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Sans papier au quotidien : « Nous sommes illégaux, mais nous ne sommes pas hors-la-loi ! »

Entretien avec Kamel, sans-papier lillois

samedi 21 juillet 2007, par zero


Ce témoignage à été réalisé le Vendredi 6 juillet, il a pour but de déconstruire le cliché du sans-papier assisté, profiteur, voleur, ou encore dangereux façonné par les dirigeants politiques, véhiculé par les médias de masse, et profondément inscrit, à tort, dans l’imaginaire collectif.

Kamel bonjour, est-ce que vous pouvez vous présenter ?
« Je m’appel Kamel, j’ai 38 ans, je suis d’origine algérienne et je suis un sans-papier, comme tant d’autres. Je suis marié depuis huit ans, je n’ai pas d’enfant et j’habite à Lille. Ca fait un an et demi que je vis en France, auparavant je vivais dans la petite ville de Collo en Algérie ».

Est-ce que vous travaillez ?
« Je travaille sur les marchés mais ça dépend c’est pas fixe, je peux travailler une, deux à trois fois par semaine comme je peux aussi bien ne pas travailler du tout pendant 15 jours vous savez je suis sans-papier et un sans-papier n’a pas le droit de travailler ».

Pourquoi avez-vous décidez de venir vivre en France, et ici à Lille ?
« D’après les médecins algériens ma femme ne peut plus avoir d’enfant, ni en Algérie ni en France, ceci à cause d’importants problèmes de santé et d’opérations médicales ratées. Malgré ça on a pas baissé les bras, j’avais un travail en Algérie, j’étais commerçant, j’avais une maison et j’ai tout plaqué pour venir vivre ici. Ma femme tenait beaucoup à avoir un enfant, elle a déjà eu une première grossesse mais elle a fait une fausse couche, elle a perdu le bébé le huitième mois à cause d’une hépatite A. Au bout de six ans on a tenté notre chance ici, c’était la seule qui nous restait, malgré les difficultés pour obtenir un visa en Algérie pour venir en France, surtout un visa médical, par chance on nous a accordé un visa touristique (périmé au bout d’un mois) ce
qui nous a permis d’arriver à Orly le 5 février 2006. Puis nous avons été accueillis chez mon beau-frère à Lille. ».

Que s’est-il passé depuis votre arrivée à Lille ?
« On est resté un mois chez mon beau-frère, il y a eu des complications et on s’est retrouvé à la rue, c’est à ce moment précis que l’on s’est sentis véritablement clandestins, sans-papiers. On a commencé à courir à droite et à gauche, à vivre un mois ici deux mois par là, on a vraiment cherché partout, on a fait le 115, on est resté sept mois dans un foyer à Fives et c’est là d’ailleurs que j’ai côtoyé le CSP 59* avec qui je lutte sans arrêt. Le problème de l’instabilité est quelque chose de très difficile à vivre, pour tout le monde de toute façon, quand on a pas un chez soi, on ne peut pas se sentir bien. On a vécu des moments où l’on se levait le matin sans savoir où l’on allait bien pouvoir dormir le soir, en l’espace de six mois on a dû changer au moins sept fois d’endroit. Aujourd’hui nous vivons clandestinement dans un logement étudiant mais ça vas durer peut être un mois pas plus, après çà on ne sait pas encore…Tout ça pèse très lourd à la fin, c’est très fatiguant.
Entre-deux j’ai déposé un dossier à la préfecture, depuis ce jour j’attends une réponse, tout comme 500 autres sans-papiers du CSP qui ont fait les mêmes démarches que moi. Mais à chaque fois la préfecture repousse les rendez-vous, elle rajoute toujours de nouveaux critères, et quand tu fais le nécessaire, quand tu fais l’effort de prouver que tu t’intègres dans la société française la préfecture se moque de toi. Il n’y a rien en échange, la préfecture gagne du temps pour éviter de traiter chacun des dossiers, elle trouve constamment des prétextes, les sans-papiers en ont marre.

Que faut-il collecter pour constituer un dossier en vue d’une régularisation ?
Pour espérer une régularisation il faut tout d’abord déposer un dossier à la Préfecture, c’est une démarche, dans celui-ci doivent figurer :
.Une domiciliation sur Lille.
.Une promesse d’embauche (comme quoi on vous promet un emploi sitôt que vous êtes régularisé).
.On vous demande de suivre une formation.
.On vous demande également de prouver votre intégration dans la société française (de faire du bénévolat dans des associations, d’apprendre le français, de collecter des lettres attestant votre bonne intégration…).
Ces critères sont d’une grande hypocrisie, comment voulez-vous suivre une formation et obtenir une domiciliation dans votre ville si vous n’avez aucun papier ? Je suis obligé de me loger clandestinement, j’ai tenté de suivre une formation d’entraîneur de foot mais toutes les portes se sont fermées à partir du moment où je n’ai pu fournir mes papiers d’identités. C’est la stratégie de la Préfecture elle sait très bien que les conditions exigées ne peuvent être remplies par les sans-papiers, elle joue avec nous, son objectif est de nous décourager pour qu’on reparte de nous-même dans notre pays d’origine. Pourtant il n’y a pas un sans-papier du CSP qui n’a pas un dossier solide à la Préfecture, et c’est pour ça qu’on n’en a jusque-là, la Préfecture ne prend rien en considération, c’est ça qui est énervant.

Justement quand on est sans-papier en France, à Lille, quels sont les différents niveaux de précarité et les problèmes que l’on peut rencontrer dans la vie quotidienne ?
« Les problèmes font partis de notre vie, un sans-papier n’est pas considéré comme un être humain à part entière, là où il va on lui claque la porte au nez, il n’est jamais le bienvenu, et ce qui fait la différence entre deux êtres humains, un citoyen et un sans-papier c’est juste un petit bout de papier, je trouve ça anormal. Un sans-papier n’a pas accès au travail, au logement, aux formations, il n’est pas considéré comme un être humain, quand on circule, quand on se promène dans la rue il y a toujours des risques de se faire arrêter par les policiers qui sont toujours plus nombreux.

Ca vous est déjà arrivé ?
« Oui à deux reprises… La première je sortais du médecin, je marchais sur le trottoir près de la place de la République, quand j’ai vu des policiers de la PAF* en voiture se diriger à toute vitesse vers moi, ils ont freiné et ils se sont mis à courir après moi. On aurait dit que j’étais un criminel ou je ne sais pas quoi ! Ils m’ont demandé mes papiers, comme je ne les avaient pas ils m’ont embarqué direction le poste de la PAF. La police a appelé mon beau-frère lui demandant mes papiers et de ramener ma femme afin que je sois relâché, mais c’était un piège ils ont fait venir ma femme pour l’arrêter elle-aussi, et si sans précaution mon beau-frère avait ramené mon passeport, j’aurais été expulsé aussitôt. Entre-temps ils m’ont isolé dans une cellule pour me déshabiller intégralement alors qu’il m’avait déjà fouillé trois fois. Ensuite ils nous ont attachés sur un banc avec d’autres personnes, des asiatiques, un policier est entré est a dit « Si vous voulez tranchez des têtes, faut aller en Irak faut pas venir en France », vous imaginez ! Nous on est pas là pour couper des têtes, on est là parce que dans certains de nos pays des têtes sont coupées, nous ne sommes pas dangereux, nous sommes vraiment en danger, on vient ici pour demander de l’aide. Ma femme et moi avons été séparés, de son côté elle a été obligée de retirer son voile, elle a été enfermée dans une cellule froide, moi j’étais dans une minuscule cellule dans laquelle on été six, on pouvait à peine respirer. On est resté 24 heures, le lendemain on a été transféré au centre de rétention de Lesquin toujours séparés l’un de l’autre, on a été humilié de bout en bout. Arrivés là-bas, on ne savait pas combien de temps on allait être enfermés, une peur s’est installée dans notre ventre, on ne savait pas ce qu’on allait devenir, on se demandait quand est-ce qu’on allait nous embarquer pour nous expulser. Finalement on est resté quatre jours, on est passé au tribunal, puis on a été relâché, enfin, nous avons été escortés… Ma femme a subi un véritable choc moral, pendant six mois elle n’osait plus sortir, aujourd’hui elle est toujours en dépression. »

Les policiers vous ont interpellés sans aucun motif apparent, pourquoi ? à cause de votre militantisme au sein du CSP, à cause de votre couleur de peau… ?
« Pour moi c’est purement ça, ils m’ont arrêté parce que ma couleur de cheveux était noir, et je trouve pas ça normal du tout. Tenez la deuxième fois que je me suis fait arrêté c’était en descendant à la station de métro Fives (proche du CSP), il y avait quatre policiers près des composteuses, il y avait du monde, je marchais normalement, sans attirer l’attention sur moi, je n’avais rien de particulier avec moi, j’étais en règle j’avais mon ticket de métro, et pourtant un policier m’a couru après pour me demander mes papiers, pourquoi moi ?Alors qu’il y avait une dizaine de personnes autour de moi ?
Ils m’ont fouillé devant tout le monde, ils ont vidé mes poches sur les composteuses, et ils m’ont demandé mes papiers. J’ai répondu que je n’avais rien à cacher et que j’étais sans-papier, l’un d’entre eux a pris mon permis algérien, l’a montré à son collègue en se moquant de ma photo, pour me provoquer il m’a demandé si c’était vraiment moi dessus mais je n’ai pas bronché. D’ailleurs j’avais l’opportunité de m’enfuir, entre-temps il y a eu un incident dans le métro les policiers se sont dispersés et je me suis retrouvé seul, mais je n’ai pas voulu m’enfuir, j’ai attendu qu’ils reviennent car pour moi un sans-papier n’a rien à cacher, il n’a pas à s’enfuir. Ils m’ont emmenés au commissariat central, une policière d’origine marocaine a fait mon procès verbal, elle était super sympa, elle a téléphoné au CSP. Je suis sorti au bout de vingt-quatre heures… »

Est-ce que vous vivez constamment dans la peur d’une nouvelle interpellation, ou arrivez-vous à faire abstraction du danger pour vivre ?
« On n’est jamais à l’abri, peut-être qu’en sortant d’ici (lieu de l’entretien) je vais me faire arrêter on ne sait pas, mais j’ai appris à ne plus avoir peur avec l’habitude, aujourd’hui c’est devenu banal mais au début c’était traumatisant. Il y en a pour qui c’est plus dur psychologiquement que d’autres, comme pour ma femme. En tout cas ce n’est pas une vie, un sans-papier ne vit pas, il doit survivre. Tout ces problèmes cumulés rendent le quotidien d’un sans-papier très difficile »

Et aujourd’hui pouvez-vous encore croire en une régularisation ?« Le CSP ça fait onze ans qu’il existe et il a permis la régularisation de beaucoup de sans-papiers, aujourd’hui c’est ça qui me donne l’espoir de croire en ma régularisation, j’ai entièrement confiance en le CSP, c’est ma troisième famille après celle que j’ai ici, et l’autre que j’ai en Algérie. Je pense avoir mes chances, écoutez, mon beau-père à travailler 4O ans en France, à l’époque la précarité était encore plus grande, et les sales boulots c’était pour les immigrés, il a également fait son service militaire en France. Le grand-père de ma femme à fait les deux guerres avec la France, il a permis sa libération, donc comment se fait-il que sa petite-fille qui parle le français couramment, qui connaît la culture française plus que quiconque ne soit pas aujourd’hui reconnue française ? De toute façon il ne faut pas baisser les bras, seule la lutte arrachera les papiers ! »

Justement pouvez-vous me parler de ces occupations réalisées par le CSP ces derniers-temps ?« 
On a surtout voulu frappé un grand coup au moment des élections présidentielles, on a voulu bousculer la Préfecture car on savait que c’était le moment crucial pour espérer quelque chose, on sait bien que c’est là que les responsables se montrent compétent et bienveillant devant l’opinion publique. On a fait des occupations pour montrer que les sans-papiers étaient actifs, pour montrer aux gens nos revendications, on en a fait une première à la mairie de Lambersart, on a sollicité Mr Daubresse, le maire de la ville et l’un des bras droits de Mr Sarkozy. Il nous a promis d’en parler avec lui, qu’il fallait lui laisser du temps. Mais pour nous le temps est en notre défaveur, à tout moment on peut se faire arrêter et expulser, on a exigé des papiers de suite mais en vain.
La seconde occupation c’était à la cité des entreprises de Marcq-en-Baroeul, on a voulu interpellé le patronat afin qu’il exige du futur président de la République une régularisation massive des sans-papiers comme l’ont fait leurs homologues espagnol et italien.
La troisième c’était à l’université de droit de Lille II, je vais vous dire là-bas j’ai été choqué, comme c’était une fac de droit on pouvait croire qu’on s’y sentirait plus en sécurité, que c’était « la Maison du Droit » mais c’était le contraire, la doyenne n’a même pas voulu entendre nos revendications et nous a demandé, je cites : « de partir de là, par mesure d’hygiène »… elle nous a pris pour je ne sais pas quoi, pour des sauvages ou des animaux. On est sorti de notre plein gré et heureusement car dehors ils avaient déployés un dispositif policier énorme. Et on ne voulait pas avoir autant de blessés qu’à la dernière occupation où il y en avait eu 11.
Et puis la dernière c’était à l’occupation de l’espace internationale de la chambre de commerce, il y a eu 58 arrestations et 3 algériens sans-papiers ont été embarqué directement pour être expulser, mais heureusement dans l’avion les gens se sont interposés et ont empêchés l’expulsion. Depuis ils ont été relâchés.

Voilà çà c’est le projet Sarkozy en matière de sans-papiers ! Il a exigé des quotas et des chiffres, on n’a jamais vu çà dans l’histoire de France, il demande à l’avance 25 000 expulsions (comme les deux années précédentes) et 125 000 interpellations pour l’année qui arrive. Ca nous fait rappeler les rafles du temps de la Seconde Guerre Mondiale. Il nous dit « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde », mais depuis des siècles la France prend toute la richesse du monde, elle a exploité nos hommes, nos terres et nos richesses et elle ne reconnaît pas les enfants de ceux qui se sont battus et sacrifiés pour elle ! Il dit que ça coûte trop cher d’accueillir les sans-papiers, mais l’Etat vient de construire deux nouveaux centres de rétentions, un à Lesquin et un à Sequedin (d’ailleurs grand nombre d’habitants de ces villes ne sont pas au courant que ces centres existent près de chez eux). Ce n’est pas un investissement, c’est de l’argent perdu, à qui profite ces deux nouvelles prisons pour sans-papiers ? Aux citoyens de Lille, de Lesquin ? Ils auraient pu construire une ou deux usines à la place, ça aurait fait moins de chômage. Sarkozy crée un ministère de l’identité nationale et de l’immigration comme si cette identité était menacé par l’immigration, alors que ce qui constitue la richesse de l’identité française c’est sa diversité culturelle, lui-même est un fils d’immigrés hongrois, si l’identité nationale était figée il n’aurait jamais pu être avocat ou aujourd’hui Président de la République.