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Ailleurs comme ici, c’est interdit aux populations Rromanis !

jeudi 14 février 2008


Depuis plusieurs mois déjà, des Rroms venus d’Europe de l’Est tentent de s’installer vaille que vaille sur la métropole et vivent dans des conditions inacceptables, sans accès aux droits les plus élémentaires (logement, santé, ressources, scolarité). Inutile de préciser que leur quotidien est celui de sans-papiers : travail au noir, traques policières… avec en plus la barrière de la langue et très peu de bonnes volontés pour les aider à la surmonter. Si l’Europe de Schengen ouvre soit disant ses frontières à ses ressortissant-e-s, les populations rromanis restent sujettes à toujours plus de contrôles et de restrictions : pas de papiers sans ressources, pas de ressources sans papiers. L’accès aux allocations de la CAF sera de plus retiré aux nouveaux arrivants début 2008, conséquence voulue des nouveaux aménagements Fillon.

Si on voulait réellement prendre la peine de savoir de quoi on parle et de découvrir qui sont ces nouveaux-elles voisin-e-s accueilli-e-s à côté de chez nous comme des moins que rien, on se passerait déjà des étiquettes réductrices qui stigmatisent les populations de Rroms. Les Rroms sont un peuple européen d’origine indienne, dont la langue est le rromani. On compte aujourd’hui environ 15 millions de Rroms en Europe. Parvenus en Europe par l’Asie Mineure et le Bosphore, illes se sont installé-e-s d’abord dans les Balkans, puis dans les Carpates et petit à petit dans tous les pays européens. Illes n’ont jamais été nomades par culture, mais par nécessité : pendant des siècles, ils ont été chassés de pays en pays, sous peine des pires sanctions, y compris la peine de mort... Dans l’Espagne du 16ème siècle, tout Rrom (Gitan, en ce pays) surpris en train de parler sa langue maternelle était puni de mutilation.

Le terme même de “gens du voyage” comporte un aspect réducteur. Ce n’est rien moins qu’un fourre-tout qui gomme les particularismes culturels entre les différentes communautés. En France, on utilise par exemple indistinctement Gitans, Tsiganes, Zigueunes, Manouches, Romanichels, Bohémiens, Gens du voyage… pendant que les distinctions linguistiques et les communautés historiquement différenciées demeurent une réalité ignorée de tout le monde. Les Rroms au sens large se subdivisent aujourd’hui principalement en Rroms dits "orientaux" (85% du total), en Sintés (souvent appelés Manouches en France 4%) et en Kalés (ou Gitans 10%), en Gypsies (ou Romanichals en Grande-Bretagne 0,5%) - sans compter divers groupes de moindre importance. Au niveau européen, illes sont aujourd’hui sédentaires à 96% sans pour autant de revendications territoriales. Pour plus d’information consulter notamment le blog “la voix des Rroms”.

Pour le-la sédentaire français-e, recroquevillé-e derrière sa frontière, ce qui compte le plus finalement c’est de mettre ces populations dans la case de nomades, avec tous les préjugés associés. Ce racisme institutionnalisé est relativement bien ancré et permet de cautionner aveuglement l’état de non droit que subissent les populations migrantes. Il a été funestement à l’œuvre sous Vichy dans le traitement des Rroms enfermé-e-s dans des camps et déporté-e-s, et ce avant même l’occupation allemande (il y a d’ailleurs très peu de travail de mémoire là-dessus). Il s’inscrit plus généralement dans tout un historique juridique qui commence début XXe siècle.

Historique d’une haine d’Etat

Etablie par le gouvernement Poincaré, la loi de 1912 instaure un carnet anthropométrique obligatoire pour les populations nomades. Ce document doit être tamponné tous les mois à la gendarmerie, ainsi qu’à chaque déplacement. Il faut attendre 1969 pour qu’une nouvelle législation soit adoptée. Le carnet anthropométrique est supprimé, mais un carnet de circulation est créé spécifiquement pour les “nomades”, c’est à dire les individu-e-s ne pouvant justifier de revenus réguliers. La non possession de ces documents peut alors être punie jusqu’à un an d’emprisonnement. La volonté de sédentariser administrativement les personnes itinérantes est l’élément déterminant de ce dispositif via l’instauration de la notion de “commune de rattachement”, toujours en vigueur à l’heure actuelle. Symboliquement d’abord, par cette mesure, les pouvoirs publics affirment leur volonté de faire rentrer les “nomades” dans la norme. Ceux-ci deviennent donc,“ comme tous le monde ”, dépendant-e-s d’une commune. Ce rattachement est obligatoire et d’une durée de deux ans. La liberté de choix n’est pourtant pas totale car le préfet ou le maire de la commune peuvent s’y opposer.

La Loi Besson du 31 mai 1990 est surtout connue pour l’obligation d’ouvrir des aires d’accueil pour les populations rromanis. La nouvelle loi n’annulait pas l’obligation du titre de circulation ni celle de la commune de rattachement, elle n’était accompagnée d’aucune sanction pour les communes récalcitrantes ou pour les départements n’ayant pas mis sur pied le “schéma départemental d’accueil” prévu par la loi. Cette obligation, il faudra attendre l’année 2000 pour qu’elle soit stipulée aux communes de plus de 5000 habitants. En contrepartie de ces exigences, le pouvoir des maires en matière d’interdiction du stationnement illicite et d’expulsion s’est trouvé nettement renforcé. Le nouveau dispositif permet aux municipalités d’accélérer les procédures d’expulsion lors d’un stationnement “sauvage” sur un terrain communal mais également sur un terrain privé. La moitié seulement des aires répondent aux normes d’hygiène et de salubrité selon un rapport (début 2002), les autres “sont situées dans un contexte de nuisance et de risque : voie à grande circulation, voie SNCF, décharge, station d’épuration”.

A Lille, cette aire d’accueil est actuellement située entre le quartier faubourg de Béthune et le périphérique urbain. Elle est de plus incapable d’accueillir toutes les familles Rroms. Seule la mairie s’étonnera : quoi de plus normal que de vouloir s’installer ailleurs que dans ce camp insalubre, surpeuplé et loin de la ville ?

La législation actuelle

Un décret lors de la publication de la loi sur la prévention de la délinquance début 2007 concernait spécifiquement les gens du voyage. Il permet au préfet, sur décision du maire de virer les gens du voyage sans décision de justice. C’est un volet répressif censé se combiner à l’obligation légale de construction d’aires de stationnement. A l’arrivée, le choix pour les rroms se résume à accepter les terrains pourris proposés par les mairies ou à être chassé-e-s de terrain en terrain.

Les récentes lois sur la sécurité quotidienne et la sécurité intérieure de 2001 et 2003, ainsi que la loi de prévention de la délinquance, organisent la criminalisation collective et la suspicion généralisée. Dans le même temps du vote de la LSI, deux parlementaires, Richard Dell’Agnola et Christine Boutin, actuelle ministre de la Ville et toujours aussi catholique intégriste, demandèrent la constitution d’une commission d’enquête sur “le train de vie des gens du voyage”. Cette dernière a également présenté un amendement permettant d’utiliser les Groupements d’intervention régionaux (GIR), tout juste créés pour lutter contre ce qu’elle appelait “l’économie souterraine dans les quartiers”, soumettant les Rroms itinérant-e-s aux contrôles croisés des services de douanes, des services fiscaux et des forces de l’ordre. Depuis l’intégration de la Roumanie à l’espace Schengen, les Rroms n’ont plus besoin de visa pour passer les frontières européennes. C’était sans compter sur le zèle d’un Sarkozy alors ministre de l’Intérieur, et de son homologue roumain Loan Rus. Les deux tristes sires soumirent ultérieurement les candidat-e-s à l’immigration à la justification d’une activité professionnelle pour séjourner en France, au delà des trois mois qui constituent les “courts séjours” autorisés. L’élargissement très médiatique de l’espace Schengen début décembre dernier a donc plus le visage de l’Europe forteresse et de ses accord multilatéraux pour contrôler l’immigration que celui de l’extension no limite de nos libertés, mais sur ça, on était pas vraiment dupes.

Et dans une mairie socialiste ?

La Préfecture a toujours eu pour seul objectif de faire rentrer les Rroms dans ses quotas trimestriels d’expulsion. Début décembre, tou-te-s avaient une OQTF (Obligation de quitter e Territoire Français) dont illes ne comprenaient pas un mot et personne pour leur expliquer les recours possibles, ce qu’ils risquent etc. On a notamment pu y lire : “Mr X, ayant X enfants dont autant à charge, ne pouvant justifier de ressources suffisantes et pour ne pas devenir une charge pour le système d’aide sociale français etc.” est cordialement invité à foutre le camp. Une personne a été expulsée à Bucarest toujours début décembre, alors que son mari et ses enfants sont toujours sur Lille et que son village d’origine se trouve à 800 kilomètres de la capitale roumaine où elle fut déposée. Certaines personnes sont emmenées au hasard d’un matin sans que leur famille ne sache à quoi s’en tenir, même en s’adressant au commissariat (centre de rétention ? expulsion ?).

Prompte à faire appliquer le droit des propriétaires, la police balade les Rroms régulièrement. Jeudi 20 décembre, à la demande conjointe de la SERNAM et de la préfecture qui se partageaient , on a vu les molosses occuper le terrain de l’ancienne gare Saint Sauveur à Porte de Valenciennes de 9h du matin à 19h, brûlant au passage une caravane, pour finalement déplacer le “problème” de 15 mètres et laisser les Rroms s’installer dans de nouveaux abris de fortunes qu’illes doivent reconstruire eux-même.

Quant à la mairie, elle maîtrise parfaitement l’art du double jeu. Tout d’abord, on notera les pressions discrètes faites sur les mairies de quartier pour empêcher l’inscription des enfants dans les écoles. Début décembre ensuite, elle s’est opposée à la réquisition de l’auberge de jeunesse, dans le cadre du plan grand froid, dont l’utilisation aurait au moins pu fournir un logement en dur pour quelques familles. Tout en faisant mine de faire pression sur la préfecture pour que, dixit la conseillère municipale le jour de l’incendie faisant une morte à Porte d’Arras, "l’Etat fasse son boulot". A côté de cela, n’y a-t-il aucun bâtiment à Lille qui appartiennent à la mairie ? La communauté urbaine de Lille n’a-t-elle rien de disponible sur la métropole au lieu d’envoyer les Rroms sur Maubeuge ? A moins que l’objectif inavoué soit de les disperser pour mieux les contrôler ? La priorité est vraisemblablement à la sauvegarde des apparences pour la mairie socialiste qui a en ligne de mire les municipales de mars prochain. Toujours est-il que ces tergiversations ont fait une morte la veille de Noël, pendant que le-la bon-ne citoyen-ne peaufinait son orgie de fin d’année. M’enfin c’était pas comme si on en avait vraiment quelque chose à foutre et puis le traitement médiatique contribue à étouffer le scandale.

Que ce soit sur la question des recours aux OQTF ou la prise en charge de l’aide d’urgence, la situation lilloise est la même que ce qu’elle peut être à d’autres égards sur la région calaisienne. Pris-es en otages dans une politique de mépris de la part de la Préfecture et de la Mairie, les Rroms se retrouvent réduit-e-s aux bons vouloirs des solidarités associatives et individuelles, que ce soit dans la constitution des dossiers de régularisation ou de scolarisation. A Lille, celles-ci ont bien du mal à se coordonner et se retrouvent dans des logiques d’urgences, à gérer des lieux d’hébergements aux côtés de la flicaille filtrant les entrées, à glaner des données rendues caduques par les décisions politiques de la veille, etc. Avec toujours en tête qu’une fois les OQTF expirées, les Rroms seront de facto expulsables et n’auront plus qu’à faire le trajet inverse pour retenter leur chance.

Un collectif composé d’individu-e-s, de militant-e-s politiques et associatifs a vu le jour sur Lille début décembre. La volonté de ce collectif est avant tout de se coordonner avec les Rroms, lorsqu’illes en ressentent le besoin et de les soutenir pratiquement, dans leurs démarches juridiques notamment. L’objectif est bien de briser tant que faire se peut l’isolement et la méconnaissance, premières étapes avant la répression tout azimuts. Il s’agit donc de rendre visible la situation, en coordonnant les soutiens et en dénonçant les agissements politiciens, dans l’espoir de faire naître un semblant de solidarité collective.
Pour entrer en contact avec le Comité de soutien aux Rroms : soutien_aux_rroms_lille chez yahoogroupes.fr Les dates de réunions sont également disponibles sur le site Indymedia Lille

Cette ébauche d’article est dédiée à Daniela, morte à 20 ans dans l’incendie d’un hangar, Porte d’Arras à Lille.

Pas de justice, pas de paix !