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Nord-Sud : le temps des colonies

avril 2001


On ne peut comprendre la situation des sans-papiers sans s’attarder sur la nature des relations entre la France et ses « ex- » colonies, dont est issue la majorité des membres du CSP de Lille : échanges amicaux dans la plupart des médias, asservissement implacable dans la réalité. On a sans doute rarement vu un tel fossé entre la gravité scandaleuse d’une situation réelle et les représentations que s’en fait l’opinion publique par le biais des médias. Jamais il n’y a eu aussi peu de réactions et de prises de responsabilité dans la population.

L’Afrique noire est la région la plus emblématique à ce sujet : l’État français continue le pillage, sans la relative responsabilité administrative et symbolique (dans l’opinion publique) qui lui incombait en tant que puissance coloniale.

Avec la décolonisation, la France a pu roder une série de pratiques qui lui ont permis de garder intacte son hégémonie :
 mise en place de gouvernements fantoches aux ordres de la France, après des élections le plus souvent truquées - les médias et les politiques appelleront « dictateur » un dictateur comme Kabila au Congo ex-Zaïre, ils appelleront « ami de la France et démocrate » un dictateur comme Mobutu… ;
 répression, assassinats massifs des quelques dirigeants indépendants et des groupes sociaux les appuyant ;
 tactique du « diviser pour mieux régner », hérité du colonialisme, qui avec la misère est cause des déchirements fratricides qui émaillent le continent.

Quand le soutien à une classe d’hommes politiques corrompus, le clientélisme ne suffisant plus, des bataillons français peuvent être mobilisés directement - celui d’Abidjan est régulièrement utilisé quand les « intérêts » de la France sont en jeu. Mais en Afrique, rien de ce qui peut présenter de l’intérêt, rien surtout de ce qui peut en ramener n’appartient au peuple africain. Beaucoup est français. En 1994 l’opération Turquoise « en faveur de la paix » servira à protéger la junte hutu, génocidaire et pro-française. Des mercenaires comme Bob Denard aux Comores sont régulièrement utilisés par la France (jamais officiellement, bien entendu) en tant que garde rapprochée des dictateurs - supprimant ces derniers au besoin. On retrouve toute une série d’anciens de Saint-Cyr à ces postes, qui passent aisément des services secrets au service d’ordre du FN et ont des liens très étroits avec des Mitterand (père et fils), des Chirac, des Pasqua…

Mais dans les trente dernières années, s’est mis en place un nouveau mode d’asservissement, purement financier, plus légal au regard du " droit ". Au milieu des années 70, la crise économique provoque un gonflement des marchés financiers. Les banques privées ou d’État voient le tiers-monde comme le client idéal pour des prêts : ses dirigeants sont dociles et ont besoin d’argent. On leur prête donc des sommes à des taux allant de 15 à 40 % : d’année en année, les intérêts de la dette s’accumulent, le secteur productif national s’engage totalement pour le remboursement, le pays est à la merci des banques occidentales, mais il est alors quasiment en faillite, et on lui concède d’autres prêts en échange d’un droit de regard encore plus intime sur la politique intérieure. La spirale est infernale. Entre 1980 et 1996, l’Afrique sub-saharienne a payé en intérêts plus du double de ce qu’elle a emprunté durant cette période, sa dette a été multipliée par trois. Parfois pourtant, nos médias annoncent à grand fracas un projet de réduction du poids de la dette, on supprime donc une partie de la dette « irrécouvrable ». Bien sur jamais plus de 10 % de la dette totale…

Elf, Bouygues, Bolloré en Afrique, Total en Birmanie, prospèrent sur le dos des populations, car « la concurrence mondiale est acharnée », car « les entreprises françaises à l’étranger contribuent à l’aura de la France », car c’est lucratif. L’intérêt principal de cette mâne est qu’elle produit ses fonds occultes, très utiles au bon fonctionnement de la vie démocratique de notre pays. En ce moment même, sont réunis dans une série d’affaires en rapport avec l’Afrique : le fils Mitterand, Charles Pasqua, divers députés, les anciens dirigeants d’Elf ; cela malgré le fossé idéologique insondable qui les sépare.

François-Xavier Verschaeve, spécialiste de ce qu’il appelle la « Françafrique » a publié récemment son deuxième livre sur le sujet, Noir silence, les pseudo-présidents du Tchad, du Congo-Brazzaville et du Togo sont en procès contre lui. Il perdra sans doute, les médias et la justice étant dans le même camp. Il estimait, dans La Françafrique : le plus long scandale de la République, que de l’aide publique au développement en Afrique, 4 % seulement étaient réellement utiles à la population. Il n’y a pas un franc qui, envoyé de France par des travailleurs immigrés vers leurs familles d’origine, ne serve efficacement à un réel développement économique du continent.

Jan