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T’as vu la gueule de la bavure ?

avril 2001


Le 24 mars 2000, à 16 h 45 : dans un « quartier difficile » de Lille, une brigade de la B.A.C. interpelle 3 mineurs pour une histoire de cyclomoteur volé. Le nom du jeune Ismaïl ne leur est pas inconnu. Trois ans plus tôt, au cours de l’interpellation d’un autre membre de cette famille, la mère s’était fait « bousculer », ce qui avait provoqué des émeutes dans le quartier...

Les 3 mineurs sont menottés, et selon des témoins, Ismaïl est frappé par les agents. Son grand frère, Mourad, arrive alors sur les lieux de l’interpellation : une discussion vive l’oppose à la police. Des dizaines de jeunes s’attroupent et prennent à partie les agents qui décident de se retirer. Les témoignages divergent alors : est-ce que le policier trébuche sur une barrière, reçoit-il un coup de poing au visage ? Toujours est-il qu’il se retrouve à terre, roué de coups par le groupe. Il tombe dans un coma qui durera trois jours. Des témoins accusent Mourad d’avoir porté le premier coup (qui de toute façon n’est pas celui qui a provoqué le coma). Se sachant mis en cause, il se présente deux jours plus tard au commissariat et est placé en détention préventive. C’est sans doute le coupable idéal, puisque le seul identifiable par les policiers.

Le 15 avril 2000 à minuit : dans un autre quartier, 2 agents de la brigade canine interviennent suite à un appel pour vol de voiture. Dans le véhicule, Farid et Riad. Ce dernier fête son embauche comme employé à la ville de Lille. Farid, sur le siège conducteur, se laisse sortir sans résistance et est menotté. Les agents de police maitrisent alors la situation, tout se passe dans le calme, presque en situation d’exercice. Et pourtant, l’un des agents a son arme braquée sur le passager. Riad est toujours assis dans la voiture. Celui-ci fait un geste de trop. Le coup part, Riad est touché à la nuque et meurt sur le coup. Lors d’un exercice de tir dans les écoles de police, le maximum de points est obtenu lorsqu’on atteint les organes vitaux... Comme à chaque « bavure », les autorités ont beaucoup de mal à faire admettre qu’il faut laisser la justice faire son travail. Mourad est toujours en prison.

Pour Manoka, la justice est faite le 22 avril 2000. Les faits sont simples ; l’interpellation qui lui a couté la vie deux ans plus tôt s’est faite selon les règles de procédure. Ce jour-là, Manoka, marié et père d’un enfant, accroche un rétroviseur et faisant du roller. S’ensuit une rapide dispute avec l’automobiliste et Manoka continue son trajet. L’automobiliste en question est retraité de la police. On appelle ses anciens collègues qui se lancent à la recherche de Manoka. Deux gardiens de la paix le retrouvent, il reconnait les faits, accepte de remplir un constat, mais refuse de les suivre dans leur véhicule. Deux équipes de la BAC arrivent en renfort. Manoka est alors plaqué au sol par 5 agents qui tentent de le menotter... Il ne se relèvera pas : Manoka meurt au commissariat d’un « processus asphyxique du à une contrainte thoraxique ». Rappelons qu’il était boxeur de haut niveau et donc en très bonne condition physique. Les 5 fonctionnaires trop zélés seront inculpés d’homicide involontaire et de non-assistance à personne en danger. Trois d’entre-eux obtiennent un non-lieu, les deux autres seront condamnés à quelques mois de prison avec sursis. Ce qui signifie qu’ils peuvent toujours patrouiller et contrôler Mourad. Du moins, le jour où il sortira, car il est alors toujours incarcéré. Il attendra le 25 janvier 2001 pour qu’un jugement soit rendu qui le condamne à 2 ans de prison, fermes cette fois-ci. Preuve accablante de sa culpabilité, des traces de sang sur ses baskets. On a peu parlé des traces de sang de son petit frère retrouvées également sous sa semelle et qui semblent pourtant attester des coups qu’il aurait reçus au cours de l’interpellation. Pas beaucoup plus du fait que le sang du policier tabassé se répandait sur la chaussée. Si le sang répandu par un tabassage collectif constitue une preuve à charge d’un individu présent sur les lieux, gageons que les traces de sang sur les mains de l’assassin de Riad permettront que la justice soit rapidement faite dans cette affaire également. Riad ne sera pas là pour témoigner ; quant à l’agent des forces de l’ordre inculpé, il est actuellement en liberté.

Les faits parlent d’eux-même. Rappelons pourtant que l’insécurité devenu enjeu électoral de premier plan, commence d’abord par l’impunité pour les assassins en uniforme. Que les réelles zones de non-droit dans notre république sont d’abord les commissariats et les tribunaux. Nous n’avons évoqué ici que trois cas gravissimes et locaux. La liste est longue, les affaires souvent étouffées, les syndicats de policiers soutiennent systématiquement les agents inculpés. La justice ne condamne jamais les bavures comme des crimes. Cela remettrait sans doute trop en cause les pratiques courantes d’une police par essence violente.

Lucie, Manu, Nico