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Des médias bien dociles...

avril 2001


Juin 2000. À Lille, la lutte des sans-papiers, menée par le Comité des sans-papiers 59 et ses soutiens, bat son plein. Depuis plusieurs semaines, le collectif, privé de local depuis novembre 1999 (les CRS les ont, à l’époque, chassés, sur demande de la mairie, du pavillon où ils étaient installés au CHR de Lille), occupe un local de la Bourse du travail.

Plusieurs sans-papiers, déterminés et désespérés, ont décidé de se lancer dans une grève de la faim pour attirer l’attention de l’opinion et obtenir, pour tous ceux que le Collectif défend, des papiers régularisant leur situation.

La préfecture du Nord pense alors que le moment est venu pour en finir avec ce collectif de sans-papiers trop résistant à son gout : le dynamisme du Comité des sans-papiers 59 lui a permis d’obtenir, en quelques années, plusieurs centaines de régularisations, certes partielles, mais qui sont la preuve que la lutte peut avoir des résultats. La pression de la préfecture va donc être particulièrement forte : menaces de poursuites judiciaires contre les soutiens des sans-papiers, pressions envers les syndicats… Les forces de l’ordre multiplient les menaces.

C’est dans ce contexte qu’un journaliste de La Voix du Nord écrit un article d’analyse sur la lutte en cours. Il y décrit une lutte menée par des sans-papiers « manipulés » par une extrême-gauche qui voudrait en découdre avec Martine Aubry et se servirait des sans-papiers pour en arriver à ses fins, des sans-papiers seraient contraints de poursuivre la grève de la faim, et il illustre son article de détails sordides et fallacieux pour lui donner plus de piquant (les soutiens des sans-papiers qui allument un barbecue géant « dont les effluves parviennent aux grévistes de la faim »). Il y décrit aussi un mouvement des sans-papiers abandonné de tous, notamment désavoué par le MRAP et la LDH (qui démentiront et exigeront un droit de réponse qui ne paraitra jamais dans le journal). L’article arrive donc à point nommé, à un moment où tout est mis en œuvre pour casser le mouvement des sans-papiers.

9 janvier 2001. La Confédération paysanne, profitant du passage à Lille de José Bové et François Dufour, décide de mener une action symbolique vis à vis du Parti socialiste du Nord. Ces derniers font en effet la sourde oreille à une demande de rendez-vous sollicitée par la Confédération paysanne. Une trentaine de militants, accompagnés de journalistes, investissent pacifiquement les locaux du siège du Parti socialiste à Lille, emmenant avec eux dans les lieux des cochons et quelques ballots de paille. Tout se passe sans anicroche jusqu’à l’intervention musclée des forces de l’ordre qui expulsent tout le monde, interpellent des militants (dont José Bové) et, au passage, dans sa furie sécuritaire, casse un peu de mobilier dans les locaux du PS…

Interrogé par le correspondant de France Info et de France Inter, un responsable du PS donne sa propre version des faits, totalement erronée et volontairement malhonnête : il a vu les militants entrer avec des battes de base-ball, venus pour saccager le local du PS. Dans la journée, alors que les militants de la Confédération paysanne sont toujours en cellule au commissariat, France Inter et France Info diffusent la fausse information sur les ondes. Pire, le lendemain matin, Jean-Michel Apathie, l’éditorialiste politique de France Inter dénonce, dans une chronique particulièrement violente l’action coup de poing de José Bové. Maintenant qu’il est accepté dans l’arène médiatique, tempête-t-il, José Bové se doit d’apprendre les bonnes manières. Et c’est toujours la même fausse information qui en est à l’origine. Une fausse information qui ne sera pas démentie, même si le mercredi soir, le PS lui-même doit se rendre à l’évidence et décide de retirer sa plainte, pour éviter le ridicule…

Dans les deux cas, la presse joue un grand rôle dans la criminalisation d’un mouvement social. C’est elle qui permet d’amplifier, de déformer la réalité pour appuyer une opinion, même si les faits réels la démentent. Alors, les médias sont-ils à la botte du pouvoir ? En fait, se sont des mécanismes qui sont en place et qui transforment ainsi des journalistes en « nouveaux chiens de garde » du pouvoir.

Dans le cas des sans-papiers, c’est probablement à la suite d’une conférence de presse de la préfecture que Jean-Yves Méreau écrit son papier. Le préfet dicte sa version des faits, son analyse de la situation avec ses propres impératifs : il faut casser une bonne fois pour toute le mouvement des sans-papiers à Lille, trop dynamique et trop présent et ceci avant les élections.

Pour l’action de la Confédération paysanne, on entre dans une seconde phase. Les journaux, les responsables de la presse s’ennuient de ce phénomène médiatique qu’ils ont pourtant créé… Après l’avoir encensé, il faut maintenant « casser » du Bové, selon la bonne vieille rengaine : il va trop loin, il a attrapé la grosse tête, il est fini. L’occasion est alors trop belle pour decendre en flamme l’animateur des luttes paysannes. Et même si les faits s’avèrent être déformés par un petit permanent local du PS peu scrupiuleux, le mal est fait…

Face à cette désinformation évidente, la nécessité d’une presse, de médias plus sensibles à traduire la réalité et à retranscrire les actions portées par les composantes du mouvement social (on ne s’étalera pas sur les nombreuses initiatives passées systématiquement sous silence par la presse locale) est bien évidemment esentielle. On voudrait dire qu’ils existent et donner l’exemple du travail mené par Radio Campus, un projet de radio associative créée après 68. Malheureusement, l’affaire des sans-papiers aura été aussi là pour montrer que rien n’est immuable. L’article de Jean-Yves Méreau sera en effet commenté dans « Banderoles », une des émissions militante de Radio Campus où les deux animatrices de l’émission dénonceront avec indignation les propos du journaliste.

Dans les jours qui suivent, la radio reçoit un courrier d’un collègue du journaliste, qui menace celle-ci de déposer plainte. L’émission « Banderoles » est alors immédiatement et définitivement suspendue par le conseil d’administration de Radio Campus, tandis que les autres animateurs d’émission se voient interdire d’évoquer le sujet à l’antenne. Quant à l’hypothétique plainte, elle n’aura jamais été déposée…

Dès lors, pour tenter d’apporter une information différente, on ne pourra que citer une très intéressante expérience : celle du journal L’Interdit, un projet original de journal mensuel qui est uniquement diffusé sur Internet.

Jean-Christophe