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CALAIS : UNE NOUVELLE ZONE DE NON DROIT ?

Article issu du 8 pages spécial lutte des sans papiers - été 2007

samedi 21 juillet 2007, par zero


Dans le Nord pas de Calais on compte aujourd’hui entre 20 000 et 25 000 « irréguliers ». Rendu-e-s plus vulnérables par les dernières lois des gouvernements Sarkozy (dont la loi CESEDA de 2006), la plupart d’entre eux rejoint les alentours du port de Calais. Là-bas, illes se retrouvent sans abris et sans droits, dans l’espoir de traverser la Manche vers l’Angleterre.

Avec la fermeture du camp de Sangatte en janvier 2003, Sarkozy (alors ministre de l’Intérieur), entamait déjà sa bataille contre le droit des migrant-e-s à circuler librement par delà les frontières. Avec la logique bien répugnante de l’ « appel d’air », on a voulu nous faire croire que fermer le camp d’aide humanitaire géré par la Croix rouge reviendrait à en finir avec le « problème » des migrant-e-s dans la région. C’est un peu comme si on affirmait que pour réduire le nombre de drogué-e-s, il fallait interdire la distribution de seringues propres… le résultat : forcément un désastre sanitaire.

Si on résonne en termes médiatiques, l’opération est réussie : une fermeture orchestrée en grandes pompes, la dispersion dans la nature de ses 1600 occupant-e-s et depuis, silence radio sur la situation des sans-papiers, comme s’il n’y en avait jamais été question. Il ne faut pas être bien fin pour deviner que la réalité est toute autre. Et en la matière, le silence des journalistes se fait complice. Même ouvert, Sangatte n’a jamais été capable d’héberger les milliers de réfugié-e-s qui fuient l’extrême pauvreté, la guerre l’instabilité politique et la répression partout dans le monde. Si bien qu’aujourd’hui, nous en sommes revenu-e-s à une situation encore plus dégradée qu’avant 1999, date à laquelle les pouvoirs publics ont confié la gestion du camp aux humanitaires pour se débarrasser de la question politique trop embarrassante.
Pire, car non content de jeter dans l’indigence des individu-e-s qui n’espèrent qu’une normalisation administrative de leur situation, leur accueil se fait maintenant à grands renforts de matraques et d’humiliation. La clandestinité se vit à Calais comme un jeu du chat et de la souris où les chats portent un uniforme bleu marine et où les souris trouvent refuge dans leurs « jungles » à eux.

Pour contraindre les sans-papiers à accepter l’aide au retour volontaire, procédure bien pratique puisqu’elle n’engage ni recours administratif, ni simulacre de procès, les forces de l’ordre font preuves d’originalité mais surtout d’acharnement. Contrôles à répétition (et au faciès, ça va de soit), arrestations quotidiennes (avec son lot de réflexions déplacées mais passons), détentions régulières aux centres de rétention de Coquelles -qui s’est d’ailleurs agrandit en même temps que le camp de Sangatte fermait- ou de Lesquin. Les squats sont régulièrement gazés, les arrestations sont perpétrées jusque sur les lieux de distribution des repas et il arrive, parfois, que des immigré-e-s soient baladés, dans la campagne calaisienne, voir au-delà, et laissés au bord d’une route… Les harcèlements policiers et judiciaires constants ne visent qu’à leur faire comprendre qu’une seule chose : illes ne sont pas les bienvenu-e-s sur le terrain de jeu de la police française.

Face à cette situation intolérable, la ligne humanitaire apparaît limitée. Le principal collectif politique de solidarité avec les migrant-es-s, CSUR (composé d’associations telles qu’ATTAC calaisis, Emmaüs, le Secours catholique, la Ligue des droits de l’Homme et d’un parti politique : les Verts) est composé d’éléments très variés qui peinent à sortir des directions fixées pour eux par la préfecture.
CSUR comporte paradoxalement son sein certaines associations subventionnées par l’Etat sous formes de dons, comme c’est le cas de SALAM (Soutenons Aidons Luttons Agissons pour les Migrants et les pays en difficultés) ou la Belle étoile. Aujourd’hui, ces deux associations fournissent bénévolement et artisanalement une grande partie des repas quotidiens aux migrants, ce qui constitue le gros de leur travail d’aide humanitaire. Difficile de ne pas voir là un calcul gouvernemental de délégation de la prise en charge caritative sur le dos du travail associatif et de terrain.

Le travail d’aide humanitaire a le mérite d’exister mais se passe trop souvent d’effleurer les responsables politiques. Et quand ce n’est pas le cas, ou qu’une des associations devient trop visible ou trop véhémente, le ménage se fait automatiquement. Ainsi, l’association SALAM qui a eu pour seul tord de vouloir étendre l’aide aux migrant-e-s à la mise en place de douches et d’une salle où les émigré-e-s pourraient manger assis, s’est fait exclure le 30 juin dernier par le représentant du Secours catholique, l’abbé Boutoille, du local où l’association préparait les repas (chauds) du soir. Tous les piliers de l’action humanitaire : cette demi-douzaine d’associations avec leurs lignes de conduite souvent opposées (voir concurrentes), la mairie (PCF) avec ses velléités progressistes et ses contradictions conservatrices, le conseil général... agissent comme autant de centres d’inerties trop difficiles à mobiliser tous à la fois pour contrecarrer l’entreprise de rendre clandestins, marginaux et précaires ces dizaines de migrant-e-s.

De problème il n’y en a qu’un : les frontières

Pour sortir de cette situation de non droit, d’autres alternatives à la gestion caritative de la misère se sont fait entendre. Trop minoritaires et trop isolées, elles ont toutes étaient la cible d’une marginalisation, voire d’une criminalisation. Ces alternatives politiques ont été aussi bien portées par des émigré-e-s soucieu-ses-x d’informer leurs compagnon-ne-s de leurs prérogatives en matière de droit que par des individu-e-s et des collectifs de défense de la liberté de circulation (Passons-nous des frontières, La Mouette enragée en sont quelques exemples). Le travail d’information ne pouvant rarement se passer de l’action revendicative, les politiques xénophobes de fermeture des frontières sont alors vivement montrées du doigt, tout comme le passage idéologique vers une conception utilitariste de l’« immigration choisie ». C’est dans ce combat que nous préférons voir une issue possible, dans une optique de solidarité avec les réprimé-e-s de tous les Etats.

Mais aller à rebrousse poil du discours idéologique dominant par ailleurs fortement imprégné des exigences économiques n’est pas sans risque. Et le parti pris de l’Etat est sans scrupule en la matière. On a vu comment la perspective de l’entraide a été rapidement brisée à coups de sanctions pénales. Se lever avant le décollage d’un avion pour protester contre une expulsion forcée est aujourd’hui passible de 5 années de prisons... C’est ce que risquait mardi 3 juillet Mme Durupt, âgée de 60 ans, devant le tribunal correctionnel, pour s’être contentée de protester et de demander à voir le commandant de bord lors d’un vol Paris-Bamako, avant de se faire menotter et expulser de l’appareil par la police. Si le silence complaisant ne s’impose pas par lui-même, la loi est là pour faire taire les plus bavard-e-s.

A Calais, la répression frappe aussi. Akash, un militant pakistanais passé à Calais fin 2005, a réussi à mobiliser tou-te-s les sans-papiers « calaisien-ne-s » pour la normalisation de leur situation. Résultat : arrestation en préfecture d’Arras, deux tentatives d’expulsion, filature dans les rues de Calais par les CRS et les gendarmes. Pas de traitement de faveur non plus pour le collectif de médias indépendants Indymedia dont l’antenne lilloise est attaquée actuellement en justice par l’Etat en la personne de Dominique De Villepin lui même (en tant qu’ancien ministre de l’Intérieur) et de la « direction zonale Nord CRS ». L’objet de la poursuite porte sur des articles publiés sur le site Internet du collectif (http://lille.indymedia.org) en juin 2004 qui mentionnaient des opérations de « rafles » policière à l’encontre des migrant-e-s dans la zone portuaire de Calais. La plainte leur reproche un aspect diffamatoire et insultant à l’encontre du corps de fonctionnaires.

Le petit Larousse illustré :
rafle : Opération policière exécutée à l’improviste dans un lieu suspect ; arrestation massive de personnes.

Dans le cadre d’un « délit de presse », puisque c’est le titre officiel, la justice s’attaque à une personne qu’elle considère comme directeur de la publication du site internet d’Indymedia Lille. Cette accusation est d’autant plus grotesque que le site web du collectif fonctionne sur le principe de la publication ouverte. N’importe qui est en droit de proposer des articles, qui sont relus par les membres du collectif. Voyons plutôt une volonté de s’attaquer à une autre conception plus « réaliste » de la situation calaisienne et plus largement à une conception de la liberté d’informer qui ne se dispense pas d’attaquer les responsabilités politiques en refusant le formatage de l’information de masse.

Dernier exemple dans cette récente liste noire et strictement locale, le procès d’une militante individuelle de Calais bien connue des policier-ère-s calaisien-ne-s pour donner du fil à retordre à leurs manœuvres omnipotentes. En relation avec les immigré-e-s, zetkin, du nom de son surnom militant sur internet, est le relais oculaire majeur des exactions policières qu’elle dénonce, photos à l’appuie. Son identité personnelle dénoncée par un journaliste de Nord littoral, zetkin se retrouve traînée en justice pour des motifs fallacieux : insulte à représentants de l’ordre, port d’arme (une bombe lacrymogène utilisée contre les agressions d’individu-e-s racistes dont elle est parfois victime… et un petit caillou trouvé dans sa poche), et détention de faux papiers trouvés sur elle alors qu’elle les gardait depuis 3 jours croyant que ces papiers étaient égarés. Heureusement témoins il y a eu mais voilà la militante traînée en justice début juillet puis fin septembre prochain.

La diversité des chefs d’inculpation laisse penser que le gouvernement cherche à créer une jurisprudence, c’est à dire à servir d’exemple et à trouver le meilleur moyen de faire taire toute liberté d’expression, d’empêcher toute manifestation de solidarité. L’arsenal juridique qui vise notamment à protéger les (ex)actions policières liées à leur fonction d’hommes de main des politiques répressives oblige toute contestation à risquer de se retrouver « hors la loi » à un moment donné. Mais quand la loi crée des véritables délits de solidarité, la source morale de l’action ne doit plus être dictée par les préceptes de la république bourgeoise qui cherchera toujours à mentir. Mais une fois que les politiques xénophobes prennent leur vrai visage, il n’est plus alors question de balbutiements « citoyens » mais bel et bien de solidarité et de désobéissance civile.

Les frontières sont des barrières artificielles nécessaires à l’existence des Etats et de leur mainmise politique : il est temps de se consacrer à plein temps à la destruction de ces limites aux libertés fondamentales tant dévaluées que sont la liberté de circulation et d’installation de TOU-TE-S les individu-e-s.