Nicaragua novembre 2006. L’ancien dirigeant marxiste, le leader sandiniste et ex-Commandante Daniel Ortega retrouve son fauteuil présidentiel qu’il avait du quitter en 1990, battu par une coalition de droite soutenu par les USA. Sa victoire dès le premier tour face à une droite désunie, est salué pas ses amis Fidel Castro et Hugo Chavez. En Europe et ailleurs, l’extrême-gauche en mal de nouveaux modèles exulte… encore un pays d’Amérique Latine qui bascule dans le camp de l’espoir. Restait à connaître la réaction de l’administration Bush qui avait menacé de suspendre ses aides en cas d’élection du candidat sandiniste. Allait on revivre la funeste année 1984 durant laquelle l’administration Reagan avait refusé de reconnaître la première victoire d’Ortega et s’était lancé dans une guerre à outrance contre le régime socialiste de Managua ?
Très vite la Maison Blanche fait savoir que sa coopération avec le gouvernement nicaraguayen serait subordonnée à son "respect des principes démocratiques", manière de suggérer qu’aucune réforme des structures politiques et économiques ne serait acceptée , pendant qu’ Ortega se réaffirme favorable à un accord de libre échange avec les USA. Les bons comptes font les bons amis.
La première victoire sandiniste
Les gouvernements des USA successifs ont toujours fait preuve d’une bienveillance très particulière envers les peuples d’Amérique Latine. Le Nicaragua a donc du subir en permanence l’ingérence de l’administration américaine. Ainsi en 1933, lorsque les forces armées américaines envahirent le Nicaragua pour la n-ième fois, elle repartirent en laissant deux cadeaux : la Garde Nationale et un certain Anastasio Somoza. Cette Garde Nationale (GN) allait devenir l’échine dorsale militaro-policière de la dictature des Somoza (père, fils et petit-fils) et de leur clan, leur permettant de faire main basse sur les ressources et les richesses du pays pendant plus de 40 ans. La Garde Nationale fit ainsi régner la terreur sur la population essentiellement paysanne et toute forme d’opposition syndicale et politique : extorsion, meurtres, viols, tortures… Le prix à payer pour être un état client du puissant Oncle Sam ?
Le Front Sandiniste de Libération Nationale (FSLN), mouvement marxiste est crée au début des années 60 et entame la guérilla selon les principes guévaristes du foyer insurrectionnel : l’avant-garde entamant la lutte armée et entraînant dans son sillage par une mécanique implacable les masses paysannes. Mal organisée, la guérilla accumule les défaites, ses quelques faits d’armes entraînant une escalade sauvage de la répression de la part de la GN. En outre, elle se révèle incapable d’obtenir la collaboration des paysans qui lorsqu’ils sont enrôlés ont une fâcheuse tendance à la désertion. En 1967, lors de l’une de ses plus ambitieuse opération militaire, elle est quasiment décimée par la GN, les combattants sont dispersés et d’importants leaders du mouvement sont tués au combat. Le FSLN décide alors de façon pragmatique de passer en "phase silencieuse d’accumulation des forces".
C’est à cette période qu’il publie son programme politique qui exige entre autres :
– la révolution agraire, la question de la redistribution des terres étant une revendication cruciale dans un pays majoritairement rural
– un gouvernement révolutionnaire et une parfaite intégrité administrative
– l’émancipation de la femme. Jusqu’à 30% des combattants de la guérilla étant des femmes qui combattent dans leurs propres bataillons
– le respect des libertés religieuses
– une politique extérieure indépendante et la solidarité internationale
– l’élimination de la GN et la création d’une armée populaire patriotique
– l’unité de l’Amérique Centrale
– une économie mixte comprenant un secteur public, un secteur socialisé basé sur des petits producteurs regroupés en coopératives et un secteur réputé libre pour les entreprises.
La reprise des activités militaires du FSLN en 1974 coïncide avec l’émergence de l’opposition civile à Somoza. Même la bourgeoisie d’affaires, frustrée par les monopoles, spéculations et trafics du clan Somoza, espère une normalisation démocratique. En réponse aux offensives du FSLN Somoza impose la loi martiale et l’état d’urgence et rejette toute les tentatives de négociation avec l’opposition. L’assassinat en Janvier 1978 d’une figure emblématique de l’opposition, le directeur du journal "La Prensa" suscite le rapprochement de la bourgeoisie, de la hiérarchie catholique, des classes moyennes, des paysans et prolétaires. Un syndicat patronal (le COSEP) lance un mot d’ordre de grève de plusieurs jours repris en masse par la petite-bourgeoise et le prolétariat urbain ; une faction du FSLN intègre même avec l’ensemble de l’opposition, dont l’Eglise, le Frente Amplio de Oposicion qui exige le départ de Somoza.
Contesté à l’intérieur, Somoza se fait également lâcher par l’Oncle Sam. L’administration Carter (démocrate) est en effet dans une phase de détente vis à vis du bloc communiste : signature des accords de désarmement nucléaire SALT avec l’URSS, accords de Camp David mettant fin au conflit Israël/Egypte … et ne peut plus excuser aux yeux de l’opinion publique les exactions de l’autocrate de Managua. En février 1978, Carter suspend l’aide militaire au Nicaragua et autorise la CIA a financer la presse d’opposition et des syndicats dans le but de créer une alternative "modérée" à la montée en force du FSLN. L’idée de Washington, qui presse Somoza à démissionner, est de créer un gouvernement provisoire de reconstruction nationale intégrant les cadres du parti somoziste et surtout conservant la structure de la GN.
Dès lors le fruit pourri de la dictature de Somoza n’attend plus qu’un coup pour chuter de l’arbre. Profitant d’une grève générale lancée le 4 juin 1979 le FSLN marche sur Managua. Le 17 Janvier, Somoza s’enfuit par avion laissant un pays dont les 2/3 de la population vivent avec moins de 300$ par an et emportant son pactole, estimé par les services secrets US à prés de 900 millions de $. La Junte de Gouvernement de Reconstruction Nationale (JGRN) composée de 5 membres dont 3 sandinistes s’installe.
Those Washington bullets again…
"Pour la première fois ils ont fait la révolution au Nicaragua. Sans aucune ingérence de l’Amérique". C’est avec cette touchante naïveté politique que les punks des CLASH accueillent dans une chanson de leur album ’Sandinista’ le nouveau régime de Managua. En effet la JGRN va connaître un an et demi de relative accalmie, Carter accorde même une aide financière mais qui n’ira cependant qu’a des officines non gouvernementales, au secteur privé et à des caches-sexes locaux de la CIA. Par contre il refuse tout aide militaire malgré les demandes de la Junte qui en a besoin pour combattre des groupes disparates d’opposants à la révolution : les contras qui rassembleront aussi bien d’anciens cadres somozistes que des factions démocrates libérales.
Les sandinistes en profitent pour mettre en place leur programme : redistribution de 2 millions d’hectares, nationalisation de la mine, de la pêche… ainsi que d’ambitieuses réformes sociales dont la création des "brigades d’alphabétisation" qui connaîtront une certaine efficacité en même temps qu’elles serviront de vecteur à la propagande sandiniste. Car, suivant la doctrine Marxiste-Léniniste, ils n’oublient pas de faire main-basse sur l’appareil d’Etat pour le confondre avec le Parti ainsi que sur tout les aspects de la vie sociale. Flics et bidasses armés de Kalashnikov à la mode Soviétique, rétablissement de la censure visant les journaux qui apportent un soutien trop critique, création d’une police politique visant à épurer le Parti-Etat d’éventuels complots trotskistes ou maoïstes, développement des "Comités de Défense Sandiniste" (officines de délation de proximité calquées sur le modèle Cubain) et noyautage intensif des confédérations syndicales, des mouvements de la jeunesse, des coopératives… Rien ne doit échapper à l’avant-garde ! Ulcérés, les trop modérés représentants non sandinistes de la JGRN démissionnent dès Avril 1980.
A Washington l’attentisme inquiet de Carter cède le pas à l’impétuosité revancharde de Ronald Reagan (républicain). Pour la nouvelle administration US qui a décidé d’éradiquer totalement "l’Empire du Mal" (Moscou et ses satellites) le Nicaragua Sandiniste est une tavelure qui risque de pourrir la pomme juteuse que constitue le sous-continent Central Américain. Dès lors la guerre larvée, non-déclarée mais à outrance va ravager le Nicaragua. Les mesures de rétorsion économique se multiplient : le FMI, la Banque Mondiale et la Communauté Européenne annulent tous les prêts consentis, le pétrolier Esso stoppe tout approvisionnement depuis le Mexique, la Standard Fruit Company (US) suspend toutes ses importations agricoles provenant du Nicaragua, etc.. Un véritable embargo est déclaré à seule fin de mettre à genoux la fragile économie sandiniste. Même Moscou renâcle à financer Mangaua, n’ayant pas envie de soutenir un poids mort supplémentaire du style cubain. En 1984, sous pressions du Groupe de Contadora (Mexique, Panama, Colombie et Venezuela) qui cherche à éviter l’embrasement en Amérique Centrale, la JGRN accepte d’organiser des élections. Le sandiniste Daniel Ortega est élu président sans surprise, d’autant que les autres partis ont boycotté le scrutin. En réponse, Reagan précipite l’escalade de la violence.
Sur le plan militaire les différents maquis de la Contra, trop peu nombreux pour défaire l’armée sandiniste, optent dès juillet 1979 pour une stratégie de terre brûlée. Financés et entraînés par la CIA à partir de 1981 ils se lancent dans des raids ayant pour but de saper toutes les infrastructures économiques et sociales. Destruction des pipe-lines, minage des ports pétroliers, tirs sur des tankers en approche, bombardement des docks : tout est mis en œuvre pour bloquer tout trafic par voie maritime. En conséquence indirecte la flottille de pêche qui soufre déjà du manque de fuel est décimée par les mines flottantes. L’agriculture est également un objectif majeur pour les raids qui visent indifféremment les silos à grain, séchoirs à tabac, projets d’irrigation, routes, camions et tracteurs. Des fermes d’Etat et des coopératives sont ravagées à un tel point que de nombreux sites pourtant intacts doivent être abandonnés en raison du danger. D’autres symboles des réformes sociales du FSLN, comme les écoles, les centre de soin et communautaires… constituent pour des raisons idéologiques des cibles de choix. Surtout, afin de renforcer le climat de terreur sociale, les contras n’hésitent pas à piller, violer, torturer et tuer de façon la plus brutale possible.
Le soutien de l’administration Reagan est sans faille. Même lorsque le congrès interdit en 1983 à la CIA de superviser des actions de sabotage au Nicaragua, le financement continuera que ce soit par le narco-trafic ou les bénéfices de ventes d’armes à l’Iran (scandale Irangate). De plus, le Honduras (situé au Nord du Nicaragua) où se réfugie le plus important maquis Contra est un fidèle allié de Washington. L’armée US multipliera les manœuvre militaires conjointes avec son homologue du Honduras, ce qui facilitera la livraison de matériel de guerre, la surveillance des côtes et des déplacements de l’armée Sandiniste, les missions de bombardements, etc..
En 1987 la guerre civile sévit dans tout le Nicaragua, l’économie est exsangue, le marché noir bat son plein. De plus en plus de gens s’engagent chez les sandinistes ou les contras pour juste échapper à la misère. L’armée et les milices sandinistes (200 000 personnes pour 3 millions d’habitants) dépensent la moitié du budget national et l’aide militaire de l’Union Soviétique se tarit. Impasse économique et militaire, c’est alors encore sous l’égide du Groupe de Contadora que des négociations directes difficiles entre la Contra et les sandinistes s’entament pour une désescalade de la violence. Si la trêve militaire s’impose rapidement, les difficultés à transformer l’opposition armée en opposition civile ajournent à plusieurs reprises l’échéance voulue par Washington : des élections. Le chantage est clair : une nouvelle victoire sandiniste risquerait de rompre le processus de paix et de relancer l’embargo. En toute logique Violeta Barrios de Chamorro, candidate unique de l’alliance des partis non-sandinistes et dont la campagne a été largement financée par Washington, bat Daniel Ortega le 25 février 1990.
La longue marche pour la reconquête du Pouvoir
Les dirigeantEs sandinistes avaient-ils anticipé leur défaite ? Toujours est-il qu’ils/elles s’étaient dépêchéEs de se répartir les biens expropriés des chefs nationalistes qui leur restaient sur le bras. Ces petits paiements (la "pinata") en nature furent d’ailleurs entérinés par le gouvernement suivant. C’est ainsi que Daniel Ortega vit toujours dans la superbe propriété de l’ancien chef des négociateurs de la contra qui est aujourd’hui devenu son vice-président. Si peu de rancune, c’est beau à faire chialer les 44 000 morts de la guerre.
Avec l’arrivée des nationalistes et libéraux le Nicaragua se réconcilie avec l’administration Américaine. Pour saluer ce retour à la normalisation démocratique, le FMI et la Banque Mondiale ordonnent une politique économique libérale d’ajustements structurels pour se débarrasser définitivement des réformes sociales mises en place par les sandinistes. Le Nicaragua rentre dans l’ère du libéralisme sauvage prôné par son bienveillant protecteur, ce qui en fera en une dizaine d’années le pays le plus pauvre du continent, juste derrière Haïti.
Ortega et le FSLN qui rentrent dans l’opposition légale poursuivent eux aussi leur mutation. On a pu constater que sur certains des points leur programme révolutionnaire s’éloignait de l’orthodoxie marxiste. Conçu après l’échec de la stratégie du foyer insurrectionnel et alors que les sandinistes isolés politiquement recherchaient des alliés parmi l’opposition légale à Somoza, il se débarrasse finalement dans les années 1990 de ses oripeaux révolutionnaires et marxistes pour devenir un programme estimé de centre-gauche… voire franchement libéral ou réactionnaire au fur et à mesure des nécessités.
En octobre 1996 Ortega est de nouveau battu aux élections présidentielles par Arnoldo Aleman du parti Alliance Libérale. Sandinistes et Libéraux concluent alors un pacte de partage des pouvoirs qui leur permettent de contrôler conjointement la majorité des institutions. Ce pacte sera renouvelé en 2004 avec Aleman, qui a été réélu en 1996 mais a du démissionner pour des soupçons de blanchiment et de corruption. Bien que condamné en 2003 à 20 ans de détention, son parti (rebaptisé PLC) et son ami Ortega lui sont restés fidèles. Les intellectuels de gauche et la faction la plus "révolutionnaire" des sandinistes ont eut beau hurler à la trahison, cela n’a pas eut l’air d’émouvoir l’opportuniste Daniel qui préfère que ses amis soient des amis des USA. Les dissidentEs ont donc finit par rejoindre un autre parti le Mouvement de Rénovation Sandiniste. Plus question au FSLN de gros mots comme "collectivisation" ou "nationalisation", la dernière fois qu’Ortega s’est amusé avec ces vieux gadgets il s’est fait gronder très fort et en a perdu son cher fauteuil présidentiel. En plus lorsqu’il s’est représenté en novembre 2001, sur fond de paranoïa internationale due au 11 septembre, il a été victime d’une campagne calomnieuse par ses détracteurs qui lui ont rappelé les relations qu’il avait maintenu dans les années 80 avec les leaders arabes Kadhafi et Arafat.. Alors que lui, le gentil Daniel, il n’est plus un vilain guérillero terroriste, il est le candidat de la paix et de la réconciliation.
Et aussi de l’amour pour son prochain, mais bien peu pour sa prochaine. Là où dans les années 1970 les sandinistes défendaient la liberté des cultes pour éviter de se heurter frontalement à la puissante église catholique, le bon Daniel va plus loin : s’étant découvert une ferveur pour Jésus, il se convertit au catholicisme, se marie enfin avec sa compagne et défend les valeurs de l’église. Alors quand celle-ci organise une énorme manifestation pour demander l’interdiction de l’avortement thérapeutique (la seule forme très restrictive d’avortement qui reste alors au Nicaragua), frère Daniel et ses apôtres députés du FSLN partent en croisade parlementaire et une semaine avant les élections présidentielles votent avec le PLC une loi interdisant définitivement toute forme d’avortement. Loi qui sera parmi les premières à être ratifiée par le saint président Ortega. Oubliée l’icône féministe des sandinistes Luisa Amanda Espinoza, la femme pauvre qui avait quitté son mari abusif, la guérillero farouche, émancipée et autonome qui était morte le fusil à la main… oubliée l’idéologie féministe de la Revolution. Sandiniste, Amen.
Daniel Ortega a sans conteste sa place parmi les leaders populistes et démagogues de gauche d’Amérique Latine. Une place particulière puisqu’il avait déjà goûté le confort des palais présidentiaux avant Chavez et Lula. Jouant de son image d’ancien guérillero pour promettre lui aussi une nouvelle révolution mais seulement cette fois contre la misère, diffusant à plein tombereaux son message christique d’amour, le socialiste pragmatique (et donc libéral) cherche à plaire à tout le monde et en particulier à complaire et se réconcilier avec ses anciens adversaires politiques et internationaux. Sans convaincre la majorité puisqu’avec un score équivalent aux précédentes élections il doit plus sa victoire à la division de la droite qu’à ses talents de bonimenteur. Sollicité par Chavez qui aimerait bien intégrer le Nicaragua dans l’empire régional qu’il rêve de construire (l’Alliance Bolivarienne pour les Amériques), Ortega a cependant tout fait depuis des années pour donner l’assurance à l’Oncle Sam qu’il ne remettrait pas en cause la politique économique que Washington estime être la meilleure pour Managua.