire diversion en mettant à la Une
d’autres peurs. La campagne médiatique
de la grippe A à partir de mai 2009 a eu
aussi pour effet de faire passer au second
plan des actualités médiatiques les dizaines
de luttes qui se multipliaient partout
en France. L’Etat met tout en oeuvre pour
que les luttes locales ne puissent trouver un
écho médiatique et se fédérer à travers un
mouvement large : Atomiser les personnes
et réduire les luttes, voilà son premier but.

C’est une des raisons – pas la seule – qui
pousse les salarié-e-s en lutte à imaginer de nouvelles formes d’actions : rendre visible
leur mobilisation, pour forcer les médias
à en parler. Cette raison “médiatique”
rencontre une conscience de classe accrue.
Les modes d’actions optés marquent de
plus en plus clairement l’affrontement
entre classe dirigeante et classe dirigée.
Renouant avec des pratiques courantes
dans les années 70, l’année 2009 voit le
nombre de séquestrations de patron-ne-s et
de cadres dirigeants se multiplier : Sony,
3M, Caterpillar (mars 2009), Scapa , Molex
(avril 2009), Rohm and Haas (octobre
2009), Sullair (mars 2010). Ces actions se
révèlent efficaces pour peser sur les négociations.
À chaque fois, les revendications
sont écoutées, les indemnités de départ
augmentées et les congés pour reconversion
allongés. Elles rencontrent aussi une
certaine sympathie auprès d’une grande
partie de la population qui juge cette pratique
“acceptable”.

Là encore l’Etat vient à la rescousse des
pauvres patron-ne-s séquestré-e-s. Sarkozy
de rappeler “l’Etat de droit”, et d’annoncer
“Qu’est-ce que c’est que cette
histoire d’aller séquestrer des gens ? On
est dans un État de droit, il y a une loi qui
s’applique, je la ferai respecter”, gommant
évidemment la dimension politique de l’action
pour en faire une question pénale.
C’est d’ailleurs bien au pénal que l’Etat attaquera
6 salarié-e-s de Continental (Clairoix
 Oise) en justice pour avoir cassé
quelques meubles à la sous-préfecture de
Compiègne en avril 2009.

Après avoir orchestré l’abrutissement médiatique,
l’Etat envoie donc sa police et sa
justice aux basques des récalcitrant-e-s.
La troupe est régulièrement envoyée pour
casser les grèves et les occupations d’entreprises
 : interventions musclées, gazages,
arrestations. Tout récemment les
salarié-e-s de Sodimatex – usine de moquettes
pour voitures du groupe Trèves à
Crépy-en-Valois (Oise) – en ont fait l’expérience.
Au mépris de la direction qui fait
lanterner les salarié-e-s depuis 1 an quant
au sort qu’elle leur réserve suite à l’annonce
de la fermeture du site, la réponse
de l’Etat est d’envoyer les CRS gazer les
grévistes qui occupaient l’usine. Les grévistes
font pression sur la direction et le
Préfet en menaçant de faire exploser l’établissement
après avoir disposé des cocktails
molotov autour d’une cuve de gaz.
L’enjeu est de pouvoir négocier le plan social
pour obtenir de vraies reconversions et
de meilleures indemnités de départ.

A Total – Dunkerque, la manif qui suit
l’annonce de la fermeture du site le 8
mars, à laquelle se sont joint-e-s d’ancienne-
s salarié-e-s de Goodyear Amiens et
Continental Clairoix est réprimée violemment.
Et quand ce n’est pas la police
d’Etat, c’est la direction (avec la bienveillance
du sous-préfet, quand même) qui se
paie une milice privée pour
tenter d’empêcher l’occupation
de la raffinerie. On interdit
l’entrée principale aux
grévistes, qu’à cela ne tienne
ils rentreront par les fenêtres
 ! L’occupation continue.

A chaque fois, L’Etat s’est
montré être l’ennemi des travailleurs-
euses en lutte. Nous
ne pouvons rien en attendre
ou seulement des coups bas.

Les centrales syndicales : “que la paix sociale soit avec vous”

Dans ce contexte plutôt explosif,
de nature à faire naître
de fortes résistances sociales,
comment se comportent
les centrales des
syndicats co-gestionnaires ?
Et bien, sans surprise, elles
co-gèrent la crise en bonne
intelligence avec leurs partenaires patronaux et étatiques. A peine entend-
on quelques protestations outrées
face aux parachutes dorés que s’octroient
les fossoyeurs capitalistes. Pourtant, un
peu partout, fermetures, licenciements, restructurations,
plans sociaux sont annoncés
à tour de bras. Les salarié-e-s -
syndicalistes ou pas - de ces entreprises se
battent souvent bien seul-e-s. La lutte des
Contis depuis 2009, est à ce propos assez
représentative de l’écart qui existe entre le
silence des centrales syndicales dirigeantes
et les luttes qui s’organisent localement
dans les entreprises. Les dirigeants
nationaux CGT ont été dépassés par la
force du mouvement des Contis, brillant
par leur absence et se réfugiant dans un silence
qui en dit long.

Pour autant les Contis ont réussi à drainer
derrière eux un large soutien et à obtenir
par leur lutte des conditions bien
meilleures que celles initialement proposées
par la Direction au moment de l’annonce
de fermeture du site. Cette lutte a
certainement servi d’exemple à plusieurs
autres. Il s’agit actuellement pour les
Contis de s’assurer que l’ensemble des accords
obtenus seront bien respectés, notamment
ceux portant sur le reclassement.
Dernièrement, au titre du reclassement, un
salarié s’est vu proposer par Continental un
poste en Tunisie payé 137 €/mois. Même
après les accords, la lutte continue !

Si la discrétion des instances syndicales à
propos des luttes menées localement a permis
de gagner en autonomie, elles ont rarement
pu se fédérer les unes aux autres,
même au sein d’une même filière. Ne voir
dans ses luttes que la défense d’intérêts locaux
relève d’une certaine myopie. Elles
trouvent toute leur cause dans le fonctionnement
du système capitaliste, et s’il
convient d’exiger aujourd’hui les meilleures
conditions de départ dans les entreprises
qui ferment, on se doit de les mettre en lien
et d’envisager l’avenir autrement. Les luttes
gagneraient certainement à se fédérer en
vue d’un projet de société non-capitaliste.

Total ment encore et toujours

A Total, le mouvement de grève obtient les
meilleures avancées quand l’ensemble des
raffineries Total sont arrêtées – du 17 au 24
février – obligeant les distributeurs de carburant
à puiser dans les stocks. L’Etat craint
la pénurie et demande à la Direction de
Total de “discuter”. Le 24 février, cinq des
six sites obtiennent des garanties lors de ce
CCE, et annoncent la reprise du travail dès
le lendemain. Seul Dunkerque continue la
grève. Les grévistes reçoivent de nombreux
soutiens et on verra se rallier à eux deux raffineries
Exxon (dans les Bouches-du-Rhône
et en Seine-Maritime) et plusieurs dépôts.
L’arrêt de la raffinerie de Flandre a des
conséquences au delà des salarié-e-s. De
nombreux autres emplois sont menacés par
la fermeture de la raffinerie à Dunkerque.
Pour comparaison, Total considère que sa
raffinerie à Feyzin (Rhône) représente 2600
emplois directs, indirects et induits.

Derrière Total, c’est tout le pôle qui est
menacé puisque la raffinerie représente
une part importante de l’activité du port et
qu’il y a fort à parier qu’Arcelor-Mittal – à
la source des revenus d’une famille sur 8
dans le Dunkerquois – attend la fin du
conflit Total pour annoncer sa fermeture :
il n’y a plus d’investissement, plus d’entretien
et seul un départ sur trois est remplacé,
sans aucune formation. Cela pose la
question de la relation de l’activité de raffinage
avec le site et la population qui y
vit. Les projets de substitution étudiés par
les syndicats sont aujourd’hui peu plausibles
 : on a surtout l’impression qu’il s’agit
pour les syndicats de se donner une crédibilité
en se montrant “constructifs”,
comme on dit. Et en validant implicitement
la thèse patronale d’une activité qui
aurait fait son temps, alors que c’est bien
la course aux profits qui est la cause de
cette fermeture annoncée.

Le groupe Total a planifié la fermeture du
site depuis longtemps, comme De Margerie
(directeur général) s’en vantait déjà en
septembre 2009 dans une réunion de financiers.
Une méga-raffinerie est d’ailleurs
en chantier à Jubaïl (Arabie Saoudite), où
Total exploitera à coûts plus faibles, prouvant
là encore que la seule motivation des
dirigeants est d’augmenter leurs profits
dans le plus grand mépris pour les personnes
qui travaillent et vivent sur place.

Sans patron-ne, tout refonctionne

A Total, la question de faire fonctionner la
raffinerie sans patron s’est posée. La tentation
de l’autogestion est légitime et se
conçoit aisément, mais l’idée se heurte à
des obstacles de type juridique et aux
risques liés aux accidents éventuels. A Philips
Dreux, les 150 salarié-e-s promis aux licenciements
suite à l’annonce de la
fermeture économique de l’entreprise, ont
eux passé le pas de la réappropriation de
l’outil de travail, en votant le 5 janvier
2010, la reprise de l’activité sans patron. Ils
parviennent sans mal à redémarrer l’activité
et à remplir le planning de production
pour janvier, en faisant référence aux Lip
de 1973 : “On fabrique, on vend, on se
paie”. L’espace de quelques jours, l’usine
Philips devient une petite école autogestionnaire,
à l’image des Usines sans patron
argentines.

Le 12 janvier, la Direction – pourtant murée
dans un silence dédaigneux depuis plusieurs
mois sur le sort réservé aux salarié-e-s – envoie
les huissiers constater “l’infraction” et
reprendre le contrôle de la production. Des
vigiles sont aussi appelés en renfort par la
direction pour décourager le combat. 9 travailleurs
sont menacés de licenciements
pour faute lourde, les salarié-e-s décident
alors de stopper la reprise de contrôle de la
production. Là encore, l’arsenal juridique
s’avère être un outil aux services des dirigeants.
Faut-il attendre une faillite de l’Etat,
comme en Argentine en 2001, pour que l’autogestion
devienne possible ?

L’autogestion est pourtant la seule voie organisationnelle
viable. Organiser la production
avec celles et ceux qui consomment et celles et
ceux qui produisent, sans les profiteur-euse-s,
permettrait de revenir à la question fondamentale
 : pourquoi produire ? Et comment ? Et du
coup, produire des choses utiles, en fonction
des quantités nécessaires et non de ce qu’elles
peuvent rapporter. L’industrie pétrolière, ô combien
polluante et liée au Dieu-bagnole, est bien
entendu au coeur de ces questionnements.
Produire également dans une optique égalitaire
 : pourquoi le boulot des un-e-s aurait-il plus de
valeur que celui des autres ?

Tout ça vous tente ? On s’y met quand
vous voulez ! Contre la crise, produisons
ensemble, utile et autrement !