Accueil > archéologie:alternataire > L’Écho des sans-voix > 04, automne 2001 > La Confédération européenne des syndicats et le syndicalisme de connivence

La Confédération européenne des syndicats et le syndicalisme de connivence

novembre 2001


Depuis sa fondation en 1973, la C.E.S. (Confédération européenne des Syndicats), E.T.U.C. en anglais (European Trade Union Confederation) cherche à nouer des relations avec le patronat et les instances politiques européennes par le biais du « dialogue social européen ».

C’est ce dialogue avec l’U.N.I.C.E. (Union des Confédérations de l’Industrie et des Employeurs d’Europe : le M.E.D.E.F. européen) et le C.E.E.P. (Centre Européen des Entreprises à Participation Publique, « Participation » !) qui a préparé l’« accord sur la politique sociale » (antisociale) annexé au traité de Maastricht en 1991, véritable couverture pour toutes les régressions sociales engagées par les patrons et soutenues par les politiques économiques et monétaires de l’Union Européenne.

À Nice en décembre 2000, la C.E.S. demandait que la nouvelle « Charte des Droits sociaux fondamentaux » soit intégrée aux traités tout en évoquant les limites de cette charte (avec celle-ci, en fait, l’Union européenne réécrit nos droits sociaux et les réduit à une peau de chagrin, toujours un instrument de régression sociale).

À Bruxelles, le comité exécutif de la C.E.S. a décidé d’organiser une mobilisation syndicale revendicative le 13 décembre 2001 à la veille du sommet européen de Laeken. Cette nouvelle « euromanif » portera sur l’emploi, sur la « nouvelle gouvernance » et sur l’avenir de l’Europe. Le Sommet de Laeken lancera un nouveau processus de réformes et la C.E.S. veut « y être associée avec les autres organisations de la société civile mais surtout avec le poids de ses 70 millions d’affiliés en Europe ». 70 millions, quel gâchis ! Une nouvelle fois, la C.E.S. a choisi d’accompagner les projets et les démarches des institutions européennes.

En effet, la C.E.S. se positionne sur une « politique de modération salariale compatible avec la stabilité monétaire » prônée par la commission. Si son secrétaire E. Gabaglio (et bientôt Nicole Notat, Seillière s’en félicite déjà) considère que la stabilité monétaire « ne peut être une fin en soi », il n’en a pas moins estimé qu’elle reste « la précondition à la réalisation, au travers de la coordination des politiques budgétaires d’investissement et fiscales des États membres, du "plus" de croissance qui nous fait défaut ». En clair pas touche aux profits, aux équilibres macro-économiques, quelques miettes pour les salarié-e-s.

Les communiqués et les résolutions de la C.E.S. sont très caractéristiques de cette tendance à accompagner les directives européennes pour donner des gages de respectabilité et de représentativité. Ils sont rédigés dans une langue alambiquée qui atteste de ses accointances avec les eurocrates de la commission.

Les orientations de la C.E.S. sont donc au mieux, sur le terrain économique et social les mêmes que celles des militants politiques d’A.T.T.A.C. (la taxe Tobin est intégrée aux revendications de la C.E.S. à Laeken) qui prônent le libéralisme réformé ou l’humanisation du capitalisme, le dialogue social contre la lutte des classes. Comment en serait-il autrement, puisque la C.E.S. s’est constituée pendant la guerre froide en s’appuyant sur les confédérations liées à la sociale-démocratie et à la démocratie chrétienne, pour s’élargir ensuite par cooptation à d’autres confédérations (C.F.D.T., C.F.T.C., C.G.T., F.O., U.N.S.A., C.S.C., F.G.T.B., U.G.T., C.I.S.L., C.G.I.L., D.G.B…) dont nous connaissons l’incapacité et la répugnance à organiser les grèves et la grève générale, seules capables de remettre en cause durablement la logique du patronat et des pouvoirs nationaux. De sommet en sommet, la C.E.S. continue donc d’entretenir le mythe du capitalisme à visage humain. Comme si nos maigres acquis - retraites, congés payés, santé, éducation ou droits syndicaux - étaient le résultat d’un élan humaniste du patronat et de l’État et non des luttes sociales.

Si, pour l’heure, les moyens d’action de la C.E.S. sont plutôt le lobbying auprès de la commission et les rencontres avec des parlementaires, sa stratégie et celle des syndicats nationaux qui la composent est de décrocher une participation aux décisions de la commission et des organismes sociaux européens. La cogestion et l’association salarié-e-s/patrons : c’est cette stratégie du syndicalisme de connivence et de proposition qui a provoqué des débats sans lendemain au sein de la C.G.T. française lors de son ralliement à la C.E.S. et de son rapprochement préalable avec la C.F.D.T.

Les stratégies de course à la représentativité de la C.E.S. sont déjà soutenues par les Etats nationaux par des lois - Lols, Bassanninni et Perben, en Espagne, en Italie et en France - qui concourent à l’élimination des syndicats anticapitalistes de base pour ne tolérer que ceux affiliés à la Confédération européenne des Syndicats. La nouvelle donne paritaire et cogestionnaire implorée par la C.E.S. pour mieux confisquer l’expression des revendications des salarié-e-s, lui procurerait aussi de nouvelles subventions.

Les manifestations européennes de la C.E.S. sont toujours programmées en semaine mais jamais accompagnées d’appels à la grève qui permettraient aux salariés de se mobiliser Elle prennent donc la forme de promenades bien encadrées par les permanents des directions syndicales. Cela n’est pas une originalité européenne, nous sommes habitué-e-s aux « journées d’action » nationales, alibis de nos confédérations réformistes hexagonales. Ces manifestations médiatisées à grand renfort de subventions européennes et patronales, permettent de détourner les salarié-e-s des véritables luttes en leur présentant le spectacle d’une contestation de façade et d’un internationalisme au rabais, plutôt du type Europe forteresse. Les régressions sociales peuvent s’opérer sous le contrôle syndical de la C.E.S. et de ses spectacles européens. Pendant ce temps-là, les licenciements se multiplient et malgré les Comités d’Entreprises Européens aucune action sociale d’envergure n’est organisée pour s’opposer à la lutte des classes que le patronat nous livre tambour battant.

La participation de la C.E.S. au contre-sommet de Bruxelles est donc totalement négociée par avance avec la commission européenne et le gouvernement belge, tant sur la forme que sur le fond. La connivence est totale avec les États et les bureaucrates européens qui y trouvent aussi prétexte à entretenir l’illusion de la participation démocratique et de la « nouvelle gouvernance », version européenne et sociale de la démocratie de proximité ou « participative ».

Les représentants de la Commission européenne, MM. Santer et Prodi, ont d’ailleurs déjà évoqué le rôle qu’ils assignent à la Confédération européenne des Syndicats. M. Santer a notamment souligné « le soutien des partenaires sociaux au processus de l’Union économique et monétaire et la poursuite de la modération salariale, qui ont été un facteur clé pour la réussite de l’U.E.M. ».

L’internationale rouge et noire renforce sa présence aux contre-sommets, elle y porte d’autres analyses et d’autres stratégies tout en rappelant que les luttes sociales ne se gagnent pas sur les boulevards d’Amsterdam, de Cologne, Nice, Göteborg ou Bruxelles mais sur le lieu de travail. De plus en plus, cette présence doit permettre aux salariés de la base, qui refusent que leurs vies soient régentées par des autorités bureaucratiques politiques ou syndicales, de choisir aussi leur cortège lors de ces manifs européennes.

À Bruxelles et tous les jours sur nos lieux de travail et de vie, c’est un véritable internationalisme de lutte qu’il faut construire pour mettre fin à la domination et à l’exploitation. Plutôt que d’attendre les éventuelles avancées sociales ou réformes démocratiques proposées par la C.E.S., la Commission européenne ou le Parlement de Strasbourg, la C.N.T. encourage les travailleurs à se réapproprier leurs revendications en s’organisant eux-mêmes à la base, en créant des comités de lutte indépendants des syndicats réformistes, en rejoignant les organisations syndicalistes révolutionnaires, anarchosyndicalistes et autogestionnaires qui se développent depuis quelques années à travers toute l’Europe.

C.N.T.-Lille

RETRAITES. Résolution approuvée par le Comité Exécutif de la C.E.S. lors de sa séance des 13 & 14 décembre 2000.

« La C.E.S. est fermement attachée aux systèmes publics de pension qui devraient constituer l’élément fondamental, c’est-à-dire la part la plus importante, de la pension des retraités. »

« Ainsi, le cadre régulateur européen définira-t-il les conditions de leur mise en œuvre.
Autrement dit, des fonds de pensions seront mis en place, après accord entre partenaires sociaux au niveau approprié (national, secteur, entreprise)
. »

« Les organisations de la C.E.S., doivent être impliquées dans les choix stratégiques et le contrôle des régimes de retraite professionnelle… Elles devront peser sur les stratégies d’investissement de manière à promouvoir l’emploi, c’est-à-dire favoriser, en matière d’investissement, les entreprises qui sont soucieuses de développer l’emploi, celles que l’on qualifie généralement d’entreprises "socialement responsables" et donc à éviter les placements purement spéculatifs. »

L’ÉDUCATION ET LA FORMATION TOUT AU LONG DE LA VIE. Stratégies syndicales. Résolution adoptée par le Comité Exécutif de la C.E.S., 13-14 juin 2001, Bruxelles

« L’éducation et la formation tout au long de la vie pour toutes et tous : un défi pour l’Europe. L’Union européenne se trouve confrontée à des défis majeurs résultant de la mondialisation des marchés et des économies et de l’introduction des nouvelles technologies, notamment des technologies de l’information et de la communication (T.I.C.). La promotion de l’innovation, le renforcement de la cohésion sociale et territoriale, l’accès aux connaissances et à l’information, la promotion de l’inclusion sociale et l’insertion professionnelle font partie des réponses nécessaires pour affronter ces défis avec succès. Pour la C.E.S., il faut repenser le modèle traditionnel de distribution de responsabilités en matière d’investissement : employeurs responsables par la formation au sein des entreprises, individus payant leur formation à des fins personnelles, pouvoirs publics responsables par la formation des chômeurs et des exclus. La différence entre les intérêts des entreprises et ceux des individus en matière de formation devient de plus en plus floue. »