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France – Togo, le crime continue

vendredi 4 août 2006


Cet article est une synthèse de l’article « Paris capitale du Togo… c’est reparti pour 40 ans ? » paru dans Les Temps Maudits (revue de la CNT) n° 23, janvier-avril 2006

La Françafrique ne recule devant rien. Le bilan de la répression [1] autour du scrutin présidentiel du 24 avril 2005 au Togo, s’élève à 811 morts et 4 500 blessés, auxquels il faut ajouter les viols, arrestations, détentions arbitraires, etc. La fraude électorale a été totale. Selon le décompte de la mission internationale de soutien au peuple togolais, l’opposant Bob Akitani aurait dû récolter entre 75 et 80 % des voix, et plus de 90 % à Lomé. Pourtant l’État français, par l’intermédiaire de Michel Barnier [2], ose annoncer « des conditions globalement positives » à propos du déroulement du scrutin. Chirac attendra 15 jours pour finalement envoyer sa lettre de félicitations et de « vœux de plein succès » au président fraîchement élu, Faure Gnassingbé, en l’asssurant du soutien de la France. Sur ces élections, François-Xavier VERSCHAVE [3] accuse le régime d’avoir mis en place « une stratégie de l’étouffemenent, puis, carrément, du massacre ». Voici un récit des événements, précédé d’un rappel concernant l’époque coloniale et post-coloniale de ce pays.

Le Togo, une colonie modèle ??

Au 18e siècle, le Togo fait partie de la « Côte des esclaves » avec ses pays voisins. Puis, la traite des noirs va laisser place au commerce de marchandises. C’est l’Allemagne qui s’impose. Non sans résistances, puisque 50 « campagnes de pacifications » meurtrières sont menées dans le nord du pays. Après 1918, c’est au tour de la France. À l’ordre du jour : d’un côté, déportations massives, détentions et travail obligatoire ; de l’autre, pillage des ressources naturelles et imposition de cultures vouées à l’exportation. Le Togo est alors qualifié de « colonie modèle », non pour sa docilité, mais pour ses finances équilibrées grâce à toute une série de lourdes taxes fiscales et d’impôts locaux imposés à la population. La France doit faire face à la rebellion des ethnies Konkomba et Kabyiée, aux émeutes de 1933, à la grève générale de 1948, et à plusieurs grèves dans les années 50. Face à la montée du nationalisme, la forte répression et le trucage des élections ne suffisent pas. En 1960, le Togo obtient l’indépendance, et Olympio est élu président l’année suivante. Ouvert aux capitaux étrangers, proche des anglais, il veut s’affranchir du franc CFA (« le franc des colonies françaises d’Afrique »). L’État français commandite alors son assassinat par l’intermédiaire du général Eyadéma, qui prendra le pouvoir par un coup d’État en 1967. Jusqu’à sa mort, il bénéficiera d’un soutien sans faille de l’État français.

La dictature du général dure 38 ans. Il s’entoure d’une armée surdimensionnée, avec plus de 12 000 hommes. Les militaires sont recrutés dans son ethnie, les kabyés. L’armée est encadrée par une soixantaine d’officiers français (des accords de « coopération » militaire sont en vigueur avec le Togo depuis les années 60). Le pouvoir en place sera de plus en plus contesté, la répression de plus en plus féroce. En 1990, manifestations et grêves sont violemment réprimées, avec plusieurs dizaines de morts. Il concéde l’instauration d’un régime parlementaire en juillet. Les députés adoptent alors un statut présidentiel dénué de pouvoirs éxécutifs. En réponse, un nouveau coup d’Éat du général quelques mois plus tard. 300 morts. En 1992, une grêve générale dure 8 mois dans certains secteurs, la répression est encore au rendez-vous. Par des élections truquées, Eyadéma se fait réélire en 93, en 98, puis en 99. En 1998, Amnystie qualifie la répression comme des « exactions assimilables à des crimes contre l’humanité ». Au scrutin de 1999, l’opposition se mobilise et Bob Akitani se proclame président pour la 1re fois. Des opposants seront tués par centaines et jetés à la mer. En 2003, nouvelle réélection (une modification de la constitution a été nécessaire), mais plus modeste cette fois, avec 57 % des voix pour Eyadéma : de quoi donner une allure démocrate au régime…

À chaque élection, le général bénéficie du soutien logistique français, avec des « ambassadeurs-validateurs d’élections truquées », selon l’expression de Survie [4]. Dans le domaine constitutionnel, Jacques Vergès et Charles Debbasch (surnommé l’ « ange noir » de la France, ancien doyen de l’université de droit d’Aix-Marseille, il est poursuivi en France pour différentes affaires, mais bénéficie de la double nationalité) sont de bon conseil. Le général est très lié à Chirac. Mais la gauche française n’est pas en reste, Mitterand père et fils ont été de la partie. En 1999, Rocard se rend à Lomé pour soutenir Eyadéma, il déclare « nous sommes liés d’amitié », et il désavoue l’opposition qui conteste les résultats. Parmi les « sympathisants » du régime, citons Roland Dumas, Fodé Sylla (député européen PCF, ancien président de SOS Racisme) ou encore le publicitaire Jacques Séguéla : outre les campagnes électorales de Mitterand, Jospin et peut-être prochainement celle de Ségoléne Royal, il a mené celles de Eyadéma et de Omar Bongo (le dictateur gabonais, également soutenu par la France) en 1998.

Au niveau économique, il faut rappeler qu’en 1970 le Togo est encore surnommé la « petite Suisse de l’Afrique ». Le sous-sol est très riche et le pays dispose d’un port en eau profonde, lui permettant d’être une véritable plaque tournante pour le marché africain et les trafics en tout genre. Sous l’impulsion de la France et d’autres puissances, seront mis au point des projets de « développement » inadaptés aux réalités du pays (les « éléphants blancs »). Ces projets enrichiront les firmes occidentales et endetteront lourdement le pays.

Puis la création d’une zone franche permettra d’atteindre un niveau de salaire parmi les plus bas au monde. En 1994, le franc CFA est dévalué de moitié et, sous reccomandation du FMI, des privatisations sont menées à tour de bras. La liquidation du patrimoine togolais bat son plein. Les entreprises occidentales, et notamment francaises, se ruent sur la bonne affaire, des entreprises publiques sont parfois rachetées au franc symbolique… À Bouygues, Bolloré et Total, viennent s’ajouter Accor, Suez, Alcatel, Bnp-Paribas, Axa, Air liquide ou Air France.

Élections du 24 avril 2005 : « les 5 jours qui ébranlèrent le Togo » [5]

Le président-dictateur Gnassingbé Eyadéma meurt le 5 février 2005. Chirac pleure un « ami personnel ». Son fils, Faure, s’empare du pouvoir le lendemain. Face aux pressions de la France et de certains dictateurs africains (Compaoré, Kadhafi, Bongo ou N’Guesso), il est contraint de démissionner et d’organiser des élections. Mais la période intérimaire aurait du être assurée par Natchaba, pourtant Faure impose Abass Bonfoe.

Le 2 février, c’est 150 000 à 250 000 togolais qui réclament le retour à la légalité constitutionelle dans les rues de Lomé. Ils scandent « à bas la dictature de la France », « au secours, Chirac et la famille Gnass nous ont pris en otage ». Premières barricades dans le quartier de Bé, fief de l’opposition, et premières victimes de la répression. Les élections prévues dès le 24 avril s’annoncent déjà frauduleuses : les listes électorales ne pourront être révisées et le délai sera « trop court » pour l’envoi d’observateurs internationaux.

Les partis d’opposition se réunissent autour de Bob Akitani, de l’Union des Forces pour le Changement (UFC). Sans scrupules, Le Monde déclare le 24 mars que « Faure fait figure de favori face au peu charismatique Akitani », et affirme que l’opposition souffre d’une « absence totale de programme ». Pour Liberté Hebdo [6], « la révolution jaune aura bel et bien lieu ». Le journal parle « d’une foule en liesse pour accueillir Akitani, au sud mais aussi au nord du pays » (le sud est majoritairement acquis à l’opposition).

Liberté Hebdo titre : « Branle-bas de combat dans les officines françafricaines ». Il affirme que la France envoie « conseillers spéciaux et experts électoraux , se rendant chaque jour à Lomé 2 », la résidence présidentielle déjà investie par Faure… À la veille des élections, des radios et télévisions privées sont fermées, les lignes téléphoniques et internet sont coupés : la mascarade électorale peut commencer. Dans France Soir du 8 mars, une interview est intitulée : « Renforcer la démocratie au Togo », c’est celle de Jean-Luc Mano, conseiller en communication de Eyadéma père et fils (par ailleurs également conseiller de Alliot-Marie).

Le dimanche 24 avril, les listes sont incomplètes, des urnes sont volées par les militaires, des observateurs sont refusés. Les bastonnades et exécutions sommaires d’opposants commencent dans les quartiers de Bé et Baguida. Faure est annoncé gagnant avec 60 % des voix. Lomé s’embrase, comme en province (Kpalimé, Tsévié, Atakpamé, Aného, etc.) : barricades, pavés et gourdins cloutés, contre des militaires munis d’armes et de munitions de fabrication française. Les émeutes durent 2 jours. La répression est sanglante, l’armée quadrille le pays. Les jours suivants, arrestations et exécutions d’opposants se multiplient. Dans le Forum du 12 mai, la coalition d’opposition demande aux autorités « de mettre fin à la chasse à l’homme exercée sur les militants de l’opposition ».

Une note confidentielle de la délégation de l’Union Européenne au Togo est interceptée début mai : elle décrit en détail l’étendue des fraudes et violences. « Les manipulations sont encore plus graves que lors de l’élection de 2003 qui avait poussé l’UE à porter un jugement sévère sur la validité du scrutin ». Cette note parle de 900 000 faux électeurs sur 3 millions de votants ! Dans les zones favorables à l’opposition, seules 41 % des cartes ont été distribuées et 380 000 inscrits n’ont pas pu voter. Le rapport cite aussi un document interne de l’ambassade de France qui mentionne « la culture de la fraude en matière électorale pour laquelle le parti au pouvoir conserve un avantage indéniable », car « il tient l’appareil politico-administratif à sa disposition ». La commission ne souhaite pas faire de commentaires sur cette note, et le conseil européen, paralysé par la position de la France ne remet pas en cause le scrutin. L’ONU salue la mobilisation du peuple togolais le jour du scrutin ! Des milliers de togolais quittent le territoire. Fin juillet 2005 ils étaient encore 40 000 au Bénin et au Ghana selon le HCR.

La « révolution jaune », vue de l’intérieur

Akouvi était au Togo durant les « troubles ». Elle habitait un petit village au-dessus d’Atakpamé et allait régulièrement à Lomé. Elle a pu voir comment se vit un espoir de changement, comment la politique se mêle aux croyances, à la culture, comment la population se mobilise dans ce village traditionellement pour le RPT (le parti au pouvoir), où la plupart des gens sont nés sous la dictature. Voici un apercu de son journal de bord.
— 22 mars : L’opposition a appelé à manifester pour réclamer des cartes d’électeurs, dénoncer les listes électorales frauduleuses. Au village et dans les alentours se créent des comités de l’opposition. Le RPT (Rassemblement du Peuple Togolais, le parti au pouvoir) promet des emplois à Lomé pour les jeunes, la rénovation des bâtiments publics, et distribue de l’argent.
— 7 avril : Le chef du village a rendez-vous avec des techniciens pour finir un bâtiment scolaire ; quelqu’un m’explique : « La campagne est déjà commencée ». Le 8 avril, la campagne est officiellement lancée.
— 13 avril : Faure a débarqué dans les villes en hélicoptère et escorté de deux officiers… français ! Amavi, opposant de l’UFC, s’est fait arrêter : paraît qu’ils le torturent à la prison…
À Lomé, l’opposition manifeste tous les jours depuis vendredi . les amis n’osent pas m’accompagner (par peur, par méfiance, par habitude, beaucoup de gens se sont ralliés sur le tard aux manifestations de l’opposition). Des dizaines de militaires, gros bâtons à la main, encadrent la manifestation. Les gens dansent et chantent devant les militaires : « Nous vendons notre vie. Vous pouvez tirer les armes, nous on est à main vide et on s’en fout ! » La foule est en jaune ; les militaires portent les brassards blancs du RPT. Les amis ont emmené leur « ancêtre » : une statuette en bois et secouent les cloches traditionnelles sur le sol en chantant pour demander sa protection. Une pancarte : « Adrena Diop, prostituée sans frontière » ; c’est la responsable de la Commission d’Observation de la CEDEAO [7]. Certains crient « Ablode » (liberté, indépendance), d’autres répondent« Gbadza » (large, totale), ou encore : « Le maïs est pourri, le palmier est grand » (le maïs est le symbole du RPT, le palmier celui de l’opposition).
— 19 avril : Au village, les réunions de l’opposition regroupent 200 personnes. Ils crient : « Mime le di ega o, mian towoe va » : On ne nous a pas donné d’argent, c’est nous-mêmes qui sommes venus !
— 23 avril : Une cinquantaine de zem (mobylettes) traversent les villages : T.shirts et casquettes blancs, escortés de trois voitures et camions de militaires. Le RPT défile… Une femme me dit que le RPT a promis de rendre l’écolage gratuit du CP1 au CM2, de donner des visas gratuits pour l’Europe, etc.
Une dizaine de morts à Lomé dans les batailles opposants / RPTistes de cette semaine. Les gens manifestent au village ; on m’interpelle : « Il faut dire en France ce qui se passe ici, que Chirac nous trompe depuis trop longtemps ».
— 24 avril (jour des élections) : Depuis quelques jours, à Lomé, ça chauffe, la semaine a été chaude. Les gens se battaient jusqu’à Casablanca (quartier périphérique du centre) ; ils s’équipent de coupe-coupes et de gourdins, par peur, pour se défendre.
Les quartiers de Bé et Baguida s’enflamment directement, on monte les barricades. Toute la soirée des affrontements dans plusieurs zones de la ville.
— 26 avril : Le Togo est en suspens : l’ambiance est très tendue. L’opposition est persuadée d’avoir gagné. Je suis partie de Lomé lundi matin, à l’aube, pour arriver au village avant la proclamation des résultats. Je suis passée à Kpalimé à pied, le taxi nous a déposé à l’entrée de la ville : il a refusé d’aller plus loin. Vers 11 h, Kpalimé est une ville morte : la nuit a été chaude, des pneus brûlants et des parpaings jonchent les rues. En fait comme tout le monde ici n’a pas eu de carte d’électeur, les gens n’ont pas attendu les résultats pour montrer leur colère.
Au village, le dépouillement s’est déroulé normalement et l’opposition a gagné. Dans les villages voisins aussi. Pourtant on a trouvé des morts sur les listes, on a surpris des jeunes de 14 ans munis de cartes. Vers 11 h, le verdict tombe enfin : 60 % pour Faure et 38 % pour Akitani. Les gens sont choqués, ils s’attroupent, « ils ont volé leur victoire », « ils veulent la guerre ». J’apprends le bilan des alentours : 3 morts à Kpalimé, 4 morts ailleurs, et beaucoup de blessés par balles à Lomé le soir des élections, et surtout, déjà 10 morts à Atakpamé... Quelques femmes, des jeunes, des hommes, sortent avec des gourdins taillés à la main, des lances pierres, des pneus à brûler. Le calme est surprenant, mais les gens arrivent et commencent à monter lentement une barricade à chaque extrémité du village, sur l’unique route qui le traverse. Les villageois sacrifient une poule et bénissent le sol au vin de palme à l’entrée du village : la tête de la poule trône ensuite, elle aussi à l’entrée du village, sur le palmier abattu au bord de la route. Certaines personnes boivent du sodabi (alcool de palme) à la poudre noire sacrée pour se protéger des fusils.
— 27 avril : À Lomé, les quartiers de Bé, Baguida, Decan sont inaccessibles aux soldats : état de siège jusqu’à nouvel ordre ; les habitants tiennent leurs quartiers. Atakpamé aussi est bloquée, « on fusille là-bas ». Des gens ayant participé à la campagne de l’opposition commencent déjà à être dénoncés chez le chef du village.
— 30 avril : Un homme de passage au village me dit qu’à Atakpamé, « C’est chaud plus qu’à Lomé ». Les soldats ont encore fait courir la rumeur de leur passage pour cette nuit : la tactique de la terreur marche plutôt bien, le village s’éteint avec la nuit vers 18 h … Les opposants ont fui dans les villages alentours, pour qu’on ne vienne pas les chercher chez eux
Des gens arrivent au village ; on les appelle « les réfugiés de Lomé ». J’entends : « Tant qu’à mourir, on préfère mourir chez nous ». Les gens retournent vers leur village natal.
— 2 mai : Des « réfugiés d’Atakpamé » me disent que là-bas il y a eu au moins cent morts, qu’un certain KOULOUM a payé et armé des « mercenaires sanguinaires » venus du Niger et du Nigeria, qui tuent et violent les jeunes femmes comme les vieilles.
Des opposants de notre village sont accusés d’avoir brûlé des fermes kabyiées. L’un d’eux me dit « c’est question de jalousie », car il possède un bar.
— 5 mai : Un « réfugié de Lomé » blessé à la jambe et à l’arcade me dit : « Ils viennent tabasser les gens dans les maisons, chaque nuit. Chaque jour, des gens disparaissent. »
Le chef a rassemblé les villageois sur la place publique en leur ordonnant de cesser de donner des noms au RPT, que les histoires c’est terminé, que celui qu’on surprend à écrire des noms, on va le taper sur la place publique, que FAURE est président, tout ça c’est fini.
— 6 mai : Un homme du village a été emmené hier. Un villageois du RPT m’explique qu’il fait partie du groupe A : ceux qui ont l’argent pour financer l’opposition. Le groupe B ce sont les « grands malfaiteurs », ceux qui ont brûlé les fermes kabyié ou les bâtiments officiels (préfecture…) et le groupe C sont les « enfants » qui ont tapé les gens du RPT après l’annonce des résultats.
— 9 mai : J’en apprends tous les jours sur les « enlèvements » (Arrestations de gens de l’opposition par les soldats et souvent la nuit). À Atakpamé, ils viennent dans les lycées arrêter les élèves : ils ont emmené 10, 19 et 29 jeunes dans 3 lycées. Le RPT fait des réunions dans les villages pour savoir qui ils dénoncent d’abord…
— 10 mai : J’ai rendez-vous avec un jeune à Lomé qui accepte de me parler de tout ce qu’il a vu et entendu… À Adidogomé (quartier de Lomé), les soldats ont coupé des mains, même des avant-bras à des jeunes. Kodzo, étudiant à l’université de Lomé est caché sur le campus : hier un de ses camarades est arrivé au cours en larmes : les militaires avaient coupé le pied de son frère la nuit même. Kodzo a vu des gens se faire fusiller le jour des résultats dans son quartier.
— 29 juillet : J’ai appris la libération d’un ami par téléphone : deux semaines qu’il est rentré chez lui. Les jeunes, à qui le RPT avait promis des « jobs » à Lomé, sont toujours au village. Un ami de Lomé m’a écrit que le bol de maïs est passé de 700 à 1 400 Francs CFA.
— Mars 2006 : Un an près : 19 000 réfugiés vivent toujours au Bénin dont 11 000 environ dans les camps à 18 km de la frontière togolaise. La répression des milices du RPT s’abat toujours régulièrement sur les familles des participants à la révolte d’avril 2005, voire sur de simples militants de l’opposition...

Le rapport à la politique est assez étrange dans un pays qui a toujours été gouverné d’une main de fer par des tyrans (qu’ils se disent gouverneur ou président). Beaucoup de villageois sont allés peu voire pas du tout à l’école, et donc les prises de position sont souvent liées à la survie. Auparavant, les gens ont souvent défendu le RPT pour améliorer leurs assiettes au moment de chaque élection. Mais maintenant, la survie est devenue si difficile que les togolais étaient prêts à risquer leur vie pour un vrai changement, les jeunes surtout.

Mais ils n’étaient pas naïfs sur le vraie nature de l’opposition : « on veut que les français s’en aillent, on verra si c’est mieux avec les américains ». « Nous on veut le changement c’est tout ». On m’a dit aussi à plusieurs reprises, que si avec ceux-là ce n’était pas mieux ou pire, ils revoteraient pour le RPT aux prochaines élections.

En effet, il ne faut pas occulter que, OLYMPIO comme AKITANI et toute l’opposition qui a été portée par cet espoir populaire, est avant tout une opposition officielle, autorisée. Elle est donc loin d’être révolutionnaire. C’est une opposition dont nombre de ses membres vivent à l’étranger, une classe bourgeoise soutenue par le peuple, une opposition en majorité éwé, pro-étasunienne et libérale.

Si de nombreux libérateurs charismatiques de l’Afrique étaient marxistes et/ou révolutionnaires au départ (SANKARA, LUMUMBA, MANDELA…), ce ne fut jamais le cas d’OLYMPIO père ou fils, qui rêvait ou rêve toujours de remplacer un impérialisme par un autre. Cela fait d’ailleurs parti des critiques du Parti Communiste Togolais en France qui soupçonne l’opposition d’être en mesure de remplacer un autoritarisme par un autre au Togo.

Les auteurs : Akouvi et Yahovi

Notes

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