Accueil > archéologie:alternataire > La Sociale (2002-2012) > 29 (mars 2009) > Nouvelles des luttes antipatriarcales

Nouvelles des luttes antipatriarcales

vendredi 13 mars 2009


Dimanche 8 mars dernier, je croise un pote à l’Univers, à l’occasion de la projection de « I was a Teenage Feminist ». Il me rencarde pour le lendemain, au planning familial avenue Kennedy à Lille, pour un cours délocalisé de rapports sociaux de sexe. C’est vrai que c’est aussi un peu la grève dans les universités.

Trouvant l’initiative plus que chouette, je me retrouve le lendemain parmi une quinzaine d’étudiantEs de deuxième année de socio… dommage que le comité soit aussi restreint. La démarche est d’autant plus salutaire que l’actualité des plannings familiaux est quelque peu assombrie par la coupe budgétaire de 42% annoncée par Hortefeux (tiens, encore lui). Les incidences de ces restrictions financières sont bel et bien idéologiques, insistent les deux militantes du Planning qui animent la séance. Par ce biais, le gouvernement remet en cause les missions historiques du Planning familial, coupe l’accès de la population à l’information et au savoir et détruit toujours un peu plus de lien social. Pas rentable. A vrai dire, les questions de prévention et de sensibilisation ne semblent pas constituer une priorité des gouvernements anti-sociaux qui se succèdent. Une disposition légale établit la maigre exigence de 3 séances d’« éducation à la vie affective et sexuelle » sur l’ensemble de la scolarité. En l’absence de moyens (et de décrets d’applications), cette disposition a en fait une réalité très variable. Malgré le manque de moyens, le rapport d’activité du Planning de Lille montre une fréquentation en hausse en 2008. Par ailleurs, 50% des gens qui s’adressent aux conseillères du planning familial (ce sont en grande majorité des femmes qui l’animent) sont des étudiantEs. Mais quelles sont exactement les activités d’un Planning familial ? Ce n’est pas uniquement un lieu de dispense des moyens de contraception et des tests de grossesse, mais aussi un lieu d’écoute, d’information et de prévention de la violence, du sexisme et de l’homophobie. A Lille, le Planning assure également des visites médicales et ce n’est pas rien, si l’on compte qu’il faut en moyenne 3 mois pour avoir un rendez-vous chez unE gynécologue et qu’au Planning on obtient un rendez-vous en 10 jours, en moyenne.

Seule la lutte paie

Depuis 1956 et les premières « Maternités heureuses » (clandestines), l’histoire du Planning familial est étroitement liée à celle des luttes féministes. Volonté de maîtrise de sa sexualité, luttes pour l’accessibilité aux moyens de contraception s’y affirment précocement.... et dans l’illégalité jusque 1967. 1967 c’est aussi la date de la loi Neuwirth qui légalise l’accès aux moyens de contraception, alors que l’avortement est toujours considéré comme un crime. Conséquence, les avortements clandestins mettent la santé des femmes en péril, se réalisent la plupart du temps avec des moyens précaires, sauf pour celles qui ont les moyens de s’offrir les cliniques suisses. La morale dominante, catholique et largement façonnée par les hommes, soutient que la légalisation de l’avortement est synonyme de légalisation de conduites « non-responsables » et assimile clairement les femmes qui maîtrisent leur sexualité à des prostituées. C’est à cette époque que de nombreuses féministes, notamment par le biais du Mouvement de Libération des Femmes (MLF), commencent à revendiquer publiquement le fait de s’être faites avorter à l’étranger. Le manifeste des « 343 salopes » est signé par des femmes de renom : Simone de Beauvoir, Gisèle Halimi etc. Des bus sont organisés vers des pays où l’avortement est légal, et revêtus de banderoles du type « nous partons nous faire avorter en Allemagne ». En 1975, la loi Veil, à l’origine temporaire (fait extraordinaire pour une loi) est votée pour une durée de 5 ans, mais aux dires de beaucoup de militantes, elle ne va pas assez loin. Par exemple, et bien que cela fasse partie des promesses de campagne (non tenues) de Mitterrand, il faudra attendre les manifestations de 1982 pour que l’IVG soit remboursée. Comble de l’hypocrisie, un fond à part entière de la Sécu sera alors créé, le « crédit pour l’avortement », histoire de calmer les esprits de ceux et celles qui ne veulent pas cotiser pour une pratique, pourtant libératrice, qu’illes condamnent. De plus, il faut attendre 2001 pour que soit abandonnée l’obligation d’entretien social préalable à l’avortement (exception faite encore aujourd’hui pour les mineures). Ces entretiens étaient jusqu’alors trop souvent l’occasion pour des interlocuteurs malhonnêtes de dissuader les femmes d’avorter et de leur faire la morale. C’est également en 2001 que le délai pour se faire avorter passe de 12 à 14 semaines depuis les dernières règles (il est de 22 semaines en Hollande, si bien que 31 « lilloises » ont du être orientées vers une clinique hollandaise en 2008). Surtout, la loi Veil fut malheureusement marquée par le compromis avec les ennemis du droit des femmes et avec la morale chrétienne. Par l’instauration d’une « clause de conscience », les médecins ne sont pas obligés de pratiquer l’avortement. Conséquence, la pratique de l’IVG devient fonction du militantisme des médecins et il perdure, dans certaines régions, de véritables déserts d’hôpitaux pratiquant l’IVG, ce qui oblige alors les femmes à se tourner vers des cliniques et donc de payer un acte pourtant censé être gratuit. De fait, aujourd’hui, les jeunes médecins ne sont pas toujours formés pour pratiquer des IVG et la gynécologie est de moins en moins pensée comme une spécialité dans les facultés de médecine… Des luttes sociales aux luttes internes aux institutions, la réalité du droit à l’avortement reste dépendante des rapports de force que nous sommes capables de soutenir.

Agir contre l’institution patriarcale

La législation concernant l’IVG est constamment remise en cause. C’est un peu comme le droit du travail : le droit des femmes, lorsqu’il n’y a personne pour le défendre, a toujours tendance à être tiré vers le bas. Aujourd’hui des médecins pétris d’a priori moraux vont jusqu’à refuser de prescrire la pilule du lendemain ou le stérilet. Parallèlement, l’ordre des pharmaciens fait pression depuis quelque années pour obtenir sa propre « clause de conscience ». Aujourd’hui, la législation française réintroduit par touches la question du « statut du fœtus » : le risque de voir l’avortement assimilé à un crime est toujours pesant. Dans certains pays européens (Irlande, Malte, Pologne…) l’avortement est toujours interdit. Malte par exemple, exige la non-intervention de l’Union Européenne dans les domaines du divorce (interdit là-bas) et de l’IVG. Plus largement, tout ce qui concerne le droit des femmes, à l’échelle institutionnelle, demeure fragmenté. L’action publique, quand elle existe, est émiettée. Premier exemple, le volet qui concerne la violence faite aux femmes est caché dans celui plus large de la « lutte contre les discriminations ». Nulle part, on ne reconnaît la violence à part entière faite aux femmes, parce que ce sont des femmes. Deuxième exemple, la prévention scolaire contre l’homophobie, gérée à l’échelle du rectorat, c’est, à Lille, une personne, sans décharge particulière, et sans moyens. Et puis, comme nous l’ont indiqué les militantes du Planning lillois, si la mixité à l’école a été décrétée, ce fut plus dans un souci d’économies de moyens que par véritable réflexion philosophique.

Face à ces tendances réactionnaires, le Planning familial s’affirme comme une structure militante, qui revendique statutairement son féminisme et qui a réussi à se débarrasser de ses problèmes internes de hiérarchie hommes/femmes. On y défend une vision progressiste de la non-mixité temporaire identique à celle qui prévaut dans l’anarcha-féminisme : il s’agit pour les femmes de pouvoir se retrouver, et surtout de pouvoir s’exprimer sans craindre les remarques ou mêmes les jugements tacites des hommes en présence. On y revendique la gratuité des moyens de contraception pour les plus jeunes, qui sont souvent les plus précaires d’entre nous. On y fait la chasse aux données sexuées, trop souvent absentes des études sociologiques. On y fait également le lien entre droit des femmes, santé, immigration, vie économique etc. Dans ce dernier domaine, une tendance récente à la régression a notamment pu être relevée : la précarisation accrue des femmes salariées entraîne le retour à une situation de dépendance économique à l’égard du mari… Il s’agirait également de ne pas oublier les questions d’inégalités salariales, d’assignation à la vie du foyer etc. Le paritarisme et les mesures de discriminations positives ne sont que des cache-misère : hardiEs, camarades, il nous reste du pain sur la planche !