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Sans-Papières

ou comment justifier le non droit des femmes

juin 2000


Les sans-papières incarnent le symbole de la précarité la plus totale. Elles subissent une oppression en tant que femmes, en tant qu’immigrées et en tant que sans-papiers.

Les femmes immigrées, souvent réduites à leur condition de mère, d’épouse ou de fille au regard de la loi, ne peuvent faire valoir aucun droit en tant qu’individues. Ce « statut légal » les assujettit dans tous les domaines de leur existence, aussi bien dans l’espace public que dans le cadre privé.

Ainsi, lorsqu’une immigrée change de statut juridique (par exemple quand elle atteint l’âge de la majorité ou bien si elle divorce), elle perd ses droits à la régularisation. Elle ne bénéficie donc pas des mêmes droits que les hommes face à la législation. Dans la même logique, lorsqu’une femme fuit son pays d’origine parce qu’elle y est menacée ou victime de violences patriarcales (mariage forcé, répression de son orientation sexuelle si elle est lesbienne, atteinte à son intégrité...) et qu’elle demande l’asile politique en France, elle a peu de chance de l’obtenir. En effet, les persécutions sexistes et lesbophobes et les violences sexuelles ne sont toujours pas prises en considération pour l’obtention du statut de réfugié.

Lorsque l’administration retire aux femmes immigrées leur titre de séjour ou refuse de régulariser leur situation, elle les oblige donc, en les renvoyant dans la clandestinité, à subir, en silence, les violences faites aux femmes. Car cela signifie pour elles l’absence totale de droits : droit de disposer de son corps, droit à l’éducation, à la formation, à la santé, à la contraception, à l’avortement, au logement, au travail ou à un revenu minimum...

Obligées de se cacher, elles deviennent les premières cibles du capitalisme puisqu’elles sont contraintes au travail au noir sans aucune garantie : des « petits boulots » du style ménages ou gardes d’enfants jusqu’à la prostitution. Elles subissent aussi en première ligne le poids des violences patriarcales puisqu’elles ne peuvent se rebeller, ni même tenter de le faire. En effet, comment se protéger des violences conjugales ? Vers qui se tourner lorsqu’on est victime d’un viol ? L’exemple récent de KC, sans-papière de Toulouse le montre assez bien : victime d’un viol, elle décide, avec le soutien de quelques personnes, de porter plainte au commissariat : la seule réponse a été de la retenir en garde à vue. Ça ne rigole pas au pays des droits de... l’homme ! Combien d’autres dans ce cas ?

Les immigrées, les femmes sans-papiers semblent autant, si ce n’est plus, victimes du sexisme que du racisme. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si elles subissent plus que les hommes les lois sur l’immigration.

C’est parce que ces lois sont non seulement empreintes de xénophobie mais aussi et bien évidemment de sexisme ; parce que nos États, soi-disant justes, laïques et égalitaires sont encore bien ancrés dans le système patriarcal ; et parce qu’à l’heure où nos dirigeants se gargarisent d’adopter la parité en politique, nous sommes quand même toujours prêts à justifier que plus de la moitié de la population mondiale soit maintenue, d’une manière ou d’une autre dans un état de servitude !

Malgré (et aussi contre) le poids de l’oppression, des réseaux de femmes sans-papiers se constituent pour leur autonomie juridique et travaillent en collaboration avec des associations qui luttent pour le respect des droits pour les femmes.

Rappelons d’ailleurs que dans la lutte longue et difficile des sans-papier-e-s sortis de l’ombre depuis 1996, les femmes ont pris une part importante. De plus en plus, elles tentent de s’affirmer en tant que femme et de peser sur les prises de décisions collectives.

Des papiers pour toutes !

Anne SORTINO