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Un printemps de révolution

jeudi 30 juin 2011


Selon certains politologues, plutôt installés dans l’élite du système, les révolutions ne peuvent se produire en période de repli, de crise économique. Ce faisant, ils affirment ainsi l’illusion des manifestantEs qui se battent contre la dégradation de leurs conditions imposées par les gouvernements européens. Pour eux, les révolutions ne peuvent naitre que dans une société en forte croissance et dans laquelle beaucoup — notamment les classes moyennes — ne bénéficient pas de la redistribution des richesses créées. Notre monde est-il vraiment partout en crise pour que tant de révolutions éclatent ?

Avant les révolutions méditerranéennes actuelles, mais bien après les révolutions européennes du 18e siècle, il y eu des précédents assez récents en Philippines (People Power de 1986), Indonésie (1998) et Iran (2009). Si la dernière a échoué, les précédentes ont bien abouti à la chute de régimes corrompus et dictatoriaux qui monopolisaient les richesses entre quelques mains. Sinon, ces révoltes et même ces révolutions [1], qu’ont-elles apporté aux populations ? Un peu plus de liberté peut-être mais aussi des manipulations, dès avant l’émergence des révoltes, et des illusions perdues, comme souvent. La société a digéré toutes les revendications au bénéfice de classes moyennes, avec le soutien d’une partie de l’ancienne haute bourgeoisie, dans un système intégré au capitalisme mondial. Le jeu a rapidement été clos, au bénéfice de la « démocratie » labellisée. Cette démocratie, dite « occidentale », n’est pas celle voulue par les populations occidentales mais celle acceptée par leur gouvernement, tant qu’elle est compatible avec la vision des pouvoirs occidentaux — gouvernementaux ou non — particulièrement états-uniens.

En sera-t-il de même en Mauritanie, au Maroc, en Algérie, en Tunisie, en Libye, en Égypte, en Palestine, en Jordanie, en Syrie, au Bahreïn, en Oman, au Yémen ? Les départs des dirigeants tunisien et égyptien doivent beaucoup à la trahison de proches, bien conscients que le système ne tenait plus que par la répression. Si bien, qu’une frange croissante de la population, éduquée, diplômée et non pas — comme en Europe — en peur de perdre sa place, d’être déclassée, ne supportait plus de ne pas bénéficier d’une méritocratie rêvée. En Libye aussi, les trahisons se succèdent, pour les mêmes raisons : garder du pouvoir et des richesses avec une révolutions coupe-feu plutôt que tout perdre avec une éventuelle révolution sociale, sans intermédiaires politiques. Car les richesses sont là, bien visibles et bien croissantes, exceptionnellement non partagées. La corruption aussi est là, la soumission imposée aussi et sa réaction prévisible, la révolte à venir ; d’où toujours plus de répression pour maintenir un système en place.

Dans les années ’90, la rébellion structurée contre le système a bénéficié à des mouvements comme le FIS en Algérie ; en 1979 à des mouvements comme les Gardiens de la révolution (Pasdaran) et les Moujahiddines du peuple en Iran. Les révolutions ne basculent, n’aboutissent, que parce que des groupes changent de camp, s’allient avec d’autres groupes antagonistes contre un ennemi commun à un moment donné. La suite est souvent moins glorieuse avec prise du pouvoir
de nouvelles élites. Aujourd’hui, les mouvements sont moins structurés, au risque d’être plus manipulables [2], mais les revendications parlent de justice sociale, de liberté. Liberté d’expression, d’action, mais d’entreprendre aussi. Si une partie de ces revendications nous touchent de près, s’agit-il pour autant de soutenir ces révolutions ?

Il est évident que le fond libertaire est ténu si ce n’est quasi inexistant. Le partage des richesses parfois réclamé n’est pas l’égalitarisme mais plutôt la demande d’une hiérarchie de la société moins abrupte, plus supportable. Hors par les anars locaux, quelques marxisantEs et bien peu d’autres, le système capitalisme mondial n’est pas remis en cause, au mieux on lui demande de s’adapter. Ce qu’il fera.

Et pourtant, la réalité est là, une révolution vraiment sociale ne peut se produire que dans une révolution. En effet, la mise à bas d’un système arrive par l’union de toutes les forces en révolte. Même si les classes moyennes présentes ou à venir comptent bien conquérir les places dont elles s’estiment dignes, et la bourgeoisie se redistribuer les privilèges, elles n’y parviennent qu’avec le soutien des prolétaires. Réciproquement, la révolte de ceux et celles-ci n’a que peu de chance d’aboutir sans l’appui de ces classes — l’alliance des plus pauvres et des moins riches — et de la bourgeoisie. Il faut plus de monde pour renverser un régime que pour le maintenir. Il faut plus de force aussi. Et c’est cette force — qu’elle utilise la violence ou la non-violence — qui peut faire pencher les revendications d’individuEs d’un changement de classe à une égalisation de classe. Le combat est fait par tous et toutes et doit donc profiter à tous et toutes. C’est là que les revendications libertaires ont leur place et cela n’est légitime qu’en participant même si l’espoir de faire aboutir ces revendications est mince.

C’est l’une des difficultés. L’évolution dans une société ne peut se faire que par l’accord d’une grande partie de ses composantes, que ce soit par le réformisme ou la révolution. Tout le monde doit être convaincu de bouger, que ce soit pour une lutte spécifique (femmes, sans-papiers, répression policière) ou globale (dictature, système économique, système social) [3]. Ce n’est que par la suite, dans l’élan que l’on peut bousculer encore plus le système, dénoncer et renverser les inégalités existantes dans un cas, naissantes dans l’autre. Si un parti minoritaire tente de s’imposer, ce sera uniquement par la force, la loi du plus fort, pas celle du plus juste. Est-ce encore une révolution ? Quoi qu’il en soit, ici comme ailleurs il faut rester les sans-culottes de toute révolution.

Quant aux observateurs et observatrices lointainEs (personnes, organisations), lorsqu’ils sont d’Europe et d’Amérique du Nord, ils et elles sont aussi acteurs et actrices de par leurs relations ou leurs confrontations avec des gouvernements qui sont longtemps intervenus, dans ces pays en révolte, pour aider les intérêts des dictateurs aujourd’hui décriés et qui interviennent encore pour leurs propres intérêts ou ceux de leurs soutiens. Des gouvernements qui craignent plus pour leurs frontières que pour le sort de populations opprimées comme si jamais assez de cadavres ne jonchaient les chemins jusqu’à nos territoires. Notre combat, dans nos pays, plus riches que ce que les pleurnicheries des médias « clament », c’est de dénoncer, de saboter l’intervention de nos gouvernements.

Notes

[1On dira qu’une révolution est une révolte qui revendique ou qui amène à un changement de régime.

[2Voir les innombrables coordinations syndicales,
étudiantes et lycéennes qui pensaient rejeter les
« politiques » et qui en seront le jeu. Beaucoup trop de
militants et militantes spontanéEs, non politicienNEs,
seront ainsi dégoutéEs pour longtemps de la politique.

[3Même s’il s’agit souvent du « réveillez-vous braves
gens, votre tour approche
 ! » pour reprendre la fable « 
lorsqu’ils ont arrêté les communistes, je n’ai pas bougé, car je
ne suis pas communiste
… ». [Peut-être vaut-il mieux faire
le rappel de la fable de la grenouille qui ne se rend pas
compte que l’eau de la marmite où elle est plongée se
réchauffe doucement jusqu’à la cuire.]