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Si tu veux être heureux pends ton propriétaire !

mercredi 7 mars 2007


En cette joyeuse période de campagne électorale, les luttes liées à la question du logement ont fait leur retour sur le devant de la campagne médiatique.

Chronique d’une opération médiatique

L’offensive publicitaire des Enfants de don Quichotte n’aura fait qu’un temps, elle n’était pas destinée à durer. Ce mouvement, surgi de nulle part, aura permis à quelques unEs de se donner bonne conscience en rencontrant des vrais pauvres et en ayant l’impression d’influencer la politique gouvernementale en matière de logement. Il aura eu le mérite d’amener nos politicienNEs en campagne à signer une charte qu’illes ne respecteront pas. Des crédits (insuffisants) ont été octroyés pour créer plus d’hébergements d’urgence et débloqueront jusqu’à nouvel ordre le travail de nombreuses structures sociales, dont les financements étaient bloqués par le même gouvernement (on se rappelle que les crédits pour les maisons de retraite avaient été sérieusement amputés avant la canicule de 2003, puis le gouvernement avait annoncé une hausse de ces mêmes crédits !). Enfin, cette action n’a mis l’accent que sur le problème des sans-logis, sans évoquer tous les autres problèmes liés au logement : l’insuffisance criante de logements sociaux, le montant exorbitant des loyers, la toute-puissance des agences de location, l’insalubrité de nombreuses habitations et l’usage de la politique du logement comme moyen d’épuration sociale des centre-villes. L’organisation autoritaire et centralisée des enfants de Don Quichotte et l’objectif essentiellement médiatique de l’action ont mené à bien des abus sur certains campements : éviction de sans-papierEs, condamnation des "déviantEs" (punks, personnes alcoolisées,etc.), rejet de l’intervention de certains groupes (le collectif autogéré Food not Bombs viré du Quai de Jemmappes) et annonce sans aucune concertation de la levée des campements.

Était-ce alors simplement une opération de communication ? Les échéances électorales, qui spectacularisent les interventions des marchands de promesses, créent un contexte favorable à ce n’importe quoi médiatique. D’un seul coup, celui ou celle "qui sera sur le coup" y gagnera la légitimité de la parole et de la revendication. Et les autres sont obligées de suivre... Ainsi, les associations qui effectuent depuis longtemps un travail sur le terrain se voient alors contraintes de suivre l’initiative, sous peine d’être mises hors du jeu de la publicisation, des négociations et des financements. On se retrouve vite avec l’impression que la lutte pour le logement serait une histoire de concurrence entre telle association ou tel collectif – même si ce n’est pas leur volonté, lutte causée par le jeu malin des pouvoirs publics et des médias. Quelle place est alors donnée aux personnes concernées ? Quelle autonomie des luttes dans ce cadre électoral et médiatique, de concurrence militante, et donc politique ?

Il reste que cette médiatisation a quand même ouvert une fenêtre d’opportunité sur les questions liées au logement, et l’on voit soudain la presse s’intéresser aux logements précaires. On peut pêle-mêle dénoncer également la sélection qui s’effectue dans l’accès aux logements HLM : sous prétexte de mixité sociale, beaucoup sont réservés aux salariéEs, d’autres sont réservées aux personnes de nationalité française (ce qui est illégal bien sûr). Il faut également dénoncer le manque de logements étudiants et les quotas très insuffisants qui y sont réservés aux étudiantEs étrangerEs – à Lille les luttes sur cette question se renouvellent chaque année. Enfin, dans des quartiers comme Moulins, les marchands de sommeil louent à des familles sans papier des logements dégueulasses pour un coût exorbitant.

L’arnaque du droit au logement opposable

Après des années de dégradation des conditions d’accès au logement des classes populaires, de répression contre les luttes des sans-logis et à quelques mois des échéances électorales, Jacques Chirac fait mine de se réveiller et demande au gouvernement de mettre en œuvre le droit au logement opposable. La promesse de Villepin d’un droit au logement opposable mis en place entre 2008 et 2012, si elle est un jour appliquée, est largement insuffisante et tient pour l’instant de la poudre aux yeux pour désamorcer le conflit en cours. Il y a déjà fort à parier qu’entre l’annonce et la loi, puis entre la loi et son application, le propos sera bien édulcoré. Ensuite, qu’est-ce que le droit au logement opposable ? Il s’agirait d’avoir la possibilité de se retourner contre les tribunaux administratifs en cas d’absence de logement. Qui serait le responsable attaqué : l’office HLM, l’Etat, les collectivités locales ? Et qui pourrait bénéficier de cette loi ? On ne le sait pas. Que faire pendant la durée interminable de la procédure ? Qu’obtiendrait-on : un logement, une indemnisation ? Le droit au logement opposable ne vaut pas plus que des mesures déjà existantes, comme la trêve hivernale, qui permet de mieux expulser de mars à novembre. D’autres lois existent déjà depuis longtemps et sont restées lettre morte. En effet, depuis 1958, les préfets peuvent procéder à la réquisition des logements vides et – tout comme les maires, ils peuvent surseoir aux expulsions locatives, attribuer des aides financières au déménagement, interdire de transformer des logements pour d’autres affectations (bureaux, ateliers, hôtels...). Les communes sont également astreintes à accueillir 20% de logements sociaux sous peine d’amende. De même, les termes d’un bail de location sont très réglementés, mais la difficulté à trouver un logement est telle que les agences de location ainsi que de nombreux propriétaires privés n’hésitent pas à multiplier les clauses abusives et à exiger des pièces non dues pour constituer un dossier de demande de logement. Que sont devenues ces lois ? Les autorités font mine de les avoir oubliées et les associations mobilisées sur le logement sont bien seules à essayer d’en faire valoir l’existence. D’ailleurs ce sont des associations qui font le boulot de l’Etat en la matièreTout comme le droit du travail, le droit du logement ne sera pas appliqué correctement tant que les outils ne seront pas là. Et ce n’est pas la réduction des moyens de l’inspection du travail qui nous fera croire à la bonne volonté des gouvernantEs.

Des années de régression sociale au profit de qui ?

Pour le logement comme pour le reste, en l’absence de réel contrôle, c’est la loi du marché qui commande ! Et on en arrive à la situation actuelle : 200 à 600.000 sans abri selon les sources, 3 à 4 millions de mal logéEs, plus de 2.000 euros par mois pour l’hébergement d’une famille aux frais du SAMU social, 30 à 40 mortEs du froid par an. La hausse énorme des prix de l’immobilier ces dernières années (56% en 4 ans) démontre qu’acheter une baraque est toujours un bon investissement, mais pas que pour y vivre : les loyers suivent la hausse (25% en 5 ans). Conclusion : si on laisse faire le marché et sa main invisible bienfaitrice, les loyers augmentent parce que la demande augmente plus vite que l’offre... Et le parc de logements sociaux est incapable de suivre pour équilibrer tout le bazar en absorbant la population dont les bailleurs privés ne voudraient pas. Evidemment, les associéEs du bizness économique et politique qui nous gouvernent n’ont aucun intérêt à rattraper le retard de construction de logements sociaux : ça fait de la concurrence déloyale aux bailleurs privés et ça fait mauvais genre dans nos belles villes bien propres. Par exemple à Neuilly chez Sarkozy on aime pas les pauvres et il y a donc moins de 2% de logements sociaux. Mais chez Martine c’est pareil et la politique urbaine lilloise peut s’enorgueillir de la destruction récente de plusieurs barres HLM à Moulins et Lille Sud sans qu’un relogement adéquat à Lille même n’ait suivi. Les pauvres sont rejetés de plus en plus loin des centre-villes où seulEs sont autoriséEs à s’exhiber ceux et celles qui nous donneront envie d’y dépenser nos sous.

La situation actuelle du logement est due à cette situation d’à peu près libre jeu du marché, agrémenté par l’existence de lois inapplicables. Elle est rendue plus féroce par l’accroissement de la précarité, par le nombre de chômeurEUSEs et de travailleurEUSEs pauvres. Cependant tout irait certainement mieux dans un monde où règnerait une croissance économique "bien" partagée, direz-vous si vous êtes socialiste : si tout le monde avait un emploi, et bien rémunéré s’il vous plaît, hé ben tout le monde pourrait payer un loyer ou même s’acheter une maison avec un petit jardin entouré d’un grillage et tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Non ! Marre des illusions du toujours plus de croissance économique et des joies du marché ! Pour le logement comme pour le boulot, le marché n’existe que pour qu’il y ait des exploiteurEUSEs et des exploitéEs, et l’assistance de l’Etat n’est là que pour leur permettre de s’engraisser tranquilles (on appelle ça "pallier les défaillances du marché") !

On à touTEs droit à un logement décent !

Aujourd’hui les luttes pour le logement existent partout, elles n’ont pas attendu que les caméras se pointent pour apparaître. A Lille, plusieurs associations militent pour le droit au logement. Outre l’association du même nom, signalons le boulot des Ateliers Populaires d’Urbanisme (APU - voir l’encadré en page 4). Celui de Moulins aide les locataires en difficulté face à leur propriétaire. A côté de ce travail social indispensable, l’association organise des réflexions et des actions sur le cadre de vie dans le quartier et travaille sur l’urbanisme, la circulation, l’histoire du quartier, en essayant de lutter contre le processus de nettoyage social du quartier engagé par les promoteurs immobiliers et la communauté urbaine de Lille.

Un collectif anti-expulsions a également eu une activité sur la métropole il y a quelques années : ses membres se donnaient rendez-vous au petit matin pour empêcher physiquement les expulsions de locataires. Ses activités se sont éteintes suite au procès de ses militantEs. L’action directe, comme dans toutes les luttes, est un moyen efficace pour lutter contre la dictature du fric qui prétend nous empêcher d’habiter où on veut comme on veut. Depuis plus de dix ans, le mouvement des squatts est très actif à Lille et on ne copte plus les bâtiments vides occupés pour devenir des lieux de vie, mais aussi des foyers d’activités culturelles et politiques. Il suffit de voir l’ampleur des déploiements de flicaille lors des expulsions pour comprendre à quel point la lutte contre la propriété privée et la spéculation dérange les pouvoirs publics.

Car c’est contre la propriété privée qu’il faut lutter pour en finir avec les problèmes de logement ! S’il est nécessaire de s’associer aux revendications immédiates contre les expulsions de locataires, pour une augmentation et une ouverture aux plus précaires du parc social, pour l’application de la loi de réquisition, il ne faut pas hésiter à voir plus loin pour faire exploser l’injustice fondamentale de la question du logement. En effet, la possibilité de se loger est une nécessité vitale pour chacunE d’entre nous, au même titre que celle de s’alimenter. Comment peut-on accepter une société où la possibilité d’avoir un toit pour l’écrasante majorité de la population dépend d’une minorité ? Comment accepter que certainEs s’enrichissent de loyers et laissent des logements vides alors que d’autres sont condamnéEs à vivre dehors face à la pluie, au froid et aux flics ? Le maintien de la propriété privée est l’un piliers essentiels des inégalités, c’est pourquoi sa défense est la préoccupation essentielle des gouvernantEs et de leurs sbires en uniforme, et c’est pourquoi il faut l’attaquer frontalement. Pour nous réapproprier nos vies, réapproprions-nous nos maisons !

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