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De la xénophobie française (Rudolf Bkouche)

avril 2001


Il y a une tradition française de la xénophobie, la méfiance envers les étrangers, y compris lorsqu’ils sont devenus Français, comme nous l’apprend l’histoire de ce siècle.

On pouvait penser que cette xénophobie relevait essentiellement de mouvements que l’on qualifie bien vite d’extrême-droite comme pour mieux l’exorcicer. Il y eut pourtout une xénophobie populaire comme le montrent par exemple les massacres de travailleurs italiens à Aigues-Mortes en 1893, xénophobie populaire que l’extrême-droite savait reprendre à son compte. On pouvait cependant penser que la xénophobie restait confinée, sur le plan politique, dans la partie d’extrême-droite de notre pays, du moins celle qui se proposait de la théoriser à partir des idéologies raciales et racistes qui se sont développées à partir de la seconde moitié du 19e siècle. Il y eut aussi une xénophobie d’Êtat lorsque celui-ci se proposa de contrôler l’immigration dans un pays qui représentait pour nombre d’immigrants à la fois la sécurité politique (le fameux berceau des droits de l’homme) et l’assurance d’un travail. Les politiques de quota et les mesures de contrôle contre ceux qui croyaient trouver en France un havre de paix sont anciennes. Sans parler du discours sur l’« immigration zéro » qui allait conduire au développement de ceux que l’on appelait alors les clandestins, au sens que la loi leur refusait toute possibilité de régularisation les condamnant à vivre « hors le droit » lorsqu’elle ne les épuisait pas ?

Lorsque la gauche est arrivée au pouvoir en 1997 par la grâce de la dissolution, on pouvait espérer que la situation des étrangers en France allait s’améliorer ; on déchanta vite, ce fut d’abord la « frilosité » de la circulaire du 24 juin 1997, ce fut ensuite une nouvelle loi sur l’immigration qui changeait peu par rapport aux lois Pasqua-Debré et qui assurait la continuité du contrôle des étrangers enFrance. Si l’on a pu (si l’on a voulu) croire à une frilosité d’une gauche ne voulant pas bousculer la politique xénophobe des derniers gouvernements, il fallait se rendre à l’évidence ; il n’était plus question de frilosité mais d’une politique délibérée.

Après la circulaire du 24 juin 1997, un peu plus de la moitié des demandeurs seulement était régularisée, et encore pour beaucoup ce fut moins par les seules vertus de la règlementation que par les luttes de sans-papiers, dont de nombreuses grèves de la faim. Les effets de la circulaire prenant fin, la pratique des expulsions et l’augmentation des refus de séjour témoignaient d’une application dure des textes règlementaires et législatifs : la circulaire du 11 octobre 1999 dans laquelle le ministre de la police de l’époque demandait que les refus de territoire soient suivis d’une expulsion effective, les contrôles « au faciès » devant les lieux de rassemblement de sans-papiers (ainsi les lundi et mercredi devant le local du CSP 59), tout cela confirmait la volonté d’une politique xénophobe délibérée. Le ministre de la police de l’époque, soutenu par le premier ministre, montrait sa volonté de mettre au pas les sans-papiers, les expulser ou les renvoyer à la clandestinité, de mettre au pas aussi ceux et celles qui les soutenaient dans leur combat comme le montre le scandaleux article 21 de la loi dite RESEDA qui assimile toute action de soutien à l’organisation de filières clandestines. Le ministre de la police ayant démissioné, on aurait pu croire que l’étau allait se desserrer ; point n’en fut, il suffit de voir la fin de non-recevoir opposé par le nouveau ministre de la police à la Coordination nationale des sans-papiers et les diverses mesures répressives prises ces derniers temps par une police qui montre le mépris des politiques envers les sans-papiers. Sans parler de l’empressement d’une administration paponesque qui, sous réserve de règlement, peut s’adonner librement à la chasse aux métèques ; mais il est vrai que cette chasse aux métèques est organisée par un gouvernement dit « de gauche ».

Le lepénisme, en tant qu’il représente la tradition xénophobe française, atteint aujourd’hui la gauche elle-même, laquelle se croit obligée de soutenir les pires agissements du gouvernement. La question est ainsi moins celle d’un gouvernement qui s’appelle " de gauche " que celle du silence d’une gauche qui n’ose rien dire devant la xénophobie officielle. Corporatisme politique qui atteint non seulement ceux qui nous gouvernent mais tous ceux qui acceptent de mettre au placard leurs idées de gauche parce qu’un gouvernement qui s’appelle « de gauche » le leur a demandé. On ne peut mieux souligner combien la politique se réduit pour nos « grands chefs » au seul clientélisme électoral. Aux dernières nouvelles, le patronat s’inquiète de la baisse de l’immigration (Le Monde du 28 décembre 2000) ; les entreprises françaises ont besoin d’une immigration capable d’offrir sa force de travail et c’est aux gouvernement de « réguler » cette immigration en fonction de la demande. On ne peut mieux dire que dans notre société, la vie des hommes dépend moins de leurs droits en tant que personnes que pour leur capacité à être de bons rouages de la machine économique, quitte à s’en débarrasser lorsque ces rouages deviennent inutiles. C’est aussi cela la xénophobie d’État. Un homme que les démocraties occidentales considéraient, à juste titre, comme un tyran parlait de l’homme comme « le capital le plus précieux », il est vrai que l’homme est un capital précieux tant qu’il peut servir la machine économique, mais il n’est plus rien lorsqu’il ne peut plus servir, alors on le réduit à n’être rien et s’il est un étranger on le jette purment et simplement ; les petits papons peuvent alors s’en donner à cœur joie.

Rudolf Bkouche