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2 mois de lutte contre la précarité... et après ?

vendredi 4 août 2006


De début février à mi-avril s’est déroulé le mouvement social le plus important depuis 1968, aboutissant au retrait du CPE. Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont milité jour et nuit pour lancer et dynamiser ce mouvement, suivi-e-s dans les rues lors des grandes manifs par des millions de personnes.
Si le simple retrait du CPE a sonné la fin d’un mouvement social qui se voulait pourtant un mouvement contre la précarité en général (c’est-à-dire contre de nombreux types de contrat de travail, mais aussi contre le fait que chaque individu-e, du fait d’une situation sociale instable, est en permanence à la merci de son employeur, proprio, contrôleur de métro, fournisseur d’électricité, etc.), est-ce pour autant une défaite ? Il faudrait être d’une sacrée mauvaise foi pour s’imaginer que l’écrasante majorité de la population soit prête à se battre contre la précarisation généralisée et à déclencher la révolution sociale autogestionnaire... et faire porter toute la responsabilité de l’arrêt du mouvement sur la mauvaise foi de centrales syndicales qui feraient le jeu d’un pouvoir disposant de médias-hypnotiseurs-des-masses-qui-étaient-prêtes-à-faire-la-grève-générale-tout-de-suite. Non, et il faut également reconnaître qu’une grande partie des membres actif-ve-s du mouvement se sont contenté-e-s du retrait du CPE.

Victoire ou défaite ou...?

Ce mouvement social est au moins en partie une victoire. De très nombreuseux jeunes d’une génération prétendument ultra-individualiste et désabusée se sont mobilisé-e-s, contre le CPE, certes, mais aussi pour beaucoup contre l’avenir qu’on leur mijote. Une solidarité inter-générationnelle s’est également développée : il n’y avait pas que des jeunes dans les rues, non seulement parce que les organisations syndicales ont mobilisé pour les « temps forts » mais aussi parce que les étudiant-e-s et lycéen-ne-s ont cherché à converger avec les travailleureuses précaires, les boîtes qui licencient, avec les sans-papier-e-s, etc. Le mouvement a utilisé, comme face à la loi Fillon en 2005, des formes d’organisation intéressantes privilégiant l’horizontalité et l’autogestion (rejet des chefs, de la délégation, vraies AG, organisation en coordinations nationales et régionales) et beaucoup de ses militant-e-s ne sont pas prêts à accepter de se laisser balader par des chefs. Les blocages des bâtiments de cours (qui sont des piquets de grève) ont montré leur efficacité en permettant la mobilisation de ceux et celles craignant des sanctions administratives, et en imposant la discussion sur l’objet de la mobilisation avec ceux et celles ne se sentant pas forcément concerné-e-s immédiatement. Ces modes d’organisation ont servi la réflexion individuelle et la radicalisation du mouvement, même si à un moment donné beaucoup ont choisi de reprendre le boulot ou les études.

Les grandes centrales syndicales ont joué la partition que l’on attendait d’elles. La CGT a participé à lancer le mouvement dès fin janvier. N’ayant pas forcément prévu que la mobilisation prendrait, la direction de la CGT a suivi sagement son évolution en affirmant suivre sa propre base, pourtant jamais réellement consultée. La stratégie des « temps forts » réguliers et espacés dans le temps permettait de canaliser une certaine détermination sans risquer une radicalisation du mouvement venant du monde salarié, séparé de ce fait des lycéen-ne-s et étudiant-e-s mobilisé-e-s. Les autres centrales ont fait de même et on a abouti à une unité syndicale qu’on n’avait pas vue depuis longtemps... Même pour la CFDT, l’occasion était trop belle : une mobilisation déjà massive qu’il suffisait de suivre en prenant le point d’accord minimal comme mot d’ordre (le retrait du CPE). Et c’est certainement cette unité syndicale qui a permis le retrait du CPE, première victoire du mouvement social sur ce gouvernement qui était resté droit dans ses bottes pendant le mouvement contre la réforme des retraites en 2003 et contre la loi Fillon en 2005. La CFDT a démontré son poids (notamment dans le secteur privé) en choisissant pour une fois de ne pas lâcher tout le monde en négociant selon ses habituelles positions co-gestionnaires. Dans cette inter-syndicale « unitaire », c’est la coordination étudiante / lycéenne, seule instance émanant de la base du mouvement et tâchant de fonctionner sur des principes réellement démocratiques, qui est la grande oubliée, puisque l’intersyndicale s’est empressée de répondre aux invitations dans les ministères après avoir claironné qu’il était hors de question de négocier. Tout en se taillant une image de battantes, les centrales syndicales se sont approprié cette « victoire » dans les médias et n’ont pas tardé à siffler la fin de la récréation, malgré un appel formel à se mobiliser contre le CNE.

Ce recul du gouvernement, même s’il peut paraître symbolique (la précarité pour les jeunes, femmes, vieux, issus de l’immigration a encore de beaux jours devant elle), a permis de gagner quelque chose de très important dans la tête des gen-te-s : l’action collective, la mobilisation, permettent d’avancer ensemble et nous libèrent de notre prison individuelle. Mais l’usage de la grève comme moyen d’action reste encore marginal et de nombreuses personnes y sont encore réfractaires simplement parce que perdre une journée de paie dans une société où tout est de plus en plus monétisé, ça peut faire mal. Cela est particulièrement vrai pour les salarié-e-s précaires, les bas salaires et salarié-e-s du privé : le coût financier se double d’une réelle menace de sanctions. Et si les fonctionnaires ne se collaient pas autant de crédits sur le dos pour avoir la plus belle voiture... C’est pourquoi la grève générale illimitée n’est pas encore à portée de main... Mais elle ne s’est pas éloignée pour autant et après 2003 et 2005, la capacité à désobéir a encore fait un bond en avant.

2 mois de lutte... et maintenant ?

Maintenant que reste-t-il ? Les partis politiques aiguisent leurs armes pour les présidentielles. Au PS, on n’a pas encore de projet mais des candidat-e-s en pagaille. Il est loin le temps où Hollande déclarait qu’on choisirait d’abord un programme, et ensuite un candidat chargé de le défendre. Pour le moment on plébiscite Ségolène Royal simplement parce que c’est une femme en feignant d’ignorer qu’elle représente l’aile droite de ce parti : acquise aux thèses de Tony Blair, elle fait des notions de « famille » et de « vertu » des piliers de son action. On en tremble déjà. Ses premières déclarations sur les thèmes de l’éducation et de la délinquance nous donnent une idée de l’alternance qu’on nous propose.

Au gouvernement c’est la débandade. Chirac promulgue une loi en demandant de ne pas l’appliquer, Villepin joue les fusibles ambitieux qui ne marchent pas (un fusible c’est fait pour sauter) et Sarkozy fait feu de tout bois, en particulier contre son propre camp, pour apparaître en homme providentiel. L’affaire Clearstream n’est qu’un épisode de plus dans la décomposition d’un régime démocratique bourgeois où les cercles du pouvoir sont à la fois entremêlés (les agents secrets sont conseillers des ministères tout en étant dans les conseils d’administration de grosses boîtes d’armement) et concurrents. Ce qui apparaît, c’est que seule compte la conquête du pouvoir et son maintien. Et tou-te-s jouent le même jeu : les socialistes ont eu leurs affaires d’écoutes téléphoniques illégales, de la MNEF, etc. Voilà bien longtemps qu’ils et elles ont oublié en quoi pouvait bien consister l’intérêt général.

La gauche dite extrême négocie en coulisses pour savoir si elle présentera un, deux ou cinq candidat-e-s pour le grand sondage de mai 2007 et ne fait pas beaucoup parler d’elle. L’absence de mouvement contre la loi CESEDA de Sarkozy est un symptôme de la désorganisation de ces forces-là, alors que tous les ingrédients sont réunis pour retenter le coup de 1996-97 (un an avant les législatives, la mobilisation contre la loi Debré et en soutien aux sans-papier-e-s, avec l’expulsion de l’église saint Bernard, avait sérieusement entamé le gouvernement Juppé et mis la gauche sur les rails pour les législatives).

Que signifie cette timidité de la gauche ? Côté extrême gauche on n’ose rien annoncer tant qu’on négocie, d’où le calme plat ; côté PS on joue encore le coup de viser l’électorat supposé « centriste ». On se souvient du résultat en 2002, pas besoin d’être devin pour prévoir sa reproduction à l’identique.

Lutter sur le terrain

Le projet auquel nous nous opposons est celui de la généralisation de la précarité comme norme salariale (fin des CDI, exploitation toujours plus massive de sans-papier-e-s, démantèlement de l’inspection et de la médecine du travail, privatisations, surveillance et répression accrues des chômeureuses, abandon des conventions collectives, de tout acquis des luttes sociales...). En mettant en avant l’idée d’un « contrat » librement signé entre employeur-e et employé-e tout en faisant mine d’oublier que c’est l’employeur qui est en position de force, ce projet place les travailleur-euse-s à genoux devant le patronat au nom d’un réalisme économique qui ne profite qu’à quelques un-e-s.
La bataille contre le capitalisme et toutes les formes de domination ne se gagnera jamais sur le terrain électoral. Voilà bien longtemps que plus grand monde ne croit à un réel changement de ce côté-là, et si la lutte contre la précarité était une priorité des gouvernant-e-s, on l’aurait remarqué. C’est à nous de nous organiser en comités de chômeureuses, de précaires, par boîte, par quartier, par immeuble, par lycée... pour refuser tout de suite les formes de précarité qu’on nous impose à nous et nos proches. Auto-organisé-e-s (y compris dans les syndicats), en décidant et en agissant collectivement, nous définirons nos discours, nos cibles, nos formes de lutte pour atteindre une réelle efficacité et faire reculer l’alliance entre le patronat et les partis politiques qui, pour l’instant, ne lâche du lest que si cela lui permet de mieux asseoir son pouvoir sur nos vies.
Que voulons-nous pour le travail ? Persuadé-e-s que le capitalisme qui divise les humains en producteurs et en rentiers ne peut qu’amener la guerre de tou-te-s contre tou-te-s, nous voulons son abolition et celle du travail salarié. N’est-il pas plus juste que ce soient les travailleur-euse-s qui décident de ce qu’il faut produire et en quelles quantités, de la manière de répartir les richesses ? Ceci non pas en fonction d’un profit financier, mais en fonction de l’utilité et de l’intérêt général. Tant de boulots inutiles, dangereux et polluants disparaîtraient, les « services publics » (santé, transports, alimentation...) seraient gérés de manière coopérative par leurs producteur-trice-s et leurs usager-e-s, et nous aurions plein de temps libre pour faire autre chose que nous abrutir au turbin.

Qui pourrait être contre un tel système ? Ils sont si peu ! A bas le salariat et vive l’autogestion !