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Politique de la ville : Parquer la misère

jeudi 23 mars 2006


La politique de la ville naît il y a une trentaine d’année avec la crise économique des années 1970. L’objectif avoué est de limiter les effets dévastateurs du chômage, de la pauvreté qui touchent en priorité les quartiers populaires et de “rétablir” l’égalité des chances en particulier auprès des jeunes avec la création des Zones d’Éducation Prioritaire (ZEP) en 1983. Cependant, force est de constater, et la récente “révolte des banlieues” l’a mis en pleine lumière, que cette politique a été vaine alors même qu’elle prenait de plus en plus de place sous les sunlights médiatiques en particulier avec la création en 1991 du ministère de la ville bientôt dévolu à Tapie. Rappelons aussi que chaque relance du processus fait suite à une explosion de révolte : les Minguettes dans la banlieue lyonnaise au cours de l’été 1981 ; Vaulx-en-Velin dans la même agglomération en octobre 1990, mouvements contre le CIP en 1994, Dammarie-les-Lys (Seine et Marne) et Strasbourg en décembre 1997... Quelles sont alors les causes de cet échec ? Pouvait-il en aller autrement ? Quelles classes sociales en profitent véritablement ?

Entre politique spectacle, cache-misère et clientélisme.

Le terme même de “politique de la ville” montre un glissement de mots. Parler de problèmes urbains, c’est faire oublier que la cause de ces maux est bien le capitalisme et les inégalités qu’il génère, et pas seulement l’endroit où l’on vit. Ainsi l’acte 1 de cette politique a été en 73 la circulaire “Ni tours ni barres” et en 77, le programme “Habitat et vie sociale” qui visait à réhabiliter les cités HLM : on s’intéresse avant tout à l’aspect extérieur sur l’air de “cachez cette misère que je ne saurais voir“.

Après le ravalement de façade et les destructions spectaculaires de tours (puis les photos de comparaison avant grand angle et après, angle plus réduit où l’on cache la merde), on glisse rapidement vers la politique-spectacle. C’est dans cette logique que Mitterrand nomme Tapie en 92 puis Chirac Borloo, vous savez, le ministre qui dit des gros mots. D’ailleurs son fameux plan lui vaut les éloges de toute la presse alors qu’il ne résout rien et fait au contraire grimper la précarité et le tout-sécuritaire.

Enfin, cette politique de la ville renforce le poids des éluEs locaux qui pourront échanger contre bonne tenue quelques subventions ou promesses de logement aux associations satellites, et à des individuEs qui pourront servir de relais d’information et d’apaisement des colères (la promesse de vote est aussi acceptée). C’est aussi la voie ouverte au bidouillage associatif, au placement des potes, aux pré-campagnes électorales... Il n’y a pas que les éluEs qui profitent du système. En limitant le traitement des problèmes sociaux à des conséquences géographiques et en s’appuyant sur des personnalités jugées “influentes” dans ces quartiers on alimente les communautarismes ethniques, sexuels, religieux... (voir l’alliance ministère de l’intérieur et conseil du culte musulman et l’appel au calme de l’ultra réactionnaire UOIF (Union des Organisations Islamiques de France) lors de la révolte de novembre).

Pas de moyens pour les pauvres...

Même dans une logique réformiste, cette politique n’a jamais eu les moyens des ambitions affichées. Un bon exemple à cet égard est la politique des ZEP1 mise en place à partir de 1982. Si le nombre d’élèves par classe est moins élevé que dans les établissements normaux, les effectifs restent encore trop importants pour pallier les difficultés des élèves. De plus, aucun temps de concertation n’est prévu dans l’emploi du temps des personnels, les personnels spécialisés (instituteurs dans les collèges, orthophonistes...) ne sont pas recrutés... Bien sûr, l’école ne peut à elle seule résoudre les conséquences des inégalités de classes, mais on ne lui a, au final, jamais laissé la moindre chance de les réduire.

Quant à la nouvelle politique de Robien, elle ne fait qu’aggraver la situation existante en organisant la sortie de nombreux établissements de la REP. Les établissements ZEP devenus Ambition Réussite ne bénéficient de rien. Un millier de “super profs” sont censés venir les rejoindre, mais il n’auront pas de classe devant eux et ces fausses créations de postes ne compensent pas les suppressions de poste annoncées pour la rentrée prochaine dans ces dits établissements. Et on ne parle même pas des établissement simplement REP voire non REP (plus de 2000 suppressions de postes dans la seule académie de Lille en 3 ans alors qu’elle concentre une part importante des difficultés scolaires du pays).

Au-delà du discours, c’est bien à la pénurie que nous avons à faire quand on observe la prise en charge sociale des quartiers de relégation. Cela se traduit par des réductions drastiques des subventions aux associations de quartier malgré les promesses du gouvernement après les émeutes. Ainsi, début novembre, ce sont les centres sociaux de l’agglomération lilloise (sauf ceux de Lille intra muros complètement cadenassés par le PS) qui se sont révoltés puisqu’ils sont obligés de prendre sur leurs fonds de réserve pour payer les salaires et n’ont strictement aucune certitude pour la suite. D’ailleurs il n’est pas innocent de voir que dans les REP et a fortiori dans les collèges “Ambition Réussite” on pousse les établissements à faire “école ouverte”, c’est-à-dire à ouvrir pendant les vacances afin d’accueillir les élèves alors que c’était l’une des missions des centres sociaux. Enfin, c’est peut-être plus anecdotique quoique très symbolique, la mairie de Lille a réduit sérieusement le nombre de commission à la politique de la ville.

D’une manière générale, ces quartiers populaires restent en marge de l’accès aux services publics : transports en commun, soins, services administratifs... Ainsi, le métro s’arrête aux portes de Lille-Sud, et personne ne s’étonne que dans certains quartiers il y ait une pharmacie pour 10.000 habitantEs.

Individualisation et répression

On le voit, l’absence de moyens remet sérieusement en question la logique réformiste de la politique de la ville. Au delà, on s’aperçoit qu’au fil des ans on est passé d’une gestion collective des difficultés des quartiers de relégation à une individualisation des traitements, à un cas par cas qui coûte beaucoup moins cher. C’est là tout le discours des responsables de l’Éducation Nationale pour fustiger l’échec des REP. Alors depuis quelques temps on nous parle d’individualisation des parcours pour mieux prendre en compte les difficultés de l’élève. Qu’est-ce à dire ? Plus aucun souci de réduire le nombre d’élève par classe, la volonté délibérée de conduire celles et ceux qui sont en difficulté vers “l’apprentissage junior” dès 14-15 ans, l’augmentation de la charge de travail des personnels de l’éducation censés être enseignantEs, éducateur/rice/s, psychologues... tout en gérant de manière “différenciée” des classes surchargées. Dans le même temps l’enseignement spécialisé se casse la gueule faute de moyens alors qu’on confie à des enseignantEs non formés des classes de SEGPA (Section d’Ensei-gnement Général et Professionnel Adapté), d’élèves handicapés...

Très rapidement, on glisse d’ailleurs de la “remédiation” individualisée des difficultés à une criminalisation de la misère. A coups de repérage des élèves “hyperactifs” et autres inventions des flico-psychologues, la seule tâche confiée aux personnels est de pister les futurEs délinquantEs. C’est d’ailleurs le sens du récent rapport Benisti. C’est la même logique qui est à l’oeuvre pour les chômeur/se/s depuis l’instauration du PARE et plus récemment des maisons de l’emploi : le flicage tous azimuts. Les Contrats Locaux de Sécurité (CLS)2, les flics municipaux et toutes les lois sécuritaires viennent alors compléter le tout. Enfin, on peut se poser des questions quant à l’organisation de la pénurie dans ces quartiers pour une gestion sécuritaire de la misère. Ainsi la faiblesse du réseau de transport en commun a été bien pratique en novembre pour parquer les “incendiaires” dans leurs quartiers (et toute la population qui y vit). Comment s’étonner alors que ce soient les voitures des voisinEs qui crament et pas celles des bourgeoisES ?

C’est tous les jours Noël pour le patronat

Les riches, en revanche, respirent enfin ! Comme si la gauche plurielle n’en avait pas assez, fait, Raffarin puis de Villepin multiplient les cadeaux aux employeurs et aux autres : précarisation des salariéEs, exonération d’impôts et de cotisations (qui grèvent le budget de la Sécu bien plus que les prétendues fraudes).

C’est dans les quartiers populaires que les agents recruteurs du patronat et de l’Etat viennent en priorité rechercher une main d’oeuvre corvéable à merci : interim, petits boulots plus ou moins déclarés, contrats aidés du secteur public et associatif (des TUC de 1984 au récent Contrat d’avenir). Ce sont encore évidemment les jeunes issus des quartiers populaires qui sont la première cible visée des CPE et CNE. D’ailleurs compte tenu de la ségrégation à l’embauche , ils et elles n’ont pas d’autres choix que le travail précaire. Enfin ce sont évidemment les élèves “décrocheurs” qui sont visés par “l’apprentissage junior” dès 14-15 ans. La discrimination à l’embauche est une réalité, et ce ne sont pas les jeunes les plus largués par le système scolaire qui seront pris, mais celles et ceux qui allaient jusqu’alors en lycée professionnel. De toute façon, comment le patronat pourrait-il réussir à former des centaines de milliers de nouveaux apprentiEs alors que le personnel des Centres de Formation d’Apprentis (CFA) n’augmente pas ? Il y a fort à parier qu’ils et elles se retrouveront dans des PME à faire de sales boulots, à peine payés et sans recevoir de formation sérieuse. Précarisa-tion et déqualification ont donc de beaux jours devant elles !

La politique de la ville se révèle dès lors être un énième cadeau au patronat en réduisant à néant les conditions de travail des salariéEs. Les étrennes à la bourgeoisie ne s’arrêtent pas là. En effet, pour “résorber le chômage” dans les quartiers populaires, l’Etat a créé les Zones Franches Urbaines en 1996. A coup d’exonération fiscales (qui s’ajoutent aux exonérations sur les contrats de merde), les entreprises sont incitées à s’implanter dans les quartiers populaires. Cependant il n’y a aucune obligation à rester au-delà de la période d’exonération fiscale ni à recruter au sein du quartier. Peu importe l’arnaque, puisque le programme de ZFU a été relancé en 2003 (passage de 41 à 85) puis 2006.

Et vive la ségrégation sociale et l’expulsion des pauvres.

La politique de la ville n’a en rien gêné le processus de gentryfication, c’est-à-dire l’expulsion des pauvres des centre-ville. A ce titre, Lille est encore un bon exemple. Ancien quartier pourrissoir, le vieux Lille s’est presque totalement embourgeoisé à coup de rénovation-hausse des prix du foncier et des loyers. De même, le coup médiatique de Lille 2004 a permis de raser les tours de la proche périphérie et on nous annonce pour bientôt un Euralille 3 où des immeubles de bureaux se dresseront fièrement en lieu et place des HLM du boulevard de Belfort, alors que le nouveau commissariat se construit à l’entrée de Lille-sud.

L’hyper-centre (vitrine touristique de la ville) est débarrassé de ses SDF grâce à l’arrêté anti-alcool pris fin 2000 par la mairie. Dans la même veine, le mobilier urbain évolue et les bancs des abribus sont conçus de façon à ce qu’on ne puisse plus s’y coucher. D’ailleurs les abribus n’abritent même plus du vent. Idem pour le parc du boulevard Lebas : des grilles de 4 mètres de haut protègent les arbres des hordes de délinquantEs qui préparaient son invasion (2/3 du budget du parc !). Une ville bien propre, bien lisse, où hommes d’affaires, consommateur/trices et touristes peuvent s’égailler sans crainte de se faire agresser par une main tendue...
Récemment, une association avait d’ailleurs fait toutes les démarches nécessaires pour ouvrir des wagons aux SDF sur le site de la gare de marchandises Saint Sauveur. SNCF, SERNAM, préfecture avaient donné leur accord... et c’est la mairie socialiste qui a refusé le projet. Faudrait pas que le bourgeois voie la misère de trop près.

Dans la même logique, cette “politique de la ville” accompagne les politiques de fermeture des frontières. Rappelons-le, les cités HLM ont eu de plus en plus pour but d’héberger les immigréEs recrutés par le patronat depuis les années 1920. Or, la circulaire de 1973 en mettant un frein à la construction marque bien la volonté de ne plus accueillir personne voire de les expulser. C’est d’ailleurs à cette époque que des patrons négriers comme Peugeot à Montbéliard-Sochaux, grands bâtisseurs de cités sans âmes pour parquer LEURS ouvrierEs ont, en accord avec l’ONI (Office National de l’Immigration, devenu Office des Migrations Internationales) arnaqué les immigréEs qui ont dû renoncer à leur carte de séjour et aux droits sociaux acquis en France contre 120.000F3. Nous voyons aujourd’hui que la situation n’a fait qu’empirer, quant aux immigréEs récents, avec ou sans papiers, ils et elles sont condamnés aux logements insalubres soit loués bien cher par les marchands de sommeil soit squattés parce qu’il n’y a que ça.

La politique de la ville est donc à la fois une impasse et une imposture. C’est au capitalisme qu’il faut s’attaquer. Enfin depuis quand quelques éluEs, architectes et autres entrepreneur/se/s du bâtiment devraient nous dire comment nous devons vivre dans nos quartiers ? Il est temps de prendre nos affaires en main pour en finir avec la misère et le relégation.

Gérons la ville nous mêmes ! Révolution Sociale et Libertaire !