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Qu’est-ce qu’être soutien ?

mercredi 26 mai 2004


Depuis le milieu des années 90, la lutte des sans-papiers a permis aux mouvements de l’immigration de se réapproprier la rue. Ce mouvement est celui des sans-papier.e.s mais pas seulement. Des individu.e.s, des associations ou des organisations soutiennent cette lutte. Mais avant toute chose, il faudrait se mettre d’accord sur les termes : l’ensemble des militant.e.s qui luttent avec les sans-papier.e.s n’est pas d’accord sur ce qu’on peut mettre derrière le terme même de soutien.

Solidarité contre l’inégalité

Il y a derrière l’idée de soutien celle d’une mise en "retrait". Soutenir, c’est aider et épauler la lutte des sans-papier.e.s, qui sont des individu.e.s en situation d’inégalité par rapport à nous.

Nous ne sommes pas assez aveugles pour oser affirmer que nos situations personnelles équivalent à celles des sans-papier.e.s, mais nous nous reconnaissons dans leur lutte, en ce qu’elle s’oppose frontalement à l’aliénation des individu.e.s par la toute-puissance de l"Etat et à leur exploitation économique par le système capitaliste. C’est pourquoi nous revendiquons l’appellation de "soutiens" à la lutte des sans-papier.e.s.

Population la plus précaire, les sans-papier.e.s n’existent ni en droit ni en loi, sauf pour les technicien.ne.s de l’Intérieur, chargé.e.s du ménage raciste et républicain de la France. Dès lors, comment participer à leur lutte, qui est aussi quelque part, et quelque part seulement, notre lutte ?

De l’auto-organisation des luttes - Mythes et réalités

Ces premières questions interrogent les principes même d’autonomie et d’autogestion des luttes. Que faut-il être ? Soutien actif qui participe aux actions directes du mouvement (manifs, occupations, grèves de la faim) ? Soutien qui se donne la capacité à participer à la définition des actions du mouvement ? Un mix’ de ces deux formes de soutien peut être une illustration de pratiques autogestionnaires et autonomes du mouvement de l’immigration.

Souvent brandis comme un drapeau dans les discours, rarement pratiqués dans la lutte, les principes de fonctionnement qui sont les nôtres (autonomie et autogestion des luttes, démocratie directe sous une forme fédéraliste) sont-ils compatibles avec la question "Qu’est-ce que soutenir ?" Le principe d’autonomie des luttes prend ici un sens particulier, car il est directement lié à des pratiques qu’on refuse de voir ou de cautionner. Pas question de courber l’échine sous la bannière de l’efficacité. Le soutien aux sans-papier.e.s se veut avant tout une pratique de terrain. Le terrain, c’est l’occupation de la rue, la présence aux côtés des sans-papier.e.s politiquement, dans les actions et les démarches, et aussi humainement.

Il est légitime ou légitimement libertaire d’accepter que les sans-papier.es décident de leur propre mode de combat et de lutte : il s’agit du principe d’auto-organisation des sans-papier.e.s. Le mouvement des sans-papier.e.s doit être le plus indépendant possible, dans sa prise d’expression, dans la circulation de l’information et dans les moyens de mise en oeuvre de ses actions, afin que les sans-papier.e.s s’approprient leur lutte, la contrôlent, décident de ses orientations et de leurs modes d’action.. Cela se traduit dans les faits par l’existence de collectifs regroupant des sans-papier.e.s en lutte autour de la revendication de régularisation globale, appuyés par des individu.e.s ou des groupes mettant leurs ressources (matériel, locaux, effectifs) à disposition. Les diverses organisations soutenant la lutte restent soit des satellites en perdition de la planète réformiste (parfois religieuse), soit des organisations de lutte, souvent plus présentes à travers quelques-un.e.s de leurs militant.e.s. qu’en tant qu’organisation revendiquant clairement la régularisation, alliant la pensée à l’action, ce qui semble pourtant aller de soi...

Le principe d’autogestion exige de participer à l’élaboration de la décision au sein du mouvement : en tant qu’acteurs et actrices de cette lutte, nous ne pouvons pas entièrement nous décharger sur les sans-papier.e.s de la discussion sur les modes de lutte. Pour autant, le principe d’autonomie nous interdit de nous substituer aux sans-papier.e.s dans la prise de décision effective.

Dans ces conditions, est-il juste voire suffisant de se contenter d’un soutien de ce mouvement pour porter la lutte pour la liberté de circulation et d’installation et pour l’abolition des frontières ? Le risque, évidemment, est alors de ne pas se reconnaître dans une lutte dont on jugerait les modes d’actions, les revendications ou les discours peu adéquats à nos convictions personnelles.

Construire l’égalité dans la lutte

Comme toutes les pratiques politiques les plus intéressantes, c’est à l’aune du quotidien que se pose la question du soutien.

Aller vers les sans-papier.e.s, connaître leurs difficultés quotidiennes et essayer de les aider à les résoudre est un premier pas. Le second, c’est l’instauration d’un rapport égalitaire avec des individu.e.s trop habitué.e.s, depuis leur arrivée dans les pays du capitalisme triomphant, à être exploité.e.s, méprisé.e.s et pouchassé.e.s : c’est refuser la condescendance paternaliste de l’humanitaire (en tout humanitaire il y a un colon qui sommeille) pour instaurer l’égalité et la confiance mutuelle entre les êtres.

Est-il possible et souhaitable de suivre les mobilisations de sans-papier.e.s tout en développant ses propres modes d’action, ou carrément abandonner leur mobilisation aux seul.e.s sans-papier.e.s en créant à côté nos propres interventions sur cette thématique ? La question de l’organisation ou non des soutiens peut se poser de plusieurs manières, mais le contexte local semble un déterminant essentiel. Certaines situations locales peuvent permettre le développement d’une mobilisation spécifique axée sur la question de la liberté de circulation et d’installation, comme la proximité d’importants centres de rétention ou lieux de passage de frontières (comme à Palaiseau, Calais et Coquelles, Marseille, Sète ou Roissy).

Agir à Lille

Militant depuis le début avec les sans-papier.e.s sur Lille, nous sommes donc plus à l’aise pour parler de notre soutien ici qu’ailleurs. Le mouvement des sans-papier.e.s a acquis aujourd ?hui une force politique en tant que telle. Ainsi le mouvement, soutenu par les diverses organisations mobilisées, peut-il se permettre d’imposer ses tracts et sa présence plus qu’hebdomadaire dans la rue. Les actions de lutte pour revendiquer la régularisation de toutes et tous amènent les soutien.e.s à participer et se positionner mais rarement à décider. La répression orchestrée par les forces armées est à la mesure du poids de l’électorat raciste et de médias qui regardent ailleurs. Etre soutien.e des sans-papier.e.s oblige à affronter l’institution étatique dans sa violence la plus fourbe et illégitime. Lors d’actions dures, comme une grève de la faim ou une occupation sur la durée, les soutien.e.s doivent jouer un rôle essentiel dans la propagation de l’information et dans la lutte vis-à-vis de la contre-information ministérielle. Encore faut-il être assez nombreux, un minimum d’accord sur la forme organisée ou non du soutien, sur la forme de l’action... Il est donc nécessaire de ne pas se limiter à un soutien de pacotille. En tant que soutien avec-papier.e.s, la possibilité d’élargir à une thématique propre comme la lutte contre les frontières. A ce titre, les Collectif Anti-Expulsion et No Border tracent des voies intéressantes. Réjouissons-nous - ça arrive - de la création du collectif Passons-nous des frontières qui entend lutter contre la violence organisée de l’Etat (centre de rétention, traque) qui découle des barrières nationalistes et racistes, tout en épaulant la lutte organisée des sans-papier.e.s.

Parce qu’aucune limite à la liberté de circulation et d’installation des personnes n’est acceptable, exigeons la régularisation de tou.te.s les sans-papier.e.s et l’abrogation des lois liberticides et racistes.