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"Vote, ne te bats plus !"

vendredi 6 octobre 2006


C’est par ces mots qu’en 1850 Hugo célébrait la mise en place du suffrage universel par une seconde République moribonde. Il montrait ainsi sa joie de voir le peuple de Paris déposer les fusils après la Révolution sociale et politique de 1848. Le peuple parisien n’a alors plus lutté... et Napoléon le petit fit de la République un empire autoritaire par la grâce des urnes.

Ces mots, on croit les entendre de nouveau aujourd’hui quand Jamel Debbouze et Joey Starr parcourent sous les projecteurs les barres des banlieues populaires pour que les “jeunes” s’inscrivent sur les listes électorales. Sur la lancée France 2 nous proposait, un midi, un groupe de Rap made in THE Banlieue qui demandait aux “émeutierEs” de novembre 2005 de contrer la misère à coup de cartes d’électeur, “plus efficace qu’un cocktail Molotov”.

Ce discours a priori risible quand on pense à ce qu’ont apporté les victoires de la gauche, peut tout de même se révéler dangereux.. L’expérience antérieure des mairies communistes est à ce titre révélatrice. Les fameuses “banlieues rouges” nous montre bien que la main-mise (partielle) d’un parti censé défendre les intérêts de la classe ouvrière n’a pas amoindri la misère des pauvres y compris localement. En revanche les bureaucrates stalinienNEs (imités par les sociaux-démocrates de la SFIO) ont tout fait pour encadrer cette population ouvrière “à risque” et l’emmener sur la voie de la normalisation. Pour cela ils et elles ont usé du système associatif, de l’encadrement par les cellules militantes tout en mettant en avant les normes de vie bourgeoises (l’historienne du communisme français Annie Kriegel décrit ces “bons militants” réputés “bons pères de famille”...). Bref, c’est vers la normalisation-acceptation de la misère que nous conduit cet électoralisme, même chez les tenantEs d’un discours communautariste. Cet appel à s’inscrire sur les listes électorales, aussi sincère soit-il, ne servira (s’il fonctionne, ce qui est peu probable) qu’à mettre un peu d’eau sur le feu de la révolte populaire qui embrasa les quartiers populaires en novembre.

De plus, il s’inscrit dans un véritable tour de passe passe démagogique puisqu’on laisse plus qu’un peu planer la peur d’un 20 avril 2002 bis. De la part de la gauche institutionnelle ou pseudo radicale, au danger Le Pen on ajoute aussi la menace Sarkozy. Si PC, LCR, et autre gauche “noniste” essaient de récupérer les révoltéEs de novembre 2005 et de la lutte contre la loi sur l’égalité des chances, droite et gauche institutionnelles misent quant à elles sur le “vote utile” dès le premier tour en jouant une partition qui mêle peur du FN et obsession sécuritaire (qui fait le lit de l’extrême-droite).
Au final, il y a peu de chance que les jeunes issuEs des quartiers populaires prennent le chemin des urnes malgré le tapage médiatique. Alors, l’échec de cette campagne pourra gaiement être utilisé par nos analystes à deux sous (mais grassement payés) de la vie politique comme un renoncement de ces mêmes jeunes à exercer leur “citoyenneté”, à prendre leur vie en main. Bref de victimes, elles/ils redeviendront bien vite responsables de leur situation avant de finir une fois de plus boucs-émissaires faciles d’une campagne électorale tout sécuritaire. Quant aux causes profondes de l’abstentionnisme populaire (mise à l’écart de toute décision les concernant, misère entretenue, absence de toute illusion vis-à-vis des partis...), on pourra les ranger au placard !

Pourtant les raisons de se révolter sont légion. Depuis décembre 2005, en réponse aux “émeutes”, le gouvernement a créé de nouveaux contrats de merde qui renforcent la précarité (l’essentiel étant passé malgré la lutte contre la loi dite de “l’égalité des chances”), les liens sont renforcés entre police et services sociaux pour mieux contrôler et punir (voir l’article sur la délinquance), les services publics utiles sont encore bradés : fusion annoncée GDF-Suez etc. ou sabrés (27 000 suppressions de postes annoncées dans la Fonction Publique). Les lendemains qui s’annoncent sont donc toujours aussi moroses : les pauvres resteront toujours aussi pauvres et si elles et eux ne veulent pas l’accepter, à gauche comme à droite on les fera marcher au pas dans un ersatz de service national, et on mettra les plus récalcitrantEs en prison ou en centre éducatif fermé pour les plus jeunes.

Au delà du discours ambiant, il n’y a pas de fatalité à la misère et à la répression, mais seule la lutte menée collectivement pourra changer les choses, et certainement pas les rodomontades sans lendemain des professionnelLEs des campagnes électorales ou le repli identitaire prôné par quelques autres. Alors contrairement à ce qui disait Hugo :

Les élections ne changent rien ! Bats toi !