Accueil > archéologie:alternataire > La Sociale (2002-2012) > 33 (juin 2011) > Notre critique de la science est une critique de l’État et du capitalisme

Notre critique de la science est une critique de l’État et du capitalisme

jeudi 30 juin 2011


Jour après jour, notre rencontre avec la technoscience est de plus en plus effroyable. À peine le scandale du Médiator oublié des journaux télé, celui-ci faisait place à la catastrophe nucléaire japonaise. Les produits technologiques nous entourent. Nous vivons parmi eux mais personne ne nous a jamais demandé notre consentement à leurs intrusions dans nos vies. Et pour demain, les technocrates Verts de Lille Métropole nous promettent un futur aux couleurs de la RFID. Par ailleurs, l’exploitation programmée du gaz de schiste annonce des ravages à venir pour les sous-sols, sous couvert d’indépendance énergétique de la France — et pour le bonheur des porte‑monnaie du CAC 40.

Que retenir du nucléaire ?

Three Miles Island ou Tchernobyl ? Au sein de la troisième puissance économique mondiale, au lendemain de la catastrophe qui secoua le Japon en mars dernier, les autorités politiques pinaillaient sur les mots. Comme pour tenter de masquer d’un écran de fumée leur complaisance avec l’industrie du nucléaire au moment d’installer des centrales. Les mêmes qui hier niaient le danger du nucléaire n’ont plus tout d’un coup à la bouche que des paroles qui auraient pu être comiques si cet événement n’avait eu aucune conséquence sur la vie d’humains (ni sur l’écosystème) : calfeutrez-vous chez vous, respirez dans des mouchoirs mouillés

Tant qu’il n’y a pas de soucis, tout va bien. Des normes de sûreté ont été établies, nous dit-on. Le risque zéro n’existe pas mais cette technologie est sans danger. Jour après jour, avec leurs discours infantilisants, les élites technocratiques jouent avec nos vies. Le nucléaire n’était pas dangereux encore hier. EDF avait réussit à taire les accidents dans les centrales nucléaires françaises. Tchernobyl n’avait pu avoir lieu qu’à cause de la gestion scandaleuse d’un régime soviétique sur le déclin. Jusqu’au jour où…

Ce n’est de la faute à personnes si la nature se déchaîne. Il faut bien que l’on puisse allumer la lumière, faire rouler les trains, regarder la télé… Mais a-t-on vraiment besoin du nucléaire ? Et qui a été consulté pour son intrusion dans nos vies ? « C’est le progrès, nous a-t-on dit. Laissons la science aux scientifiques. Ils savent ce qu’ils font. L’implantation de centrales nucléaires est une question technique. » Alors que l’on a pu soumettre au référendum des questions aussi triviales que la ratification du Traité Constitutionnel Européen, les questions technoscientifiques doivent rester à l’abri du débat. Laissons le complexe industriello-académico-militaire expérimenter avec la planète. « Tout va bien, circulez. »

Si « tsunami » est un mot japonais, il faudrait être bien mauvaise langue pour affirmer que le Japon n’en a jamais connu et qu’il ne connaissait pas le risque d’en connaître de nouveaux. De plus, dans le pays qui le premier a connu la puissance dévastatrice du nucléaire à Hiroshima et Nagasaki en 1945, l’opposition à cette technologie est largement majoritaire. Pourtant, nul « principe de précaution » n’y a été appliqué. Il faut — au pays du soleil levant comme ailleurs — produire toujours plus d’énergie pour pouvoir répondre à une demande, créée de toutes pièces par l’économie capitaliste, toujours plus forte et ainsi engranger plus de profit. Peu importe les conséquences que peuvent avoir les objets technologiques, le pouvoir ne s’en soucie guère. « Vous n’allez quand même pas être contre le progrès, non ?! »

Nous aurions pu également nous attarder plus longuement sur la militarisation qu’entraîne l’implantation de centrales nucléaires ou sur la question des déchets nucléaires qui par leur unique présence auraient dû imposer l’abandon de cette production technoscientifique. Mais regardons toutefois maintenant l’avenir radieux que nous promet la même élite technophile qui hier nous vantait la « sûreté » des installations nucléaires.

RFID, police totale

« Lille (Big Brother) XXL ne pucera pas » peut-on lire sur les murs de Lille et des alentours. Au coeur du débat, l’instauration par Transpole et Lille Métropole d’une nouvelle carte de transport utilisant la technologie RFID (Radio Frequency IDentification) similaire au Pass Navigo parisien. Revenons quelques peu sur ce projet « orwellien ». De la taille d’un grain de riz, une puce RFID contient une mémoire et une antenne. Lorsque cette puce passe à proximité d’une borne, cette dernière peut alors lire les données qui y sont stockées et les modifier. Les technologies RFID sont destinées principalement à la gestion des flux et la « traçabilité » des marchandises, des animaux et des humains. Grosso modo, une carte équipée d’une puce RFID fonctionne comme une carte à puce classique sauf qu’il n’y plus besoin de contact entre la carte et le capteur. La lecture des informations contenues dans la puce et les transferts d’informations entre la puce et le lecteur n’ont donc plus à être des actions consciemment effectuées par son utilisateurRICE. La puce de la LMCU contiendra photo, nom, prénom, adresse, numéro de téléphone, profession... Dans ce projet, il est également prévu que chaque usagerE des transports en commun soit obligé de badger dès qu’il ou elle effectuera un trajet — et donc qu’il y aura risque d’amende si ce n’est pas fait même si on a un abonnement. Les déplacements seront alors enregistrés dans une base de donnée — pour établir des statistiques et améliorer l’offre en fonction de la demande, nous dit-on avec des coeurs dans les yeux. C’est en fait un projet de fichage à grande échelle de la population qui est mis en place.

Bien que les éluEs Verts qui portent ce projet agitent l’étendard de la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés) — dirigée par l’ancien sénateur du Nord Alex Türk —, nous ne sommes pas dupes. La science a depuis longtemps été mise à profit pour contrôler la population et son apparence de progrès politiquement neutre ne nous convainc pas. La CNIL a un pouvoir extrêmement limité et n’occupe qu’un rôle de caution pour le fichage croissant de la population. Une carte anonyme est prévue pour satisfaire ses exigences mais celle-ci sera plus chère : notre liberté devra donc se monnayer. De plus, Transpole n’a pas par contrat à maintenir indéfiniment l’existence d’une telle carte. Nous sommes également conscientEs de l’intérêt que peut avoir un tel fichier des habitudes de vies de chacunE pour la police ou les publicitaires. Que la LMCU nous affirme que les fichiers ne seront pas partagés et que leur accès sera réservé à des circonstances exceptionnelles ne nous rassure pas. Une fois cette technologie implantée, le loup est dans la bergerie, rien de plus simple que de modifier les termes du projet en catimini. Comme l’implantation du nucléaire, ce projet a été décidé sans réelle concertation. Les pseudo-débats démocratiques ne sont jamais que des mascarades servant l’acceptabilité de décisions prises à huit clos. Les technosciences ne font jamais l’objet de débat démocratique : elles envahissent notre quotidien de manière totalitaire.

Notre critique de la science est une critique du pouvoir autoritaire des marchands et de L’État

La recherche scientifique n’est pas uniquement une accumulation de savoir. La technoscience est intrinsèquement dotée d’une capacité d’action et modifie chaque jour notre monde en expérimentant en permanence avec nos vies. Guidée par la voix unique du profit, la production capitaliste nous inonde de produits dont nul ne connaît les effets sur la nature. Le rythme effréné du capitalisme n’est pas compatible avec le temps de l’expérience scientifique. Nous sommes les cobayes de leurs expériences in vivo.

Il serait naïf de penser que la recherche ne progresserait que suivant une logique qui lui serait propre, basée sur « la raison ». La science est une activité humaine. Elle a toujours été liée au pouvoir qu’il soit religieux, royal, étatique, industriel ou militaire. En effet, avoir du temps pour chercher suppose de disposer de moyens matériels et humains donc financiers. Toutefois détenir un savoir, c’est être maître de son utilisation. Nos élites technocrates l’ont bien compris et ce depuis longtemps. La science est un moyen de gouverner. Détenir un savoir, c’est pouvoir anticiper, contrôler, gérer.

Toutefois, critiquer la science s’avère une activité risquée : critiquer la science, c’est critiquer le progrès. Rapidement le spectre de la bougie sur les parois de la caverne pointe son nez. Pourtant la science n’est pas une activité neutre politiquement. Elle est façonnée par la société dans laquelle elle est construite. Les chercheurEUSEs font partie de la société et les programmes de recherche sont financés par l’État et l’industrie. Ce n’est pas sans incidence sur la forme des savoirs produits ni sur la manière dont ils sont transformés en produits commercialisables. De plus, aucun réel questionnement démocratique n’est jamais posé sur l’adoption de telle ou telle technologie. Les industries produisent de nouveaux objets et ensuite seulement l’État tente de légiférer tant bien que mal leurs utilisations. La recherche technoscientifique produisant par définition des objets neufs, les questionnements sur leurs effets possibles n’arrivent qu’après, une fois les nouvelles technologies implantées. Cette imposition totalitaire du progrès, nous la refusons.

Cependant, notre rapport à la science est toujours complexe. Si l’homme et d’autres animaux ont développé des savoirs et des techniques, c’est au départ pour améliorer leurs conditions d’existence. Malgré la multiplication des maladies ou dégénérescences liées aux productions technoscientifiques, l’espérance de vie a augmenté durant les siècles. La science produit des savoirs efficaces. Cependant, elle est à l’image de la société dans laquelle elle a été élaborée. Critiquer la technoscience, c’est dénoncer la production et l’économie capitaliste. Nous ne sommes pas contre la production de savoirs et l’utilisation de techniques. Par contre, nous nous opposons aux technosciences en tant que fruit du système capitaliste, guerrier et productiviste. Lutter contre l’imposition autoritaire de produits technologiques, c’est lutter contre la domination qu’exerce l’État et le capital sur nos vies.

Aujourd’hui, si nous luttons pour l’abandon du nucléaire et des projets RFID c’est parce qu’ils sont les armes dangereuses que le pouvoir s’est construit pour transformer notre monde. Notre lutte contre la technoscience est une lutte contre l’État et le capitalisme.