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Langage et sexisme

juin 2000


De plus en plus, la discrimination sexiste est nommée, reconnue et parfois combattue dans certains domaines (économique, social). Dans celui du langage, beaucoup se penchent sur le problème du genre de la langue (dominée par le genre masculin) et souhaitent la féminisation. Le débat est loin d’être terminé, parce qu’il fait également appel à des pratiques langagières.

Ces pratiques trouvent leurs racines dans des préjugés sexistes. « Les progrès sont lents, les racines des préjugés sont profondes », disait Voltaire. Pour un petit garçon, grandir dans un pays où les petites filles ne vont pas à l’école (parce qu’elles n’y ont pas le droit) peut le laisser développer le préjugé que les filles n’ont pas la capacité intellectuelle d’apprendre. De même, grandir dans un pays où « 10 000 femmes et un cochon sont dehors, ILS sont » ne prédispose pas à reconnaitre une égalité entre genres, donc rapidement entre sexes.

Le sexisme dans le langage

Pour la linguiste Marina Yaguello : « La langue est un système symbolique engagé dans les rapports sociaux. [...] La langue est aussi, dans une large mesure un miroir culturel qui fixe les représentations symboliques et se fait l’écho des préjugés et des stéréotypes, en même temps qu’il alimente et entretient ceux-ci. » Trois cas de sexisme dans le langage :

Qui parle ?

Le langage, la possibilité de s’exprimer nous met en position de pouvoir. Pour assurer celui-ci, il est essentiel de le garder, de contrôler la parole des autres.

Dans de nombreuses cultures, les femmes n’ont même pas le droit à la parole. Dans les sociétés occidentales, les femmes ont pris une place, notamment socio-économique, dans la société qui les amènent de plus en plus à prendre la parole en dehors de la sphère privée. Pourtant, de nombreuses observations scientifiques montrent que les hommes coupent beaucoup plus la parole que les femmes et monopolisent le discours. La parole prise, ou donnée, n’est pas forcément écoutée, ni prise en compte : discours d’une femme terminée par un quolibet ; dernière phrase de femme reprononcée par un homme avant qu’il n’entame son propre discours

Comment parle-t-on ?

Les hommes et les femmes utilisent un langage différent. Par exemple, les femmes sont nettement plus enclines à utiliser et à préférer un langage de prestige, plus correct, que les hommes. Il existe principalement deux explications à ce phénomène : un désir d’ascension sociale de la part des femmes qui prennent la parole comme forme d’action, afin d’accéder à l’égalité, voire au pouvoir ; et, selon le préjugé « les hommes sont jugés sur ce qu’ils font, les femmes sur leur paraitre », les femmes seraient plus sensibles au prestige langagier. On peut dire plutôt que les femmes sont plus « légalistes », car plus souvent soumises aux règles, et les hommes plus en rapport de compétition : le verbe devient force physique.

Le langage ne se résume pas à des mots, un style. C’est aussi un langage corporel, des intonations de voix, un débit. La différence physique donne aux hommes une voix plus forte, plus grave. Cet état de fait peut-être utilisé pour couper la parole des femmes, par exemple. On a observé que celles-ci ont un débit plus rapide que les hommes - parce qu’elles sont peur d’être coupées ? -, ce qui incite plus difficilement à l’écoute attentive.

Que dit-on ?

Enfin, quels sont les mots à notre disposition pour parler. Quelle est la part de sexisme dans notre vocabulaire ? Les écrits à ce propos sont de plus en plus nombreux. Marina Yaguello est une des premières auteures françaises à s’être penchée sur la question. À partir d’une étude sur la définition du mot « femme » dans différents dictionnaires, elle établit un corpus de mots d’où il ressort deux grands champs lexicaux : celui de la mère et celui de la prostituée. De même, le langage qui désigne les femmes utilise beaucoup la métonymie (un tout réduit à une partie) : en l’occurrence, une femme est réduite à un cul, un con ou une viande ; mais aussi les métaphores animales ou alimentaires : cochonne, poule, chou. On retrouve le préjugé : « les femmes sont à vendre, ou à prendre ».

Elles ne sont ni à vendre, ni à prendre.

Pistes de réflexion

Pour que les femmes accèdent enfin à un traitement égalitaire, de nombreux domaines de la vie privée, sociale, économique et politique sont à reconsidérer sous un angle non-sexiste. Le langage couvre tous ces domaines, c’est pourquoi il représente un enjeu considérable ; c’est pourquoi, il n’est pas superflu d’engager un débat sur la révision non sexiste du vocabulaire et de la grammaire. La lutte pour l’égalité est aussi une lutte contre la langue du mépris.

Il est donc nécessaire de se pencher sur les préjugés sexistes, de les cerner, de les expliquer et de tenter de les démonter. Car, si attitudes et comportements positifs peuvent s’entendre au sens individuel, ils peuvent aussi être partagés par tous les membres du groupe, de même que les préjugés et les comportements discriminatoires. Il nous faut surveiller, dénoncer et combattre ces préjugés, mais aussi que chacune et chacun se juge aussi soi-même et entende son propre discours.

Annie AMOUREUX