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Immigration : toujours plus de contrôle et de répression

mercredi 9 novembre 2005


La période estivale est toujours le temps des coups bas pour les gouvernements. En juillet, les ministres de l’intérieur du G5 (ALL, ESP, FRA, ITA, RU) ont en effet annoncé la mutualisation des forces et l’organisation de vols charters communs pour expulser des personnes étrangères à grande échelle, le but étant de “faire du chiffre”, alors que le nombre d’expulsions est battu d’année en année (11.000 en 2003, 16.000 en 2004). Si rien de cela n’est vraiment une nouveauté, c’est la dernière touche d’un système qui vise à surveiller, enfermer et expulser les personnes d’origine étrangère jugées inaptes à vivre sur le sol européen.

En outre, ce qui s’est passé ces dernières semaines au Maroc et dans les enclaves espagnoles Ceuta et Melilla, ramène à une réalité cruelle qui symbolise la politique migratoire des pays européens et ce qu’ils attendent des pays-tiers : jouer le rôle de “gendarmes” de l’Europe.

État nation, État maton

Nous vivons la fin d’un processus historique de 200 ans où l’État français a mis en oeuvre tous les moyens disponibles pour construire une politique migratoire (avec ses lois, ses juges et sa police des frontières). Cette politique fut d’abord nationale avant d’être assez récemment envisagée dans un cadre européen.

Parler de la police et de la surveillance des personnes étrangères, c’est parler des règlements, des institutions et des agent-e-s chargés de maintenir l’ordre, un certain ordre, institué par une ville ou un État. Depuis deux siècles, en France, la présence d’étranger-e-s a justifié des pratiques policières entièrement consacrées à l’élaboration de processus d’identification et de contrôle d’individu-e-s... qui se sont ensuite élargis à toute la population.

Cette politique migratoire s’est doucement affinée, judiciarisée, constitutionnalisée. Au gré des besoins économiques, industriels, sociaux et politiques, l’État français a plus ou moins contrôlé l’arrivée et la gestion des immigré-e-s. Ce n’est que peu à peu que l’accusation de clandestin viendra s’en mêler...

Cette politique connaît aujourd’hui une certaine apogée. La systématisation du contrôle des étranger-e-s a connu de nombreuses étapes, de l’instauration de la carte d’identité pour étranger-e-s en 1917 aux cartes de séjour ou autres autorisations provisoires de séjour... Le but étant de soumettre les étranger-e-s à une autorisation de séjourner, avec conditions préalables.

Les révolutions bourgeoises du XVIIIème siècle et le développement de l’État-Nation en France, comme en Europe ou en Amérique du Nord, ont donné lieu à l’émergence d’une réglementation visant au contrôle de la présence des étranger-e-s sur le territoire et à leur octroyer un statut juridique.

Désormais tout se justifie par la volonté d’assurer que la présence de personnes étrangères sur le territoire ne puisse constituer une “menace pour l’ordre public”. La peur de l’étranger, pour justifier leur contrôle, est une vieille rengaine, malgré l’asile promis aux épris-es (ou réfugié-e-s) de la liberté. Par exemple, le myhte du complot étranger scanda nombre d’épisodes rocambolesques du pouvoir bourgeois aux abois : de l’Affaire Dreyfus à l’oeil de Moscou, les capitalistes et les partis politiques ont toujours su se retrouver sur ce thème). Ce soupçon, lie des racismes, s’est “égalitairement” appliqué à la Libération avec les étranger-e-s ou naturalisé-e-s coupables de faits de collaboration, comme il a ensuite été utilisé pour intimider ou dissuader les ouvrier-e-s d’origine étrangère impliqué-e-s dans les grèves de 1947.

Jusque 1975 et l’arrêt officiel de l’immigration en France, la main d’oeuvre étrangère remplissait des secteurs nécessaires au développement industriel (des Polonais aux maghrébins d’après-guerre). Pourtant cette longue période fut celle de l’absence de visibilité sociale et politique de l’immigration. Jusque 1950, celle-ci n’est pas qu’un phénomène propre aux grandes villes, ce qui facilitait les stratégies de “masquage”. Ainsi, on a vite oublié que le “premier” centre de rétention pour étranger-e-s est découvert à Arenc, près de Marseille. En service depuis la fin des années 1960, il ne fut pourtant pas le premier du genre. En effet, dès 1949, les effluves de la Libération imprégnaient encore les jugements intolérants : ainsi, à Toul-Bautzen en Lorraine, furent enfermé-e-s les naturalisé-e-s de fraîche date n’entrant plus dans les critères et les étranger-e-s qui avaient fait “leur temps en France”.

La construction d’une organisation pénitentiaire spécifique à l’immigration n’a depuis cessé de se développer. L’émergence populiste et médiatique de l’extrême-droite a frotté le poil nationaliste de tout ce que compte la clique politique raciste française, du “seuil de tolérance” de Rocard au “karcher” de la Place Beauvau.

Pasqua a donné une connotation beaucoup plus répressive, en termes physiques, mentaux et sociaux, bref, en terme politiques, au système de surveillance et de contrôle des étrangèr-e-s. Ils sont devenu-e-s avant tout non-nationaux, et leur statut devient négation de l’individu-e, quelqu’un-e de trop, qui ne peut exister ici (pensons aux victimes de la double-peine). Le processus d’exclusion et d’expulsion s’est alors perfectionné.

Europe de l’Est, Afrique du Nord : Les nouveaux gendarmes

L’Europe Forteresse est au centre de la question migratoire. Harmo-nisation européenne du sytème oblige, le but est maintenant de fermer les portes, pour mieux trier. Mieux trier pour mieux “contrôler les flux”, pour mieux laisser l’Afrique croupir pendant que de Villepin fait le guignol à Barcelone avec Zapatero le 17 octobre et annonce encore plus de coopération, encore plus de répression. Depuis 1995 et le processus de Barcelone, un des objectifs de l’UE est de sécuriser, en accord avec les pays d’Afrique du Nord, la zone méditerranéenne.

L’Union Européenne met donc en commun les moyens de répression destinés à lutter contre “l’immigration illégalle”. Et s’arrange pour sous-traiter la violence de sa politique. En chargeant des pays comme la Libye, déclaré pays sûr pour le coup, de s’occuper du sort des boat-people échoués sur Lampedusa, petite île au sud de Malte, l’Union Européenne se dédouane du sale boulot, oublie les conflits et la misère... Ainsi, l’année dernière, l’Italie signait un accord avec la Libye pour la création de trois camps d’”accueil”, afin d’empêcher les traversées des migrant-e-s et des demandeur-se-s d’asile subsahariens qui tentent de gagner l’Europe.

Outre le fait que les États européens se dédouanent des conflits africains, ce projet se traduit par la création de lieux d’enfermement, pour parquer, trier et renvoyer hors d’Europe les individu-e-s qui gênent.

Le Maroc est aussi en ligne de mire de l’Union européenne depuis de nombreuses années. Pays de transit pour les subsaharien-ne-s en route vers l’Europe, en particulier vers les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, il a vu naître des camps “informels”, regroupant des centaines de migrant-e-s dans les forêts, dans des conditions sanitaires catastrophiques, exposé-e-s aux répressions violentes des forces de l’ordre marocaines et de la guardia civil espagnole.

Les récentes expulsions par charters, par bus ou par bateaux sont un signe fort de la mise en place d’États-tampons aux frontières de l’Europe, de la Biélorussie à la Roumanie et jusque Gibraltar. En effet, l’émotion suscitée par les morts de Ceuta a permis quelques avancées sécuritaires.

Et tout d’abord d’envoyer un message -mortel et morbide- aux migrant-e-s : c’est la guerre. Six morts. Et le bilan aurait pu être beaucoup plus lourd, d’après les premiers témoignages qui parviennent : si le réseau d’assocations et d’individu-e-s concernées sur ces lieux n’avaient pas expressément réagi et bougé les médias, c’est un carnage encore plus important qui reposerait sur les gardiens marocains avec leurs armes... européennes.

Le Maroc s’est également fait octroyer une enveloppe de 250 millions d’euros, au titre des programmes Aenas d’assistance technique et financière, pour le contrôle des frontières. À bon escient sécuritaire : depuis 15 jours, les forêts (principaux lieux de regroupement des migrant-e-s, comme à... Calais) ont été rasées. La réponse instantanée de l’Espagne à la détresse des migrant-e-s a été de réhausser de 2 mètres les grilles de protection. Un fossé de plusieurs mètres a été creusé pour décourager les plus tenaces alors que le gouverneur marocain s’est dit en “état de guerre contre l’armée des clandestins”. Surtout, les millions débloqués sont destinés à obliger le Maroc à prendre en charge et expulser les migrant-e-s, et aussi les sans-papier-e-s expulsé-e-s des pays européens ayant transité par le Maroc !

Libye, Maroc, Algérie, Tunisie, Roumanie : les scénarios sont les mêmes. L’Union Européenne saura rapidement transformer les lieux de regroupement existants en “centres d’accueil” ou plutôt centres d’internement pour Subsaharien-ne-s ou Roumain-e-s (ainsi, les expulsé-e-s roumain-e-s seront assigné-e-s à résidence pendant trois années).

Lutter contre le consensus raciste

La récente reprise des charters européens et les événements du mois dernier viennent donc boucler la politique migratoire de ces États. Messages de dissuasion à l’adresse des personnes tentées par l’émigration, ces traitements collectifs ne s’effectuent qu’au mépris de la dignité des personnes et ne sont que l’expression commune des racismes d’État en Europe : en créant une citoyenneté européenne, comme les nationalités ou les citoyennetés républicaines dans le passé, les États ont ouvert la porte au refus et à l’intolérance, aux expulsions des personnes qui ne rentrent pas dans leurs critères de sélection politique, économique et sociale.

Bien sûr, il faut empêcher ces reconduites massives, mais n’oublions pas que beaucoup d’expulsions vers le Maghreb par exemple se font par le train, le bateau ou les vols commerciaux, ce qui est moins médiatique. En effet, les expulsions quotidiennes peuvent être massives sans recours à l’arrogance spectaculaire des charters. Des Ivoirien-ne-s, Chinois-e-s, Tchétchènes sont expulsé-e-s quotidiennement.

La machine à expulser façonnée par Pasqua fonctionne et l’ensemble des dirigeant-e-s des grands partis de droite (Sarkozy, Baroin) ou de gauche (Boutih, Dray) peuvent avancer l’idée d’“immigration choisie”, dans le silen-ce le plus total des politiques et des médias, ce qui n’est pas tout à fait une nouveauté (la loi de 1893 ordonnait que les pouvoirs publics pourraient s’opposer “pour cause d’indignité” à l’acquisition de la nationalité française des enfants nés en France mais non résidant à leur majorité).

Lutter contre le consensus raciste d’une classe politique qui s’accorde sur une vision répressive et utiliraiste de l’immigration, c’est lutter tous les jours à la base pour la régularisation des sans-papier-e-s, faire pression pour que s’arrête la machine de la répression et des expulsions.

Témoignages sur Ceuta & Melilla : http://lille.indymedia.org/article....
http://lille.indymedia.org/article.... et sur Indymedia Gibraltar