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Un joli tour de force électoral !

mardi 5 juin 2007


C’est du reste le grande leçon que nous tirerons de cette intense quinzaine électorale, presque aussi intéressante qu’une finale des chiffres et des lettres. Si la gauche redore son blason au moins en surface, le couronnement suprême reste la réussite éclatante de Sarkozy et l’important virage à droite ainsi entamé. Pour nous le résultat est le même. Les luttes contre le capitalisme et ses laquais n’en seront que plus âpres.

Ier acte - Vote panique et amnésie collective

affiche antielectoraliste

Première constatation, à la faveur du « traumatisme » de 2002, les trois grandes centrales républicaines ont rectifié le tir de 2002 et fait du vote utile une arme de leur nouvelle légitimité. TouTEs, de l’extrême droite à Bové, se sont félicité-e-s de ce regain de l’engouement électoral. Sarkozy en tête a vu là un signe intangible de la volonté des françaisES de ne « laisser personne décider à leur place » et par la même occasion un autre bon moyen de galvauder le sens des mots.

Mais derrière le taux de participation très élevé de ce dernier 22 avril, se cache une sacrée bonne opération de communication. A commencer par ce concept creux du vote utile qui, autant à droite qu’à gauche, a été constamment maintenu dans les médias depuis la claque de Jospin. On a ainsi été privé (à regret !) des candidatures des Boutin, Madelin, Chevènement, Pasqua et autre Taubira qui empiétaient un peu trop sur les parts de l’électorat républicain(1). Comme quoi, il suffit de se mettre d’accord avant.

Le vote « utile », pour tenter d’en faire une notion de psychologie de groupe, consiste à réactiver le très naïf mais très enfoui sentiment civique, inculqué depuis la plus tendre enfance, à la faveur d’un contexte politique et social qu’on agite ici et là comme particulièrement pressant. L’impact du discours alarmiste et culpabilisateur peut alors avoir son effet (pour cette fois-ci en tout cas…). Encore un peu, et on tentait de nous faire croire que si Hitler est arrivé au pouvoir, c’est à cause des abstentionnistes.

Le tour est joué ! La surenchère habile ainsi dispensée couronne d’un coup d’un seul le règne du vote pour le moins pire, amenant aux urnes 12 millions d’électeurs/rices supplémentaires par rapport à 2002... mais ne change évidemment pas la donne politique pour un sou.

Pour aller plus loin dans le diagnostique, précisons que le vote utile nie toute perspective rationnelle de l’action politique et induit même, à la faveur d’une panique de groupe, une amnésie politique irrémédiable. C’est grave docteur ?

Non, il est très facile d’en réchapper, suffit de quelques piqûres de rappel maintenant que le bourrinage médiatique est passé… Alors pour dissiper toute incertitude tenace rappelons-le : à droite comme à gauche on privatise, à droite comme gauche on précarise, à droite comme à gauche on expulse, à droite comme à gauche on quadrille de flics… et les élections n’ont jamais été qu’une affaire de continuité.

En fait, le résultat pour celles et ceux qui comptaient ainsi faire barrage à la droite dure en devient contre-productif. Alors qu’en 2002 on s’inquiétait d’un affaiblissement de la légitimité républicaine, en 2007 la Vème République en ressort flambant-neuve. Et paf ! pour les manifestantEs anti-Sarko du lendemain du second tour qui passent pour des casseurs et casseuses anti-démocrates. Les élections sont passées maintenant, tu peux la fermer, l’heure est revenue du fourgon de CRS à tous les coins de rue. Où est donc l’utile dans tous ça ? Loin du cirque électoral à l’évidence, encore faut-il parvenir à échapper à son matraquage tentaculaire.

Mais la résignation au vote n’a pas été le seul aspect du feuilleton électoraliste. Dans cette vaste opération de « recentrage » à l’anglo-saxonne, on a pu s’amuser aux jeux des différences avec le candidat de l’UDF, pur produit de la montée en neige médiatique. Du jour au lendemain, on a pu lire que François B (dit aussi « la France de toutes nos forces »), partisan de la réconciliation nationale et de la purée carotte à la cantine ferait 20% et pourrait se retrouver au second tour.

Ah ! Il est grand, il est beau notre troisième homme, et méfiez-vous, faucune manœuvre ne l’intimide le gaillard ! Bref, enfin une image rassurante et paternaliste pour nous faire oublier tout le reste, une alternative fantoche qui aurait très bien pu faire trébucher une nouvelle fois le PS en triplant son score de 2002… On aurait alors bien ri avec l’éclatement du PS mais foncièrement on aurait pas vu la différence.

En tout cas, le François à certainement dû bien profiter des courbettes que lui ont fait les deux qualifiéEs du second tour. Et histoire d’affirmer qu’il a n’a plus rien à voir avec la droite, le bonhomme fait comme le Crédit Lyonnais, il change de nom. Dans le Mouvement Démocrate les FrançaisEs "trouveront pour les représenter une force de contre-pouvoir, libre, capable de dire oui si l’action va dans le bon sens et non si elle va dans le mauvais sens ». Ouaw ! Radical ! Merci la télé.

A l’arrivée, si la démocratie bourgeoise donne l’impression de sauver les meubles face à la menace Le Pen, dans les faits il en est tout autrement. L’électorat sarkozien s’élevant à 11,5 millions de fanas du karcher dès le premier tour, il n’existe plus personne pour cacher la face lepéniste de notre nouvel élyséen, pas même Claire Chazal. A gauche aussi on a surenchéri sur le sécuritaire et réclamé plus d’ordre et de paix sociale (attention à ne pas s’y méprendre, de l’ « ordre juste » dans le jargon social-démocrate, c’est juste de l’ordre). Quant à l’immigration, la scission droite/gauche ne se fait plus guère qu’autour de la miséricorde démago sur le cas des ch’tis-n’enfants-et-des-papys-sans-papiers-que-c’est-dégueulasse-de-les-arrêter-en-pleine-rue-quand-tout-le-monde-regarde.
Et Marine le Pen d’avoir le mot de la fin « c’est une défaite électorale pour le front, mais une victoire idéologique… ».

La mort du FN ?

Sarkozy a piqué des voix au front, tous le monde l’a vu, personne ne s’en cache. Le vote utile à droite, ça marche aussi. Et si c’est plutôt drôle de voir le père Le Pen vexé le soir du premier tour, sa fille est là pour relativiser la nouvelle situation du front. Non, le FN n’est pas prêt d’accéder au pouvoir mais ses idées y sont déjà, relookées à la sauce républicaine. Immigration choisie, révision voire négation de l’histoire coloniale et françafricaine, traques et stigmatisation des immigréEs... Le FN n’a visiblement plus le monopole du haut-le-cœur.

Et il faut rajouter à la xénophobie ambiante le grand retour des valeurs réactionnaires : Travail, Famille, Nation. Quand dans l’entre deux tours Ségolène Royal ne voyait « pas de plus beau métier pour une mère que d’élever ses enfants à la maison », Sarkozy fait aujourd’hui dans la rhétorique paternaliste et intègre la très sainte Christine Boutin à son nouveau gouvernement (par ailleurs consultante du conseil pontifical pour la famille du côté de chez Benoit XVI, anti IVG et anti PACS).

En fait, avec la claque des partis d’extrême gauche, minés par l’effet Royal dès le premier tour, on assiste à la constitution de deux tendances. Une droite extrême qui ratisse chez les cathos et qui va bientôt s’attaquer à l’électorat centriste et une gauche type « démocrate », proche de Bayrou. Avec le vote utile, plus besoin pour elle de faire semblant d’être de gauche, de toute façon depuis un bon moment plus personne n’y croit et on vote plus volontiers « anti-sarko » que Royal. Avec un tel schéma, c’est bien sûr le glissement à droite le mouvement tendanciel qu’il ne nous reste plus qu’à freiner désespérément en mettant notre conscience de côté et en votant Royal... Eh bien ce sera sans nous !

Et puis n’oublions pas la surenchère nationaliste dégueulasse. Dans leur bouche, faire du social revient à imposer la Marseillaise dans les écoles et le drapeau tricolore sur les balcons. Les relents de patriotisme marquent une fois de plus un retour aux valeurs de la soumission et de l’obéissance aux lois.

Et puis il y a l’inacceptable, la « rupture » façon Sarkozy. Le ministère qu’il nous a promis pendant la campagne associe immigration, identité nationale et aide au pillage de l’Afrique. Ce rapprochement immonde s’inscrit dans la trame d’un discours stigmatisant l’immigration comme un « problème » pour la société française, et dans la tradition d’un nationalisme fondé sur la méfiance et l’hostilité envers les étrangers et étrangères, l’État redevenant celui qui définit l’identité et le profil du bon patriote…

Après cela, plus personne ne peut prétendre à la mort du Front.

IIième acte - De la « real-politik » en carton, ça laisse sur sa faim d’autogestion.

Foncièrement, rien de nouveau sur la planète politicienne, quelques petits arrangements entre amiEs, un show bien chiadé, une poignée de mains fair-play et c’est reparti pour un tour. Rien, sauf peut-être la teneur particulièrement décérébrante de la campagne. Nous n’avons en fait eu le choix qu’entre du people, de la surenchère sécuritaire et un discours de droite économique bien étayé.

La politique-réalité n’a jamais autant ressemblé à une série people, les 6 mois de la campagne durant. Entre le frère de Royal qui a participé au sabotage du Rainbow Warrior, le débat sur qui paye l’ISF, la taille de Sarkozy, les gueguerres sur qui cite qui… Le débat politique n’a jamais volé aussi bas. Aujourd’hui, les filles et fils à papa crient « I love Sarko » comme illes se sont suicidéEs à la mort de Kurt Cobain.

Nous sommes à l’heure de la personnalisation à outrance du pouvoir politique et des mystifications : Sarko, sauveur suprême ou Sarko nouvel Hitler, faites votre choix. Le tout dans un agrégat confus d’images rassurantes, de clichés et d’une politique produit des logiques publicitaires abrutissantes. Dans cette démocratie spectacle façon troisième millénaire, où la télévision et les médias sont les seuls et uniques liens des individuEs avec leur représentation politique, tout est orchestré comme un grand show éblouissant auquel personne n’échappe. On n’y comprend plus rien, on ne sait plus qui joue « les faux-gentils ou les vrais méchants ». Surtout on oublie tout des réalités sociales et on les écoute promettre.

A l’arrivée, la nausée n’est pas juste l’affaire d’un grand méchant Sarko. La gauche n’a jamais promis d’abroger les réformes de la droite et au-delà d’un nouveau président diabolisé de manière assez naïve (et au plus grand bonheur des traîtres du parti socialiste en l’occurrence), notons que Sarkozy n’est en fait que le continuateur d’un mécanisme en marche depuis belle lurette. En fait si le discours dominant nous vend le vote utile pour mieux légitimer sa domination, il n’y a pas pour autant, comme il n’y a jamais eu aucun contre-courant idéologique portée par la sociale-démocratie.

Mais avec une telle confusion dans l’imagerie politique et une telle chape de plomb médiatique sur les questions sociales, ce qui ressort, passé ces scrutins, c’est l’apathie générale à réagir efficacement contre les réformes anti-sociales, d’où qu’elles viennent. Après de tels plaidoyers capitalistes, inoculés de manière hégémonique, les luttes sociales s’en retrouvent comme groggy. C’est bien là le but des élections : nous gaver comme des oies pendant deux mois, que nous baissions notre garde pour que tout reparte de plus belle. Cette logique « diabolique », il serait enfin temps de la casser. Marre de se faire bouffer par leur petit jeu ! C’est ce que tardent à comprendre les structures d’extrême gauche qui continuent à soutenir l’illusion de la complémentarité entre luttes sociales et processus électoral. L’alternative se trouvera une fois la question amenée sur le terrain des luttes, lorsque c’est nous mêmes qui poserons les conditions de sa résolution, pas avant, et pas dans des votes désespérés.

Les nouveaux discours capitalistes

En matière de sécuritaire, c’est la fuite en avant. Royal n’ayant eu de cesse de surenchérir qu’il manque encore des flics pour quadriller nos rues, que l’encadrement militaire et les centres fermés pour les jeunes feraient partie de son programme de prévention, on peut dire qu’on a eu chaud. Avec Sarko qui promet des peines planchers exemplaires et des récidivistes à vie derrières les barreaux, on peut dire qu’on va avoir chaud. Il est par ailleurs hallucinant de voir à quel point le débat sur le tout-sécuritaire est d’une mauvaise foi exemplaire, se nourrissant des fantasmes individuels montés en neige pour criminaliser la misère et les mouvements sociaux à tour de bras. C’est en définitif le principal rôle du système carcéral, celui d’une voiture-balai de ceux et celles qui n’ont pas adhéré au dogme du travail salarié.

Pour comprendre l’état d’avancement du processus sécuritaire rappelons la mise en place du fichage ADN, l’introduction des logiques pathologiques dans le traitement de la délinquance, le flicage à l’école via notamment la mise sous tutelle des allocations familiales, la mise en place des centres fermés, le fichage individuel depuis l’enfance (base élève) et la création du « casier social » à l’échelle de la mairie, la généralisation de la comparution immédiate et de la justice expéditive etc etc.

Mais qui dit bond en avant des logiques sécuritaires, dit démantèlement du secteur social. Trop cher ! Et puis y a la dette de l’état qu’on agite comme un pantin pour nous faire accepter les suppressions de postes dans l’éducation par exemple. Sarko le dit clairement, il va falloir faire une purge chez les fonctionnaires (mais certainement pas dans la police) et sacrifier le service public qui plombe le budget... alors que les exonérations fiscales vont bon train dans les entreprises, que l’ISF doit parallèlement être allégé et les héritages défiscalisés... Il est clair qu’il a manqué d’une analyse de classe dans cette affaire, elle saute pourtant aux yeux.

On nous a aussi parlé de redorer la valeur travail, qu’il fallait aider les Rmistes à avoir une image positive d’eux et elles-mêmes pour arrêter de se morfondre. On nous a ainsi parlé du chômage comme problème structurel et promis comme d’habitude le plein emploi pour le plus grand bien de touTEs.

Cet objectif mise en réalité sur la flexibilité à outrance du marché du travail et l’instauration du contrat de travail unique. L’horizon, c’est l’esclavage salarié : un Code du travail démantelé, la suppression des différentes durées légales du travail, du contrat à durée indéterminée, l’extension du CNE et des contrats ultra précaires, temporaires et sans recours,le flicage en cours des bénéficiaires des allocations chômage et du RMI, sans oublier la limitation du droit de grève par la généralisation du service minimum.

Pour justifier tout ça on nous ressasse le trip d’une économie au bord du gouffre, alors qu’il n’y a jamais eu autant de richesses produites dans ce pays. Comme toujours, le seul bon remède serait la relance de la croissance économique. Ils/elles n’ont que ce mot à la bouche, mais personne pour en donner une définition objective. Allons-y, la croissance c’est, selon la définition classique : « l’augmentation soutenue sur une longue période d’un indicateur de richesse en volume ». Plus de richesses donc... Et après ? Pour qui ? Pour quoi ?

Quelqu’unE reconnaît-il une seule seconde que la croissance se nourrit du chômage pour fomenter le chantage au travail précaire (main-d’œuvre pas chère, cela assure plus de valeur ajoutée pas vrai ?). Dans cette même logique, « croissance » équivaut à encourager les délocalisations, à rendre plus flexibles les salariéEs avec les myriades d’emplois kleenex que l’on connaît aujourd’hui. Produire plus, à tout prix, tout et n’importe quoi pourvu que cela soit générateur de profits. Voilà comment on couronne la mise en place du nucléaire et comment on pousse les logiques productivistes vers le suicide environnemental. Et voilà aussi comment on se fout éperdument de l’utilité sociale pour faire du fric coûte que coûte, pour le plus grand bonheur d’une minorité. Il n’y a pas là matière à épiloguer : la croissance, c’est la régression sociale

IIIe acte ? – Troisième tour social et perspectives anarchistes

charmag cercle sur les A

Au cœur de la tornade électoraliste, nous avons tenu le coup. Les anarchistes n’ont pas voté pour la plupart, quitte à figurer comme des extraterrestres irresponsables (comme en 2002, comme en 1995…comme toujours). L’abstention révolutionnaire, c’est affirmer qu’il y a d’autres alternatives au vote sous contrainte et au plébiscite de la démocratie déléguée.

Notre objectif n’est pas d’accabler l’électeur/trice mais d’infléchir en faveur d’une prise de conscience collective. Le changement social ne sera pas le fruit d’actes désespérés et de postures attentistes.
Difficile d’y voir clair quand le travail et les médias nous atomisent la tête et nous dépossèdent de notre capacité d’action et d’analyse politique. Nous en sommes réduitEs au rang de spectateur/trices des événements qui défilent sous notre nez. Dans ces conditions, ne pas aller voter devrait nous donne d’avantage l’impression d’être réduitEs au silence et le sentiment coupable de n’avoir aucune prise sur nos choix de société ? Mais nous savons pertinemment que le bulletin de vote est l’arme de l’ordre en place, le déguisement grossier de l’omnipotence des organisateur/trices du capitalisme et que l’alternative est ailleurs.

En guise de conclusion, la notre est simple : rien n’a changé et tout va continuer. Nous ne luttons pas contre un homme en particulier mais contre sa politique, contre leur politique. Une politique qui se concrétise aujourd’hui par le retour des barronNEs de la droite aux commandes. Mais Sarkozy et consorts ne sont pas arrivé au pouvoir le 6 mai. Ils l’étaient déjà avant et avec un bilan bien chargé à leur actif tout comme la gauche avant eux. Loi CESEDA contre les sans papierEs, prévention de la délinquance, CNE...la suite sera forcément du même acabit. Le temps est pour nous comme toujours d’organiser la riposte collective.

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