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Tous fliqués... et bientôt tous flics ?

vendredi 6 octobre 2006


Novembre 2005 : ministère de l’intérieur et gouvernement s’appuient sur l’embrasement social des banlieues pour représenter un projet de loi sur la prévention de la délinquance (déjà repoussé en 2004). L’objectif annoncé semble clair : "moins de délinquants chez les jeunes, moins de drogués, et moins d’absentéisme scolaire". Ce projet, examiné en ce moment par le Sénat, envisage tous les domaines de la vie : santé, éducation, le social, la justice, le logement. Toutes les personnes vivant sur le territoire seraient mises sous surveillance, dénoncées et punies si elles rencontrent des difficultés : voilà la stratégie adoptée en terme de prévention.

Nous voilà donc de nouveau face à l’avancée d’un véritable projet de société, dans un texte proposé au moment opportun, fondé sur la méfiance vis-à-vis du secteur associatif et des acteurs/actrices de la prévention de la délinquance. Ne soyons pas dupes, ce projet porte en lui les traits caractéristiques d’un projet sécuritaire et capitaliste à travers :
 le renforcement du contrôle social et la prévention de la contestation issue de la misère, ou du moins de la précarisation de la société.
 la rentabilité du travail social et du service public.

Contrôle, fichage, mise en réseau

Prétextant le partenariat, toutes les informations détenues par divers professionnelLEs du social, de l’éducation et de la santé (interventions des travailleur/euses sociaux, absentéisme scolaire, suivi médical des jeunes enfants, troubles à l’ordre public, éléments médicaux, hospitalisation d’office...) seraient transmises au maire et constituées en fichiers. Une des mesures phares de ce retour en arrière est donc l’abandon de la notion de « secret professionnel » : le maire se retrouve dans une position de shérif tout-puissant. Or chacun sait qu’il est essentiel que les personnes puissent continuer à bénéficier de garanties de protection de leur vie privée, lorsqu’ils ont besoin d’une aide. C’est parce qu’ils savent cette confidentialité protégée que les parents acceptent de faire part de leurs difficultés les plus graves et de recevoir le soutien des professionnelLEs qui sont alors fondés à élaborer avec eux des mesures de prévention ou de soins. A l’évidence, selon le projet actuel, les “familles” ne pourraient plus faire confiance à ces professionnelLEs et leur parler librement de leurs difficultés. Si cet article était voté, c’est la condition première de tout travail de prévention efficace et de qualité qui serait détruite. Alors, au nom d’une prétendue meilleure efficacité de la prévention, on aboutirait au résultat inverse.

Le pouvoir de contrôle et de sanction des maires serait également étendu (allocations familiales, obligation de stage de responasbilité parentale, « rappel à l’ordre »). Nous connaissions le casier judiciaire. Voici son cousin : le « casier social » qui sera alimenté par les travailleur/euses du social, de la santé et de l’éducation. Rappelons que ces mesures de fichage et de mise en réseau ont été largement expérimentées au niveau local à l’initiative du gouvernement Jospin, avec le développement des contrats locaux de sécurité (CLS). Plusieurs communes de la région en ont adopté depuis 2000.

Service volontaire citoyen de la police

Adopté par le Sénat le 19 septembre, il permet la constitution d’une sorte de milice chargée de surveiller son environnement et son entourage pour la police. On organise le contrôle et la délation : c’est la porte ouverte aux abus. On ne pouvait échapper non plus à la grande révolution technologique (faut bien vivre avec son temps, n’est-ce pas Mr l’ancien président de Lille 3 ? ) et c’est le renforcement de la vidéosurveillance dans les quartiers. Si on ajoute les nouveaux pouvoirs donnés à la police (extension des perquisitions en matière de stupéfiants, possibilité de provocation aux délits...), les différents plans Vigipirate, la critique d’une justice pas assez expéditive, les inquiétudes sont légitimes.

Le dépistage

Ce qui semble devenir une obsession unique, c’est le dépistage des troubles du comportement, préconisé par le projet de loi. On agite l’épouvantail du "gang des barbares", accusé de la mort d’Ilan Halimi : "On ne devient pas barbare entre 22 et 23 ans, il a bien fallu un cheminement, des alertes". Sarkozy se base sur le fumeux rapport Benisti (2003), qui explique combien il est facile de déterminer une courbe d’évolution du délinquant. Courbe pseudo scientifique du parcours déviant commençant à la maternelle pour arriver à la mutli-récidive vers 23 ans... Les problèmes de langue d’origine provoqueraient les problèmes d’indiscipline. L’école primaire accentuerait ces problèmes, sans oublier la sempiternelle démission des parents. Les problèmes de violence scolaire, les redoublements, les larcins, les drogues douces, l’absentéisme seraient autant d’étapes qui scanderaient ce parcours. Il faut donc contrôler. Et pour bien le faire, il faut mettre une pression sociale car c’est bien de contrôle social de la jeunesse qu’il s’agit ici. Toucher et menacer les familles devient donc un moyen :« Si on ne t’a pas, on aura ta famille, tes amis... ». Et hop la suspension des allocations familliales pour les parents de délinquantEs. Tiens, tiens. Il n’y a pas si longtemps, la loi sur l’égalité des chances prévoyait la même mesure coercitive pour les parents d’...élèves absents.
Pourtant, la lutte paie : la recherche systématique chez les enfants de « troubles du comportement » dans le cadre d’un dépistage précoce systématique n’a pas été retenue dans le projet de loi de prévention de la délinquance, présenté en conseil des ministres le 28 juin : c’est un premier succès obtenu par la mobilisation des professionnnelLEs, du social notamment.

Mais rappelons quand même que les enseignantEs sont dans l’obligation de signaler les enfants ayant des difficultés de langues et de discipline...dès la maternelle, qu’un flic-référent est installé dans les collèges, que le fichier « Base-élèves » ne fait que renforcer la surveillance, bref, que l’Enfant est toujours l’objet de la suspicion... Si par le passé, les carnets de santé suivaient le parcours des élèves, aujourd’hui, ce sont les carnets de comportements qui vont suivre tout le parcours scolaire, et une note de « vie scolaire » comptant pour le brevet des collèges est instaurée...

L’outil répressif de la déviance ne fait par ailleurs que se renforcer. À titre d’exemple, on peut évoquer le centre de Saint Ouen réservé aux adolescants ou les Centres d’Education Fermés construits pour les jeunes adolescentEs (13/16 ans)..., la construction d’une prison pour mineurEs à côté de Nantes à Lavorde (chantier qui a été occupé au nom d’une atteinte à l’ordonnance de 1945). L’impression générale est que ça devient monnaie courante. Les syndicats réagissent pour certains mais cela reste insuffisant.
Quant aux suivis des jeunes déviantEs, on assiste finalement à un détournement du soin. Pourtant, le suivi pédo-psychiatrique repose sur une idée simple : plus on peut mettre en place des soins rapidement, meilleures sont les possibilités d’évolution. Le nouveau dépistage repose sur une tactique précise : « c’est pour votre bien mais surtout pour dépister autre chose... » C’est comme ça que la désobéissance des touts petits est devenue une quête de la déviance. Ce sont donc les soignants, les médecins qui se retrouvent en première ligne.

Le contrôle des récidivistes

L’assimilation de la délinquance avec la toxicomanie et la violence gratuite est un amalgame classique du discours sécuritaire. Il n’est plus remis en cause, médiatiquement parlant. Sur les mesures visant à prévenir les récidives par un contrôle judiciaire plus fréquent, ces dernierEs deviennent clairement une cible. Leur contrôle devient loi. Il n’est même plus question de réinsertion. Vieilles rengaines. Soyons réalistes et regardons les nouvelles techniques de contrôle...(bracelet électronique...).

Privatisation du secteur social

Cette privatisation qui touche le secteur social s’inscrit d’abord dans l’utilisation d’un vocabulaire spécifique à l’entreprise et dans de nouveaux modes de fonctionnement. C’est le détournement du travail social. L’entrée du monde capitaliste dans ce secteur se fait donc à coup de lois qui officialisent, par exemple, l’évaluation du travail d’une équipe soignante (éducs, médecins, psy) par des personnes extérieures. Cette évaluation doit envisager la possibilité de rentabilité... Des audits (sur les dépenses), des contrats d’objectifs sont instaurés (avant, on suivait une personne « sur le plan social », aujourd’hui, on se demande plutôt si la personne a rempli les objectifs fixés sur son contrat de « bon parent »). On sait bien pourtant que le travail sur l’humain est quelque chose d’’aléatoire : qu’est-ce un résultat dans un suivi psychologique ? On se retrouve devant un protocole qui tend à ne plus tenir compte de la diversité des personnes.

C’est pourquoi les médecins, psychiatres, avocatEs, enseignantEs, magistratEs, travailleur/euses sociaux, associations et organisations professionnelles, syndicats, les associations de chômeurs, de familles et précaires doivent se mobiliser pour dénoncer cette tentative de coup de force du gouvernement, c’est-à-dire l’utilisation du sentiment d’insécurité (largement surfabriqué) des françaisEs à des fins électorales. L’objectif est d’organiser le contrôle et le fichage de pans entiers de la population. Il touche notamment les plus fragiliséEs dans leur situation économique, et ce notamment par la politique de ce même gouvernement (dégradations des protections salariales, des services publics, difficultés d’accès aux soins, au logement ou à l’éducation). Nous sommes devant la privation d’un nombre important de droits et libertés fondamentaux. Les professionnelLEs mobilisés depuis deux ans ou plus contre ce projet de loi en ont apporté la preuve à plusieurs reprises avec des propositions concrètes, mais celles-ci n’ont pas été écoutées.

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