Accueil > archéologie:alternataire > La Sociale (2002-2012) > 20 (été 2006) > 1er mai aux Etats-unis : la révolte des immigré-e-s

1er mai aux Etats-unis : la révolte des immigré-e-s

vendredi 4 août 2006


Le Premier Mai trouve son origine dans la lutte des travailleurs-euses de Chicago en 1886 et la terrible répression qui s’en est suivie. Il est alors devenu journée internationale de grève. Depuis, le Premier Mai a été totalement oublié aux États-Unis, d’abord rebaptisé « Jour de Fidélité » (Loyalty Day) pendant le Maccarthysme des années 50, puis remplacé par une inconsistante “Journée du Travail” en septembre. Mais cette année voit renaître le Premier Mai aux États-Unis, avec des grèves sauvages et des mouvements dans les lycées à travers tout le pays pour demander l’amnistie des migrantEs sans-papierEs.

La répression des migrantEs a toujours été féroce aux États-Unis. Mais dans les 10 dernières années, et plus particulièrement depuis 2001, les rafles, les déportations et la criminalisation des immi-grantEs, ainsi que la militarisation des frontières ont singulièrement augmenté. Aucune de ces mesures n’a cependant ralenti l’immigration ; mais, sous la pression d’un électorat blanc raciste encadré par l’extrême droite, elles obligent encore plus les immigrantEs à la clandestinité, facilitant ainsi leur exploitation par les patronNEs.

S’organiser, envers et contre tout

L’étincelle à l’origine des marches et des grèves du Premier Mai, est le projet de loi extrêmement répressive du sénateur Sensenbrenner sur l’immigration. Cette loi vise à faire des sans papierEs de quasi criminelLEs, passibles de lourdes peines de prison. Elle criminalise également les travailleurs-euses sociales, les enseignantEs et n’importe quelle personne qui aiderait unE migrantE sans collaborer à la répression étatique, ou sans le/la dénoncer. Une fois arrêtéEs, les immigrantEs peuvent s’attendre à un long emprisonnement et à une déportation inéluctable.

D’importantes manifestations contre le texte de loi en Mars et en Avril ont obtenu le soutien de l’Église Catholique, des syndicats et des chaînes de télévision de langues espagnoles. Mais lorsqu’un réseau informel de groupes locaux d’immigréEs appela tous les migrantEs à se mettre en grève, à sortir des écoles et à ne rien acheter le Premier Mai, les grands soutiens institutionnels s’effarouchèrent et firent tout pour reprendre le contrôle des opérations. Plusieurs ONGs de défense des droits des migrantEs se sont jointes à ces voix qui les encourageaient à « aller travailler et aller à l’école le Premier Mai ». D’autres organisations ont essayé de leur faire peur en rappelant qu’ils/elles risquaient de perdre leur travail. Et certains syndicats se mirent à organiser une coalition plus “responsable” pour contrer cette radicalisation.

Si quelques syndicats apportèrent un timide soutien à l’appel du Premier Mai, aucun d’entre eux n’appela ouvertement à la grève. L’une des raisons tient au fait qu’aux États-Unis, tous les accords de branches, de boîtes... contiennent des clauses qui empêchent les syndicats de faire grève jusqu’à ce que l’accord ait pris fin (seul le syndicat révolutionnaire IWW qui refuse le paritarisme à la sauce US échappe à cette contrainte). Contrairement à la France, les syndicats ne peuvent pas (légalement) lancer un appel à la grève pour des motifs élargis, ce qui rend d’autant plus difficile une mobilisation de masse.

La répression est le signe de la peur des gouvernants

C’est pourquoi l’appel du Premier Mai fut si terrifiant pour la droite, l’église, et certains syndicats. Les grèves nationales les plus importantes en plus de 70 ans étaient organisées totalement en dehors des procédures légalistes et stictement limitées que la classe dominante a réussi à imposer aux travailleurs-euses. Dans la plupart des villes, des collectifs indépendants de droits des immigrantEs s’organisaient par eux-mêmes (avec quelques exceptions, comme à New York, où l’acharné et opportuniste International Action Center, façade du parti trotskiste Workers World, s’y est mis et en a pris le contrôle…)

Les semaines précédant le Premier Mai, la police de l’immigration mena une série de rafles de déportations ayant pour but de terroriser les immigrantEs et les obliger à rester chez eux. Le jour du Premier Mai, la police bloqua et patrouilla autour des lycées à Los Angeles afin d’empêcher les manifestations lycéennes. Malgré ça, plus d’un million de personnes, la plupart des immigréEs, manifestèrent dans différentes villes. De nombreux n’allèrent pas travailler, mais d’autres négocièrent simplement du temps avec leurs patrons. Bien que toutes les nationalités étaient représentées, les communautés latinos et surtout mexicaines étaient les plus présentes. Les manifestantEs demandaient l’amnistie pour tous les sans-papierEs, une revendication radicale dans un pays où des milices paramilitaires armées (les Minutemen) patrouillent à la frontière, où les Border Patrols font déjà un sale boulot et n’hésitent pas à tirer à vue. Le Premier Mai, les sans-papierEs des Etats-Unis ont décidé de sortir de la clandestinité à laquelle les oblige la répression étatique. Ils/Elles ont refusé d’être silencieux-euses, invisibles, dociles et reconnais-santEs envers le “droit” d’être exploité-e-s, comme les racistes blancHEs et la classe dominante voudraient qu’ils le soient.

Magouilles syndicales cogestionnaires

Au même moment, nombre de manifestantEs portaient des drapeaux américains, et plusieurs organisations essayaient d’atténuer leurs revendications pour rassurer les petitEs blancHEs racistes. Néanmoins, l’essentiel de la population blanche des États-Unis regarda ces manifestations avec hostilité ou indifférence et n’a jamais envisagé de prendre part aux grèves. Et alors qu’une grève nationale sauvage et incontrôlée horrifiait la plupart des capitalistes, certaines entreprises qui dépendent du travail bon marché des sans-papierEs, fermaient même leurs établissements en soutien.

Ces entreprises qui ont soutenu la grève, ont certainement espéré qu’une forte mobilisation forcerait le sénat, qui doit maintenant débattre de la loi, à adopter un pseudo-compromis tout aussi défavorable aux immigréEs mais plus inodore baptisé Massive guest workers program. Ces lois offriraient une amnistie limitée en créant un système de recours massif à des travailleurs-euses immigréEs. Le patronat pourrait se servir d’une main-d’oeuvre bon marché avec quasiment aucun droit, expulsable à échéance des besoins – ou lorsque les travailleurs-euses commenceraient à s’organiser. Les mêmes organisations qui ont essayé de saper la grève du Premier Mai tentent maintenant de faire passer la loi du Massive guest workers program alors que l’aile la plus radicale du mouvement continue à revendiquer l’amnistie totale.

Répression, militarisation, précarisation

Depuis les manifestations, Bush a continué à militariser la frontière mexicaine, où les gardes-frontières sont à l’origine de plus d’un million de détentions l’année dernière. Six mille gardes, beaucoup de vétérans d’Irak et d’Afghanistan, ont été envoyés pour patrouiller à la frontière. Bush a également mobilisé 2 milliards de dollars pour créer une “barrière virtuelle” tout au long de la frontière, avec des jouets de haute technologie semblables à ceux utilisés en Irak et des méga-murs (miradors, barbelés...) conçus en fonction de la résistance de l’homme dans le désert. Plusieurs entreprises privées (BTP, milices privées, video surveillance...) ayant opéré en Irak proposent d’ailleurs déjà leurs services.

Dans le même temps, les maquiladoras (sorte de zones franches frontalières en territoire mexicain où les entreprises américaines viennent exploiter une main-d’oeuvre sans droits) continuent de prospérer et de remplir les poches des capitalistes des deux côtés du mur. Quant aux productions, elles peuvent de plus en plus librement circuler compte tenu des accords de libre échange conclus entre les deux Etats. De plus, rappelons-le, les différentes lois racistes n’ont pas pour but de stopper l’immigration mais de précariser un peu plus une main d’oeuvre immigrée pourtant déjà taillable et corvéable à merci.

La résistance et l’auto organisation des immigréEs des Etats-Unis est donc plus que réjouissante en cette période de casse sociale généralisée qui prend appui sur un racisme primaire.

Partout dans le monde, liberté de circulation et d’installation, solidarité entre les travailleurs-euses d’où qu’ils/elles viennent, finissons-en avec le capitalisme !