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Contre le patriarcat sous toutes ses formes !

vendredi 8 décembre 2006


Le patriarcat est une oppression ancestrale qui structure notre société. Il s’agit d’un véritable système où le pouvoir politique, économique et social est organisé par et pour les hommes, au détriment des individuEs que ce système classe comme dominéEs : ceux et celles qui ne répondent pas aux canons du genre masculin. Le genre, ou sexe social, est le résultat de la construction sociale des individuEs et se traduit par une identité psychique et sociale. Dans les représentations patriarcales dominantes, l’Homme est fort, intelligent, aime le bricolage et les voitures puissantes, il est hétérosexuel et son vagabondage sexuel est une preuve de ses qualités viriles, même s’il est destiné à devenir chef de famille plein de sagesse. La Femme est à l’opposé douce et compréhensive, elle est l’assurance du repos de son homme, tient le foyer et assure les taches ménagères, l’une de ses principales fonctions sociales est d’enfanter et de s’occuper de ses enfants alors que, toujours belle et disponible sexuellement pour son Homme, elle doit se garder de séduire les autres hommes ou femmes sous peine d’être une salope. Les gays, les lesbiennes, les transgenre (ne se reconnaissant pas dans le sexe social qui leur est assigné) sont des déviantEs qui mettent en péril la survie de la société, des sous-hommes et des sous-femmes.

Les dominéEs du système patriarcal sont misES sous la tutelle et la dépendance des hommes hétérosexuels. Cette domination se traduit par des oppressions multiformes. Elle débute par une éducation différenciée en fonction du sexe biologique : les petits garçons jouent avec des symboles guerriers et leur agitation est vue comme un signe d’"éveil" alors que les filles doivent être sages et jouer avec des symboles de leur futur "rôle de femme" (poupées, objets de la cuisine), sous peine d’être des "garçons manqués". Ce sont là les premières violences psychologiques et symboliques qu’une société patriarcale fait subir aux enfants, par la médiation des parents et de la famille, de l’école, de la télévision.

Cette construction sociale genrée se poursuit tout au long de la vie et est supposée mener les individuEs à accepter “l’adéquation” entre leur sexe social et leur sexe biologique. Les individuEs refusant de se plier à cette norme sont amenéEs à subir des violences psychologiques et physiques qu’une grande partie de la société accepte tacitement. Les femmes battues par leur conjoint (toutes les enquêtes démontrent qu’une femme sur dix a été victime de violences conjugales dans les 12 derniers mois) ou violées (11% des femmes affirment avoir subi au moins une agression sexuelle dans leur vie) sont bien souvent accusées de l’avoir bien cherché et sommées de comprendre la détresse de leur agresseur. Les gays et lesbiennes sont aujourd’hui officiellement relativement toléréEs à condition de rester cachéEs, de correspondre aux clichés dans lesquels on les enferme (l’orientation sexuelle est alors le seul écart à la norme autorisé) et de supporter les plaisanteries et insultes homophobes, sous peine de subir tabassages et humiliations, comme l’actualité nous le rappelle toutes les semaines.

Les institutions qui régissent nos sociétés ont un rôle dans la domination patriarcale, dans la mesure où les systèmes de domination qu’elles mettent en place s’entrecroisent avec la domination patriarcale et s’en nourrissent.

Les Eglises sont toujours là

Les Eglises de toutes obédiences (christianisme, islam, judaïsme, bouddhisme...) n’accordent dans leur conception de la société qu’une place subordonnée aux femmes, les enchaînant à un rôle de génitrice et les accusant d’être les tentatrices qui peuvent dévoyer les hommes. Les pays régis par la Charia interdisent aux femmes de laisser voir les parties considérées comme tentatrices de leur corps et lapident les femmes coupables d’adultère. La religion catholique marque les femmes du sceau de la culpabilité dès leur enfance, et le mariage n’est rien d’autre que le contrat de dépendance de l’épouse vis-à-vis de son mari, quel que soit son comportement. Les homosexuels sont accusés de répandre le sida, qui n’est qu’une punition divine pour leurs péchés, alors que le port du préservatif n’est toujours pas conseillé par l’Eglise, qui préfère laisser crever des millions de genTEs en prétendant que le seul remède serait l’abstinence et la fidélité. Bien sûr, certaines Eglises ont fait évoluer, sous la pression de leurs propres fidèles, leur interprétation de la religion en autorisant le divorce par exemple. Mais le système de pensée est toujours le même et le contenu de la Bible est inchangé : si le catholicisme tue directement moins de femmes, de gays et de lesbiennes que l’islam, cela n’est que le résultat de son adaptation à la société afin de ne pas perdre trop de brebis en route.

L’Etat est un patriarche

L’Etat est lui aussi un élément de la domination patriarcale. Il est évident que nos assemblées et cercles de pouvoir sont très majoritairement régis et occupés par des hommes, dans lesquels les insultes sexistes et homophobes sont toujours monnaie courante. Comme les Eglises, les Etats et les partis politiques en compétition pour le pouvoir adaptent leur offre à certaines exigences sociales en fonction de leurs objectifs électoraux et afin de garantir la paix sociale. Ainsi le divorce est régulièrement facilité, l’interruption volontaire de grossesse est un droit légal depuis 1992 (il n’était que dépénalisé depuis 1975), la parité hommes-femmes en politique a été votée récemment, et une Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité (HALDE) a été mise en place en 2005. Mais comment ne pas voir que des députés eux-mêmes s’autorisent à enfreindre cette loi (voir l’affaire Vanneste), que les crédits pour les plannings familiaux (sensibilisation à la contraception (lieux d’information, de soutien et de sensibilisation concernant la sexualité, la contraception, les violences patriarcales...) sont largement insuffisants, que l’Etat met en place des politiques natalistes qui fixent les mères au foyer sans mettre en place les structures de garde d’enfant nécessaires, que les affaires de viol conjugal sont bien trop souvent classées par la justice bourgeoise et patriarcale ? Si les gouvernements successifs ont pris ces diverses mesures, leur application difficile montre bien qu’il ne s’agissait pas là de l’action d’un père de famille bienveillant, mais du résultats de rapports de force.

Ce sont les mobilisations féministes, gays et lesbiennes qui ont obtenu ces lois, ces concessions, par la lutte. En ce sens ces acquis ne sont pas inutiles et il est hors de question de les rejeter sous prétexte qu’elles seraient une émanation de la puissance étatique. Comme tous les progrès sociaux, ils sont issus des luttes menées par les premierEs concernéEs et ont une réelle utilité sociale. Il est donc nécessaire de les défendre contre les attaques des ennemiEs de l’égalité, et notamment les associations familialistes, les groupes religieux qui sont sur-représentés dans les sphères du pouvoir. L’égalité du point de vue de la loi et de son application est bien loin d’être acquise et il est nécessaire non seulement d’être vigilantEs mais aussi offensif/ves pour briser les inégalités et privations de liberté.

Le capitalisme fait feu de tout bois

Le capitalisme véhicule également la domination patriarcale, malgré la capacité d’adaptation de sa forme libérale aujourd’hui en vigueur. Capable de faire feu de tout bois, le système capitaliste ne parvient pas, malgré les efforts de ses zélateurs, à passer pour un chantre de la libération des femmes, gays, lesbiennes et transgenres. La publicité est l’un des éléments les plus visibles de la perpétuation de cette domination et si l’image de la maman au foyer acheteuse de barils de lessive pour laver les habits de sa progéniture mâle tend à disparaître de nos écrans, elle est remplacée par la "femme active" dirigeante d’entreprise sexy aux mensurations "de rêve" qui fait quand même à manger, élève ses enfants et fait les courses : la double journée de travail des femmes existe toujours bel et bien, et ses fonctions sociales d’objet sexuel et reproducteur y sont même vantées.

De plus, le capitalisme s’accommode d’une part très bien de l’existence de métiers réservés aux femmes ou aux hommes (réclamant de la force), d’autre part d’une inégalité qui persiste dans les salaires et dans l’accès aux postes à responsabilité (généralement sous le prétexte qu’elles peuvent tomber enceintes, être à la merci de la mutation de leur mari, etc.). Pourtant le credo de l’égalité peut être repris, quand c’est à l’avantage des capitalistes. Il en a été ainsi de l’autorisation du travail de nuit des femmes : plus de précarité au prétexte de l’égalité ! Le capitalisme et la société de consommation ne se lassent pas de diffuser des modèles dominants allant dans le sens de la marchandisation des corps et des sexualités. Les femmes doivent toutes être des créatures aux mensurations stéréotypées et disponibles sexuellement, les hommes publicitaires sont de plus en plus virils et musclés.

Et les homosexuels sont aujourd’hui une cible marketing dont les représentations publicitaires stéréotypées sont supposées assigner des choix de consommation dus à leur orientation sexuelle. Le développement du commerce "gay friendly" ne s’adresse qu’à des homosexuels blancs et riches, renvoyant l’homosexualité dans un ghetto doré. Les homosexuels pauvres, maghrébins, d’extraction rurale... sont exclus de cette identité commerciale, comme les femmes ne répondant pas aux critères qui leur sont assignés. Cette injonction à suivre des modèles normés qui répondent avant tout aux exigences du développement capitaliste est la source de frustrations dont les conséquences peuvent être très graves dans une société où l’image est la reine des rapports sociaux : dépression, anorexie, suicide...

La marchandisation des corps bat son plein en société capitaliste et la prostitution se développe sans cesse. Le fantasme machiste voulant que beaucoup de personnes se prostituent par choix est éventé par les faits : l’énorme majorité des prostituéEs sont sous la coupe de mafias et de gangs qui traitent les femmes en objets, que l’on peut à loisir consommer, torturer et assassiner. Les Etats qui prétendent "adoucir" leur statut en leur faisant payer des impôts (!) n’en sont que plus hypocrites lorsqu’il apparaît que le racolage est puni par la loi.

Nous sommes touTEs concernéEs

La lutte contre la domination patriarcale n’est cependant pas seulement une lutte contre des institutions co-responsables des oppressions. Elle est aussi une lutte contre des pratiques, préjugés qui sont fortement ancrés dans chacunE d’entre nous. C’est en ce sens que les féministes se battent pour faire reconnaître à touTEs que le privé est politique. Il appartient donc en particulier aux hommes de se défaire de leur construction sociale de genre. En effet, il est bien confortable de s’élever contre les positions de l’Eglise ou la publicité sexiste sans remettre en cause des comportements que l’on a soi-même acquis par le biais d’un conditionnement continu et qui place les hommes dans une position dominante, domination qui peut paraître naturelle ou involontaire. Pourtant cette domination persiste dans tous les milieux, y compris au sein des cercles militants, où l’on ne compte plus les cas de violence conjugale ou de viol, et où la domination patriarcale se traduit par une présence très majoritaire d’hommes, par une répartition de la parole très inégalitaire, par une répartition virile des tâches évidente.

Les femmes les gays, les lesbiennes, les transgenres doivent prendre leurs luttes en main et être autonomes, ce qui signifie qu’au titre de leur lutte contre cette forme spécifique de domination, les dominéEs doivent être à même de décider de leurs modes d’action, d’organisation (notamment en non-mixité), de leurs objectifs et de leurs revendications. Les hommes ne doivent pourtant pas rester inactifs, ils ont une forme de participation à apporter à cette lutte par leur présence et leur accord explicite sur les revendications portées, accepter la mise en place de mécanismes favorisant l’accès des dominéEs à la parole et à l’action, sans paternalisme. Ils doivent aussi et surtout travailler à leur déconstruction masculine afin de cesser de perpétuer des inégalités dont ils sont généralement, qu’ils le veuillent ou non, les principaux acteurs et bénéficiaires tant dans la sphère publique que dans la sphère privée. Les groupes non-mixte hommes sont des outils intéressants pour travailler sur cette domination, à condition de ne tomber ni dans la négation de la spécifité des oppressions qui s’exercent sur les femmes, gays, lesbiennes et transgenre ni dans la culpabilisation : il s’agit aussi pour les hommes de se libérer en mettant le doigt sur des pratiques et des comportements et en cherchant à les résoudre. De même les hommes doivent se défaire d’une forme de solidarité virile qui mène souvent à se taire devant des violences sexistes ou homophobes, au prétexte qu’elles seraient d’ordre privé ou qu’on ne connaîtrait pas tous les tenants et aboutissants de la relation entre l’agresseur et l’agresséE.

Pour des luttes antipatriarcales radicales !

MilitantEs pour l’égalité totale entre touTEs les individuEs, les anarchistes doivent être solidaires et actif/ves dans les luttes antipatriarcales. Il est insupportable d’accepter l’idée d’une humanité divisée en genres en fonction de son sexe biologique : chacunE doit être libre de disposer de son corps comme ille l’entend. Cela ne signifie pas seulement défendre et étendre le droit à l’interruption volontaire de grossesse ou rejeter le mariage religieux. Il s’agit aussi de défendre l’amour libre, vieille revendication anarchiste, que l’on doit comprendre comme la liberté d’orientation sexuelle et le choix de ses modes de relation sexuelle et amoureuse par chacunE en fonction uniquement du libre consentement de touTEs les partenaires et sans usage de la contrainte.

Il ne s’agit pas d’imposer de nouvelles normes mais de lutter contre celles qui existent afin de favoriser l’épanouissement des individuEs dans leurs propres choix. Le mouvement queer apporte une contribution importante à ce mouvement de libération en regroupant celleux qui ne se reconnaissent pas dans les classifications du genre, de l’hétéronormativité et du communautarisme. En transgressant ces barrières sociales, le mouvement queer brouille les cartes pour mettre en avant la diversité infinie des sexualités, des rapports à son propre corps dans une perspective libératrice.
La libération de touTEs ne se négocie pas ! Elle s’arrache par les luttes et se poursuivra tant qu’il y aura des patriarches, des curés et des collabos de toutes espèces pour dominer le monde ! Pas question d’excuse culturelle non plus : l’excision, le commerce des filles en vue d’obtenir une dot ne sont pas des coutumes folkloriques mais des pratiques barbares qui doivent disparaître. Ici comme ailleurs, le patriarcat doit être combattu sur tous les fronts.

Cette domination est présente dans la rue, au lit, dans les médias, dans nos familles, au taf... C’est aussi là que nous devons la combattre, en refusant de nous taire devant une agression (et en soutenant les agresséEs dans leurs démarches), en refusant de laisser passer de "gentilles plaisanteries", en dénonçant toutes les avancées des obscurantistes, en étant solidaires des luttes féministes, gays, lesbiennes, queer et en faisant tout pour que progressent le respect mutuel et l’égalité.

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