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Immigration : un pas de plus dans l’intolérance. Résistons !

vendredi 4 août 2006


Une de plus ! serait-on tenté de dire au sujet de la nouvelle réforme du Code de l’Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d’Asile (CESEDA). Une loi de plus, comme toutes les lois visant à réguler les mouvements migratoires, comme toutes les lois sécuritaires visant à cadenasser la volonté d’une libre circulation et installation des personnes, qui se base sur des a priori de race, mais aussi de classe.

Racisme. Les étrangerEs sont souvent stigamtiséEs comme potentiellement délinquantEs, voleurs ou voleuses et apatrides, sans attache à cette foutue république française dont les valeurs sur l’étranger sont celles de la bourgeoisie catholique bien pensante, de Devilliers à la CIMADE en passant par l’UDF. Ces arguments étaient déjà à l’oeuvre depuis deux décennies, les propos toujours relayés d’un Le Pen ont fini par faire de l’immigration un sujet central, non seulement pour la construction d’une Europe grillagée, mais aussi pour expliquer les dysfonctionnements actuels du système capitaliste comme la précarité grandissante ou l’insécurité prétendue. L’immigré, les sans-papierEs ou les enfants d’immigréEs dans les banlieues ou ailleurs représentent donc un coupable potentiel et une cible. Preuve en est : c’est la première fois de la Vème République ,qu’au cours d’une législature, un gouvernement vote deux lois sur l’immigration.

Lutte de classe : avec cette nouvelle loi, c’est aussi un a priori de classe, utilitariste et profiteur qui est à l’ordre du jour. C’est toute l’idéologie libérale qui s’affiche, en choisissant ses immigréEs et en restreignant les conditions d’accès à la régularisation. Concernant “l’immigration du travail” (comme s’il s’agissait d’autre chose), le gouvernement affiche sa volonté d’aller piller les capacités et talents dans le monde. Ne sera “acceptable” que l’étrangerE perçuE comme rentable pour l’économie française. Ainsi, il existera désormais trois différents titres de séjour temporaire pour les salariéEs étrangerEs : carte "salarié" pour ceux embauchés en contrat d’une durée supérieure ou égale à douze mois ; carte "travailleur temporaire" pour ceux en contrat de moins d’un an ; carte "travailleur saisonnier", valable trois ans et autorisant les saisonnierEs à séjourner en France "pendant les périodes qu’elle fixe et qui ne peuvent dépasser une durée cumulée de six mois par an".
Les étrangerEs pourront se voir attribuer l’une de ces cartes, sans que leur soit opposée la situation de l’emploi, pour l’exercice d’une activité professionnelle dans un métier et une zone géographique caractérisés par des difficultés de recrutement. Un amendement a beau avoir été voté, qui précise que la carte "salarié" ne sera pas retirée en cas de rupture du contrat de travail, c’est une logique de précarisation, d’autant plus avec le Contrat Nouvelle Embauche qui fera forcément peser une pression énorme sur le dos des travaileurSEs immigréEs. Les députéEs ont enfin entériné la création d’une carte "compétences et talents", valable trois ans, destinée à faciliter l’accueil des étrangerEs dont "la personnalité et le talent constituent des atouts pour le développement et le rayonnement de la France". C’est ça, choisir ses immigréEs ?

Ce projet crée donc une nouvelle catégorie de travailleurEUSs étrangerEs dont la durée du séjour est limitée au bon vouloir de leur patronNE. De plus, la suppression du droit à la délivrance d’un titre de séjour, pour les étrangerEs présentEs depuis au moins dix ans en France, les condamne à l’irrégularité perpétuelle. Le projet sélectionnera également beaucoup plus l’entrée des étudiantEs étrangerEs (avec diplômes et comptes bancaires à l’appui).

Quant aux étrangerEs en situation régulière, le droit de vivre en famille devient un exploit : le gouvernement durcit les conditions du regroupement familial (ressources, logement, avis du maire sur l’”intégration” de la famille). Il jette la suspicion sur les pères étrangers d’enfants français, qui devront justifier de leur paternité.

A lire cette nouvelle loi sur l’immigration, pour espérer obtenir et conserver leur titre de séjour les étrangerEs devront cumulativement être “bien intégrés”, bien vuEs par le maire de leur commune, en bonne entente avec leur conjoint, appréciéEs par leur patron, disposant d’un bon salaire et d’un grand logement.

Que cette loi arrive en fin de législature de droite boucle 5 ans de politique raciste, xénophobe et utilitariste du gouvernement.
Cinq années où la chasse aux enfants a succédé aux traques des réfugiéEs de Calais. Dans l’éducation nationale, les chefs d’établissements ont reçu par les recteurs d’Académie et les préfets l’invitation à faire des listes d’élèves potentiellement irrégulierEs, c’est à dire clandestinEs... Des mobilisations, différentes dans leur forme, s’organisent en soutien aux mineurEs ou jeunes majeurEs en voie d’expulsion. Dans l’urgence d’une fin d’année scolaire troublée par les procès des lycéenNEs et l’acharnement sur les jeunes sans-papierEs, la mobilisation pour obtenir la régularisation et empêcher leur expulsion dépend aussi de nous, et gagnerait à être plus massive. Est-ce aux responsables d’établissements de jouer les courroies de collaboration avec le travail de la police ? Dans chaque grande ville, des sans-papierEs ne connaissent pas forcément leurs droits et risquent de mauvaises surprises l’été arrivant. Cette stratégie s’applique aussi “près de chez nous” : en Belgique, des mineurEs d’âge sont régulièrement enferméEs dans différents centres de rétention tels que le centre 127 bis à Steenokkerzeel ou encore les “centres pour illégaux” de Merksplas et de Vottem dans lesquels viennent d’être créées des ailes réservées aux familles. Les enfants, seuls ou avec leurs parents, y séjournent en attendant leur expulsion ou le temps de l’examen de leur demande d’asile. Au début de ce mois d’avril, on dénombrait 55 enfants détenus, mais ce chiffre peut être parfois plus élevé : à titre d’exemple, en janvier, il y en avait 73.

Ces cinq années c’est donc - aussi - l’agrandissement du parc pénitencier via la construction de nouveaux centres de rétention. À Lesquin, la prison est maintenant presque prête. Partout les arrestations violentes se produisent : en avril, à Rouen, une femme originaire d’Afrique noire est restée 8 heures enfermée dans un véhicule de la police sans nourriture, pour elle et son bébé, avant d’être conduite à l’aéroport. Au centre de rétention de Rouen, une femme très âgée est arrivée avec un adolescent. Le centre commence à se remplir avec des familles.

Ces cinq années, c’est la stigmatisation des sans-papierEs et plus généralement de celles et ceux potentiellement “étrangerEs”, comme, par exemple, pendant les événements de novembre 2005 et l’état d’urgence, ou encore avec les lois cyniques dans l’éducation visant à réhabiliter la colonisation.
Un des buts avoués de cette loi est aussi de faire de l’immigration un, sinon LE thème de campagne de l’année prochaine : de Jack Lang qui prêche la “régularisation de tous les sans-papiers” (il sait pas où c’est Boulogne-sur-Mer...), à Sarlozy aux bottes de plus en plus bruyantes. Au vu de la politique actuelle des États européens, on fonce droit dans le mur. En France, l’acharnement politique sur l’immigration comme clivage politique fait au racisme une place de choix dans les modes d’expressions, médiatiques notamment. Il suffit de balancer la vanne raciste à la mode pour passer à la télé. De Dieudonné à Sarkozy, il y a décidément place pour le défoulement. On le voit avec cette loi, le droit au séjour pour les familles, les conjoints, les enfants, de toutes celles et ceux qui construisent leur vie en France, devient quasiment inaccessible, et d’autant moins pour les étrangerEs malades. La multiplication sans fin des conditions rendra l’espoir de régularisation bien vain.

Sachant qu’une réforme du droit d’asile devrait largement réduire les conditions d’octroi du statut de réfugié, c’est l’ensemble des droits des étrangerEs qui est en danger. Il est de la responsabilité de chacunE d’entre nous de réagir. En stigmatisant les étrangerEs, le gouvernement tente de nous opposer les unEs aux autres et il brade les libertés fondamentales. Cette loi porte en elle des intolérances qui sitgmatisent les différences sociales avant tout. Et pourtant elle n’arrive pas à créer contre elle un mouvement digne d’une transe éditorialiste de Libération sur l’unité retrouvée de la gauche. Mais ni cette dernière ni les forces politiques qui sont à sa gauche (tout comme les réseaux d’associations solidaires saignées à blanc par la baisse/suppression des subventions) ne semblent avoir la volonté ou la capacité de ré-engager une lutte globale de soutien aux sans-papierEs au nom de l’antiracisme. Les conditions d’un mouvement comme en 1995 / 1996 sont pourtant largement réunies. Mais les échéances électorales sont là. Vaut-il mieux rester sur la victoire aux points d’avril 2006 ou s’engager dans un autre combat, aussi fort idéologiquement, mais beaucoup plus difficile à porter ? Le choix du parti communiste, qui ne peut s’engager dans cette voie tant son poids électoral repose sur la défense de l’ouvrier français, est symptomatique : “Le mouvement social n’est que la prolongation de la victoire du non au référendum”. Et puis quoi encore ? Y-avait-il des électeurs du FN et de De Villiers dans les manifestations de mars-avril ? Si oui, c’était juste des flics. Pas des gens qui prônent la transformation sociale. Or, une des revendications du mouvement social visait la loi CESEDA. Sur Lille, comme dans toutes les grandes villes de France, des sans-papierEs participaient aux manifestations et aux assemblées mises en place. Ce pas vers la solidarité avec ceux et celles qui subissent une discrimation, doit en amener d’autres : s’organiser pour protester. La première des frontières qui nous empêche de nous mobiliser est en nous.

Nous appelons donc à nous mobiliser contre la réforme CESEDA qui fait définitivement des étrangerEs en France, régulierEs ou irrégulierEs, une population de seconde zone, privée de droits, précarisée et livrée pieds et poings liés à l’arbitraire du patronat et de l’État.