Par dessus les luttes des cheminot-e-s, des travailleur-se-s de l’énergie, des profs, des infirmier-ère-s… on a pu entendre dans le brouhaha social des mois de novembre et décembre derniers (et sans toujours bien comprendre ce qui se tramait), les étudiant-e-s ressortant les banderoles et s’en allant pourfendre le projet de loi dit LRU, se revendiquant de l’Autonomie des Universités. De bien bonnes velléités sur le papier qui se sont vites concrétisées par la grève façon CPE (une grande victoire, nous ont dit les vétérans !) : une réappropriation en règle des lieux d’études et du temps pour se coordonner et sortir gueuler dans la rue. Au plus fort de la mobilisation, une cinquantaine de facs en grève, un début de convergence avec les autres secteurs en lutte, les jours de manifestations et, (oh joie !) un semblant de réaction de la part des enseignant-e-s chercheur-se-s. Bref, pas mal de demi-mesures à l’égard d’une mobilisation en dents de scie.
Un démantèlement en règle du service public d’enseignement supérieur
L’AUTONOMIE des universités, voilà une expression qui pourrait sonner agréablement à l’oreille à première vue. Si l’on s’en tenait à une définition passe partout, on lirait dans n’importe quel dictionnaire que l’autonomie c’est “la faculté d’agir par soi-même de son propre chef sans se laisser dominer par des tendances, ni de façon servile par une autorité extérieure”. Il n’a pourtant pas fallu bien longtemps avant que les étudiant-e-s ne comprennent ce que sous-entendait cette autonomie à ces messieurs/dames du gouvernement : celle qu’illes assènent dans la loi dite “relative aux libertés et responsabilités des universités” (LRU), c’est précisément tout le contraire. Autonomie financière ? Comprenez désengagement de l’Etat (chouette ! et autogestion des lieux ?) et ouverture aux financements privés (ah non, merde !), ainsi qu’augmentation des frais d’inscription ; comprenez accroissement des inégalités et de la sélection sociale à l’entrée et assujettissement des contenus pédagogiques et de la recherche au principe de rentabilité économique… C’est bien simple, quand les maîtres mots d’une réforme qui touche l’éducation deviennent compétitivité, adaptabilité et rentabilité, on lit entre les lignes la remise en cause par le haut du principe de service public. Et depuis le rapport Pochard de janvier 2008, on sait que dans 4 mois, les lycées y auront droit aussi.
En fait il n’est pas bien difficile de remonter le fil des causes à effets : compétition entre universités dans la course aux financements privés = déclassement de celles qui auront échoué (et on peut présager que facs poubelles et facs d’élite n’accueilleront pas le même public). Manque de financements des filières “non rentables” = disparition de celles-ci. Financement des filières rentables = création de la licence Michelin pneus lisses enseignée dans les amphithéâtres Bonduelle (à l’EDHEC de Lille, il y en a déjà un de ce nom…) et stage à La Redoute pour les étudiant-e-s en Lettres (vu à Lille 3). A l’arrivée une conception “réaliste” de l’éducation : en faire une donnée convertible sur le marché du travail. Si ça ne te sert pas à aller te tuer à la tâche plus tard, alors pourquoi étudier ?
Et puis pour ne pas faire les choses à moitié, le patronat local fait également main basse sur le conseil d’administration. C’est l’autonomie administrative célébrée en grandes pompes par l’ouverture aux investisseur-se-s privés, plus nombreu-se-x même, que les représentant-e-s de la communauté universitaire. Remodelé à la sauce entrepreunariale, le CA (et notamment son président-e dorénavant beaucoup plus puissant-e), pourra gérer à coup de contrats à durée déterminée et d’appels d’offres les personnels d’entretien qui ont depuis longtemps déjà perdu leur statut de fonctionnaire, mais aussi le recrutement des enseignant-e-s dont ça ne vas pas tarder à être le cas. Jouant à souhait sur la réduction des coûts grâce à son équipe élargie de DRH et de comptables, le C.A deviendra pour le coup, une vraie petite PME. Aujourd’hui, pratiquement toutes les universités semblent avoir adopté les nouveaux statuts LRU, histoire d’être opérationnelles dès la rentrée 2008. A Lille 3, faisant face à l’envahissement du Conseil d’Administration le 1er février dernier, le président J-C Dupas a considéré préférable d’adopter ces nouveaux statuts l’après-midi même lors d’une réunion délocalisée au rectorat de Lille, et sous protection policière.
Comme un air de déjà vu…
Si les étudiant-e-s sont monté-e-s au créneau ce n’est pourtant pas tant pour se faire les chantres du système universitaire tel qu’il existait précédemment que pour reconstruire un nouveau temps et un nouvel espace de lutte, d’échanges de vues, de rencontres et de propositions… Hors de question pour les assemblées générales de lutte, relayées chaque semaine par les appels de la coordination nationale, de défendre la démocratie universitaire type délégation de pouvoir et de tomber dans le marasme pacificateur des tables de négociations. Un seul mot d’ordre pour les étudiant-e-s : l’abrogation comme base minimum. Sans grande naïveté toutefois puisque l’expérience des luttes passées nous l’a appris : on a tôt fait de détourner l’attention lorsque la locomotive est de toute façon déjà lancée à grandes enjambées. Ce qui compte, c’est de commencer à penser comment la faire dérailler.
Dans cette perspective, ce qui est relativement pratique c’est de parvenir à dénoncer l’imposture des syndicats dit représentatifs. Essayez donc de par chez vous, c’est radical : on se débarrasse du même coup de tout un tas de préoccupations parasites qui vont dans le sens du retour au calme et d’un strapontin pour les municipales à Paris ! Pour rappel, le syndicat majoritaire par exemple, l’UNEF avait été consulté, parmi d’autres, en août dernier sur le principe même de la loi avant de tenter, comme à son habitude, de mettre sa tutelle médiatique sur notre mouvement. Il en fallu de peu que l’entarteur ne soit de sortie. Quant à nous, puisque la parole de sieur Bruno Julliard par exemple n’était même pas celle de quelqu’un favorable au mouvement, notre costume médiatique était taillé d’avance. La pluie d’éditoriaux hostiles à la grève avait tôt fait de la réduire à des peurs conservatrices et infondées (voir à ce juger le très bon article du numéro 5 de La Brique). Le simple terme de “blocage” utilisé à tout va sans que jamais rien ne transparaisse de ses réalités internes, suffisait à résumer très professionnellement l’effervescence dans les universités. Le blocage, moyen de poser le débat dans la sphère publique, devenait art de s’accrocher de manière irrationnelle aux avatars du passé, par réaction aux saines évolutions d’une société en mutation… Objectif : saper les grévistes du soutien de l’opinion (ce qui avait été l’un des éléments décisifs au moment de la lutte dite “anti-CPE”) et brouiller les pistes, pour mieux tuer la révolte dans l’œuf. De l’intérieur, s’il y a eu réellement quelque chose de sympathique dans le mouvement anti-LRU, c’est bien la volonté de maîtriser cette parole médiatique. On a ainsi régulièrement privilégié le passage par l’information libre, telle qu’elle existe sur des sites comme Indymedia par exemple, ou via des passages radiophoniques sur Radio Campus, plutôt que de tenter de rivaliser avec la déferlante journalistique ou d’essayer naïvement de l’”investir”. [1]
Dans les trois principales facs mobilisées de la métropole (Lille 1, Lille 2 Porte de Douai, Lille 3 Pont de Bois) mais aussi dans les lycées, l’enjeu devint donc rapidement de se concentrer sur son sujet. A Lille 3, on pense à se servir des locaux malheureusement désertés pour proposer une autre approche à l’enseignement et organiser avec quelques profes encanaillé-e-s pour l’occasion des rencontres/discussions sur des questions diverses et variées tant en littérature que sur la question carcérale. Les occupations de nuit sont elles l’occasion de rassembler un peu de monde en soirée pour jouer aux cartes/chanter/discuter. Quelques proto-initiatives donc bien souvent abouties péniblement, voilà peut-être, ce qui, malheureusement au prix d’un travail de visibilité et d’information moindre que ce qui a pu être fait au printemps 2006, a réellement caractérisé la lutte LRU de 2007… en tout cas celle qui s’est interrompue pour le moment.
Autogestionnaire dans ses intentions mais souvent réalisée sous la férule d’une administration jouant double jeu et/ou de leaders charismatiques et plus ou moins consentants (pas besoin de féminiser la plupart du temps, c’est triste à dire), elle a surtout pêché par ses nombreuses frilosités et son caractère délégué. Ce qui amène forcément à une introspection de l’échec momentané (mais la lutte ça sert aussi à ça).
Et les membres du personnel dans tous ça ? Bien souvent cantonnés dans une réserve très “professionnelle”, les “relais” professoraux, (réduits en tout et pour tout à une poignée de syndicalistes) ont surtout été matérialisés par une vigilance particulière face au chantage pédagogique dont usaient plusieurs de leurs collègues pour nous abjurer au retour au calme. Quant à une éventuelle présence sur les piquets de grève, faut pas déconner ! Dans sa grande majorité, le corps enseignant n’a pas semblé daigner comprendre les enjeux de ce qui se tramait sur la petite planète universitaire, préférant a posteriori livrer l’analyse politique du Figaro ou de Libé (c’est quand même beaucoup plus simple que d’aller voir ce qui se raconte en AG !). Quant au reste du personnel, il y a encore du chemin à faire pour qu’une réelle solidarité s’instaure avec ceux que la précarité des statuts et des revenus tient à la gorge à longueur d’année… et que l’étudiant-e minore très souvent.
Tout le monde il est beau, Tout le monde il est gentil
Rattrapée par l’aspect totalitaire d’une démocrature bien pensante qui s’empresse de vénérer ceux-celles qui décident à longueur d’années à notre place, la lutte étudiante s’est localement construite son propre carcan. Si respecter la démocratie c’est accepter l’intromission de l’administration dans la conduite de la grève et d’hoqueter à la moindre de ses requêtes sous prétexte d’être “clean” et présentables, si c’est la renvoyer à l’isoloir sans la confronter à l’échange de vues et attendre la caution des 50% plus une voix pour agir, alors il y a des questions à se poser sur ce qu’est la “démocratie” en temps normal. Juste une affaire de caution et de légitimité. Juste une bataille de rhétorique pour avoir les mains libres et manipuler tout le monde. Il ne semble pourtant pas qu’une quelconque consultation ait précédé l’envoi de la flicaille par le président de l’université, le 13 décembre dernier, lorsque celui-ci, perdu au milieu de la tempête, nous révélait enfin son vrai visage pour faire taire une occupation un peu trop longue à son goût. Voilà la gueule du soit-disant dialogue qu’il faudrait s’empresser de célébrer pour ne pas se faire taxer de terrorisme.
Cette tyrannie de la majorité passive, instrument idéologique de contrôle et de pacification, entretien de surcroît non seulement l’inertie au sein de la lutte, mais aussi le fossé entre ceux-celles qui décrètent la lutte et ceux-celles qui se contentent de l’approuver et s’en trouvent de fait tenu-e-s à l’écart. En réalité, si les différents partis pris avaient joué cartes sur table dès les premiers jours, au lieu de se comporter, tous bords confondus, comme des manipulateur-trice-s opportunistes, peut être aurions-nous eu quelque chose de plus vivant et avec un peu plus de substance. On ne le répètera jamais assez : la fin, c’est les moyens, alors vivement la démocratie directe et les prises de bec !
Malgré tout, une seule et même lutte !
Pour le coup, et bien que nous nous soyons entendu-e-s dire par les bureaucraties syndicales professorales, étudiantes ou cheminotes notamment qu’il ne fallait surtout pas mélanger les torchons et les serviettes, on comprendra que les revendications des un-e-s et des autres n’étaient au final pas si éloignées. La remise en cause du service public est une perspective aussi proche dans l’éducation qu’elle ne l’est déjà pour l’énergie et le FRET, ou qu’elle ne tardera pas à l’être dans les hôpitaux par exemple. En plein cœur de la lutte étudiante, la visite de Sarkozy dans un hôpital bordelais permettait au triste sire d’étendre sa cuisine libérale à l’accès aux soins : dotations globales, gestion managériales et tutti quanti, nous promettait-il une fois de plus. Aux mêmes objectifs, les mêmes méthodes : la stigmatisation d’un soit-disant échec qui incombe à l’absence patente de subventions publiques et paf ! la privatisation qui tombe, comme moyen de faire du fric sur tout ce qui constitue notre quotidien.
Peut être alors serait-il temps de revoir le couplet sur la prise d’otages. Quel est le mécanisme le plus autoritaire, cette machine à régression sociale sur laquelle nous n’avons strictement aucune prise ou la réaction collectivement réalisée de rupture avec notre quotidien décrépi ? Quelles armes avons-nous pour défendre nos acquis et en réclamer d’autres ? Comment nier qu’à chaque instant nous subissons le poids d’un rapport de force qui nous amène à bosser toujours plus vieux, à payer toujours plus cher notre accès à un semblant d’éducation, toujours plus dociles et malléables, dans un climat de peur constante de se retrouver à la rue, victime de la concurrence entre individu-e-s ? Dès lors ce rapport de force nous avons le choix, soit de le soutenir, soit de le subir. Un mouvement social, un blocage d’université, une grève, une émeute ne sont pas des situations de crise. C’est l’économie capitaliste couplée à la politique libérale, telles qu’elles se coordonnent aujourd’hui, qui sont la crise permanente. Nos luttes quoiqu’on puisse faire pour les discréditer, se perpétueront aussi longtemps qu’un bouleversement politique radical n’aura pas eu lieu parce qu’elles sont l’expression intrinsèque de la guerre sociale née de la société de classes. Et si pour les chiens de garde du système c’est créer une situation de crise que de s’organiser pour se défendre, alors j’emmerde la sortie de crise !