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Quand Budapest, les fachos rient

vendredi 6 octobre 2006


En mai, lors d’une convention du Parti Socialiste (MSZP) auquel il appartient, le 1er Ministre hongrois Gurcsàny a déclaré (à huis clos) que son parti avait menti pour gagner les dernières élections législatives et qu’il allait être temps de s’engager dans une politique plus franche. Des émeutes violentes se sont déclenchées lundi 18 septembre. Les médias de masse nous annonçaient alors tranquillement que ces évènements, initiés par l’extrême droite, avaient pour cause un “mensonge” du 1er Ministre.
Sérieusement, est-ce que savoir qu’un politicien a menti suffit à déclencher de tels mouvements ? Les Hongrois-es auraient donc une si haute idée de la démocratie ? évidemment non, l’important est l’objet du mensonge... Mais pas grand chose là-dessus dans la presse bourgeoise occidentale. Ce mensonge portait sur les choix économiques et sociaux du gouvernement et donc sur les perspectives économiques et sociales de la population.

Dans le cadre d’une ouverture massive aux capitaux étrangers et du dépérissement d’une bonne partie des structures de l’ancienne économie nationalisée, la Hongrie rencontre des difficultés d’intégration à l’Europe économique.

Pour se faire élire en avril 2006, le parti de Gurcsàny a fait des choix de politique sociale assez peu communs pour un pays qui vise les critères de convergence pour entrer dans l’Union Européenne et la zone euro : hausses des salaires, non-imposition des bas salaires, hausse des pensions de retraite, subventions aux entreprises de transport... Mais la pression des capitaux internationaux exigeait que le mouvement soit inverse : privatisation et désengagement de l’Etat, libéralisation massive de l’économie sous le prétexte de s’intégrer à l’économie de marché, de respecter les “lois” de la concurrence, de réduire la dette publique et le déficit budgétaire. Ces deux derniers éléments font partie des critères de convergence d’entrée dans la zone euro (dette publique inférieure à 60% du PIB, déficit budgétaire annuel inférieur à 3% du PIB). Le déficit budgétaire est supérieur à 10% en Hongrie. C’est à ce sujet que Gurcsàny a menti et nulle part ailleurs. Il a donc commencé à annoncer un “tournant de la rigueur” façon Fabius (vous savez, le gauchiste du PS). L’inquiétude de la population hongroise porte donc sur son avenir économique et social, et pas seulement sur l’impression d’avoir été dupée par le pouvoir politique. Après 45 ans de communisme autoritaire, les Hongrois-es savent ce qu’est un mensonge d’Etat.

L’opposition de droite, moralement conservatrice et économiquement libérale (comme c’est original !), elle, avait promis le même type de mesures que la faction rivale. Après avoir probablement organisé la diffusion de la vidéo du “mensonge” de Gurcsàny 3 semaines avant les élections municipales, elle se frotte les mains. Organisée dans une coalition où elle fait le grand écart avec les fachos, l’opposition se frotte les mains en condamnant les violences qui ont émaillé les manifs de septembre tout en appuyant secrètement les groupes fascistes qui en sont à l’origine.

Pourquoi l’extrême droite ?

Comme dans beaucoup de pays de l’ancien bloc de l’Est, l’extrême-droite hongroise est pas mal organisée et compte des militant-e-s actif/ves en particulier chez les skinheads et les hooligans des clubs de foot, qui ont arrêté pour l’occasion de se taper dessus entre eux. Ces groupuscules, comme Jobbik Magyarországért Mozgalom et 64 Vármegye Ifjúsági Mozgalom, n’hésitent pas à faire référence à la période nazie (la Hongrie était une alliée du 3ème reich) en ressortant dans les manifs le drapeau adopté à l’époque, orné du symbole de la 1ère dynastie hongroise (la maison Àrpàd), mais aussi en détournant le sens du soulèvement de 1956. Ce mouvement, qui exigeait un desserrement de l’étau de Moscou et une libéralisation politique, est présenté aujourd’hui par les fachos comme un sursaut nationaliste.

Les manifestations exigeaient au départ la démission du gouvernement. Ces groupes organisés ont réussi à prendre la tête du mouvement et réclamé un changement de régime, à base de slogans nationalistes et antisémites. Les orateurs / leaders fachos ont escamoté les craintes à l’origine de la révolte populaire, qui sont des craintes sociales, pour le déguiser en mouvement fondé sur des mythes nationalistes. Les émeutes ont eu lieu le lundi et le mardi, la télé nationale a été pillée et un mémorial soviétique endommagé. Nous ne pleurerons pas dessus. Les évènements violents ont cessé le mercredi, une partie de la population ayant certainement fini par prendre le mesure des objectifs de ceux qui essayaient de les mener.

Qui manipule qui ?

Tout semble donc “rentrer dans l’ordre”, comme on dit. La campagne électorale s’est achevée, les élections municipales du 1er octobre ont vu la victoire de la droite, qui demande la démission du gouvernement en organisant des manifestations. Tout cela a un petit goût de déjà vu. L’opposition peut désormais agiter les spectres de l’extrême-droite et de l’immoralité du gouvernement en se présentant comme l’alternative suite à de savantes manoeuvres, comme on l’a déjà vu en Ukraine, en Serbie, en Géorgie, en Azerbaïdjan. De là à voir derrière ces manipulations la main de velours de la C.I.A., il n’y a qu’un pas.

La faiblesse des mouvements sociaux et syndicaux en Hongrie, là aussi comme dans beaucoup de pays d’Europe de l’Est, peut expliquer le hold up des nationalistes sur le mouvement. Les organisations ouvrières et étudiantes n’ont guère de crédit ni d’audience. Espérons que se construise un réel mouvement de masse, fondé sur les exigences sociales de la population de Hongrie en difficulté et ne se laissant pas abuser par les chimères des nostalgiques du fascisme ou des bolcheviks. Soyons certains que l’illusion d’une alternance politique ne fera pas long feu. Alors la mobilisation et la vigilance de la population seules pourront apporter des changements positifs dans ce pays.