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Éducation et conditionnement patriarcal

juin 2000


Le patriarcat est un système universel, omniprésent depuis des millénaires. Pourquoi une telle pérennité ? Tout simplement parce que le patriarcat est avant tout un conditionnement.

Les religions, ont bien entendu, un rôle essentiel dans ce formatage des consciences. Elles sont le premier pilier du patriarcat, ainsi l’interdit sexuel et l’infidélité sont toujours plus grave pour une femme. L’idée force des religions c’est que la femme est impure par essence, dans de très nombreuses religions le sang menstruel est le symbole même de leur souillure. Dans les religions polythéistes les divinités féminines ont été reléguées au second plan, dans les religions monothéistes Dieu est mâle ; il s’agit bien de Dieu le père, archétype de l’autorité et du pouvoir.

C’est en nous imposant ce genre d’images que le patriarcat nous conditionne, nous avons tous intériorisé ce qu’une femme doit être et ce qu’un homme doit être. Le système patriarcal s’insinue jusque dans l’inconscient collectif féminin et masculin et détermine jusqu’à nos comportements les plus courants et les plus intimes.

L’éducation est la base du conditionnement patriarcal : ce sont les jouets genrés par exemple. Les petites filles reçoivent des poupées et des balais pour se préparer à leur future condition de mère et de ménagère, les petits garçons reçoivent des pistolets afin de mieux intégrer que l’agressivité est un trait de caractère noble et viril. Pire encore, les jouets qui stimulent les apprentissages intellectuels (Lego, Mécano) sont plus souvent offerts aux petits garçons. Plus tard, à l’école, on fera faire du foot aux petits garçons, pour leur apprendre la compétitivité, de la gymnastique aux petites filles pour qu’elle deviennent gracieuses.

Il est évident que les éducateurs (même s’il s’agit le plus souvent d’éducatrices) n’attendent pas les mêmes performances physiques des garçons que des filles, et de fait n’ayant pas les mêmes exigences, leur développement moteur est différent. Il en est de même pour les performances intellectuelles : il a été montré que les enseignants (hommes ou femmes) donnaient plus souvent la parole aux garçons. Ceux-ci sont par conséquent plus stimulés. Ce phénomène apparaît dès l’école maternelle et devient de plus en plus criant au fil de l’avancée dans le parcours scolaire. Les bacs dévalorisés (tel l’ancien bac G) sont pour les filles, les filières scientifiques l’apanage des garçons. De même il y a plus de garçons que de filles qui font des études longues. Bien évidemment, les filles n’ont pas moins de capacités intellectuelles que les garçons (la bosse des maths n’est pas dans le chromosome Y) ; mais les filles comme les enseignant(e)s ont intégré l’équation : « fille = nulle en maths », ainsi quand les difficultés apparaissent, moins d’efforts sont déployés pour les dépasser. C’est de cette manière que l’on rend vrais les présupposés. C’est la même logique qui est en uvre quand on dit que les filles ont plus de maturité. C’est parce qu’on les a éduquées différemment : les filles font l’apprentissage de la responsabilité plus tôt, qu’il s’agisse de tâches ménagères, ou de veiller sur les plus petits. Cette éducation genrée a des conséquences profondes sur le développement des individus. On a montré qu’en dehors de toute considération d’origine sociale, les adolescentes ont une moins bonne estime d’elles-mêmes que les adolescents. Ceci perdure à l’âge adulte, ce qui explique que les femmes entreprennent moins.

Dès l’enfance la petite fille se doit de correspondre à un certain nombre de normes comportementales et physiques : sa poupée Barbie est à l’image de ce à quoi elle devra ressembler quand elle sera grande. Ces normes sont extrêmement contraignantes et complètement en dehors de la réalité (pour exemple le canon de la mannequin qui mesure 1 m 80 pour 55 kilos). Elles peuvent conduire à des maladies mentales comme l’anorexie (maladie exclusivement féminine occidentale et contemporaine), qui est bien entendu liée au culte de la maigreur et du « corps parfait » si répandu dans les médias. Les femmes ont tellement intériorisé cette nécessité de correspondre à une multitude de normes, qu’elles en arrivent à accepter de subir ou de s’auto-infliger des souffrances corporelles. Ainsi, nombre de femmes africaines ont parfaitement intégré la nécessité de l’excision pour elles comme pour leurs filles ; toutes proportions gardées la logique est la même quand une femme s’épile à la cire bouillante, elle obéit à deux postulats indéracinables :
 1 - il faut souffrir pour être belle ;
 2 - le poil n’est pas féminin (mais pourquoi serait-il masculin puisqu’il pousse chez les deux sexes ?). Il en est de même pour les régimes tyranniques complètement déséquilibrés et totalement injustifiés (le régime est d’abord un acte médical quand le poids devient un problème de santé).

Nous participons tous, homme ou femme, à la perpétuation du patriarcat car nous l’avons intériorisé. Ce conditionnement est constamment renforcé par ce que nous vivons, lisons, voyons Cela nous porte, même inconsciemment, à reproduire des comportements sexistes. C’est à nous tous, hommes et femmes, d’en prendre conscience pour briser cette spirale infernale.

Anne TURLURE