Accueil > archéologie:alternataire > La Sociale (2002-2012) > 10 (novembre 2003) > Travail obligatoire, salaire facultatif

Travail obligatoire, salaire facultatif

dimanche 30 novembre 2003


En 2003, il ne fait pas bon être chômeur ou chômeuse en Chiraquie. On savait déjà que le vote de la loi de finances 2004 à l’assemblée serait un grand moment de la lutte des classes à la sauce UMP-MEDEF. Une louche de privilèges pour les plus riches (baisse de l’impôt sur le revenu, abattements fiscaux à la pelle), une louche de galère supplémentaire pour celles et ceux qui doivent lutter pour survivre.

C’est ainsi qu’on a pu entendre Raffarin affirmer sans sourciller que si la France était une championne de la productivité, ses difficultés économiques venaient du fait que les Français-es ne travaillaient pas assez longtemps. Le gouvernement s’est donc attaqué dans un premier temps à la durée des cotisations retraite, puis a lancé une première offensive contre les 35 heures. Accusé-e-s du moment, les chômeurs et chômeuses qui s’engraissent cyniquement sur le dos des honnêtes travailleur/ses et de leurs sympathiques patron-ne-s. S’il y a tant de sans-emploi, c’est parce qu’ils et elles sont indemnisé-e-s trop grassement. Ainsi, la direction départementale du travail de l’emploi et de la formation professionnelle de l’Ardèche ose-t-elle écrire à un employeur que "l’attribution aux salariés licenciés d’une indemnité de licenciement supérieure aux obligations conventionnelles [...] pourrait s’avérer de nature à dissuader les salariés de rechercher rapidement un nouvel emploi". Si les statistiques officielles du chômage dépassent la barre des 3 millions de personnes, c’est la faute à l’esprit de jouissance, disait Pétain en 1940. Raffarin est d’accord avec lui. Pour "réhabiliter la valeur travail", une seule solution : le travail obligatoire. Il fallait y penser !

Première partie de l’opération : réduire le contingent des privé-e-s d’emploi recensé-e-s officiellement. Pour ce faire, on réduit d’abord les durées d’indemnisation ASSEDIC en passant de 8 à 4 filières. L’effet de la mesure est dévastateur : environ 850 000 personnes vont voir leur durée d’indemnisation réduite de plusieurs mois, voire supprimée, à partir du 1er janvier 2004. Parmi celles-ci, une partie basculera alors vers l’ASS (Allocation Spécifique de Solidarité) versée par l’Etat aux personnes ayant cotisé au moins 5 ans sur les 10 dernières années. Dans la mesure où cette situation très confortable incite à la paresse, il était nécessaire de réagir afin de redynamiser la recherche d’emploi de ces allocataires. La encore, la solution est simple, il suffit de sucrer l’ASS le plus rapidement possible en réduisant sa durée (jusque-là illimitée) à 2 ans. En 2004, ce sont 130 000 bénéficiaires de l’ASS qui vont disparaître, et basculer vers le RMI (en tout cas pour ceux et celles qui ont droit au RMI).

Et là, l’effet est triple. Premièrement, les RMIstes disparaissent miraculeusement des chiffres officiels du chômage par un de ces fameux tours de passe-passe auxquels nous ont habitué-e-s tous les gouvernements. Deuxièmement, les RMIstes ne sont plus, depuis peu, à la charge de l’Etat, mais des conseils généraux. Certes, l’Etat va leur attribuer une dotation afin de financer le RMI, mais il y a fort à parier qu’elle sera insuffisante et qu’une hausse des impôts locaux comblera le trou. D’autre part, les départements ne sont plus désormais obligés de consacrer 17% des crédits qui leur sont alloués par l’Etat à l’"insertion" des RMIstes. Cette situation créera à l’évidence une inégalité de traitement des bénéficiaires du RMI selon qu’ils vivent dans tel ou tel département, voire dans telle ou telle commune.

Troisièmement, on va enfin pouvoir obliger ces paresseux/ses à travailler. Un-e RMIste célibataire perçoit au maximum 411 euros par mois, ce qui est franchement inférieur au seuil de pauvreté et tend à l’obliger à choisir entre remplir son frigo et effectuer des démarches de recherche d’emploi coûteuses (téléphone, courrier, transport). Et c’est là qu’intervient le coup de massue : le RMA (Revenu Minimum d’Activité). Le RMA est un CDD de 6 mois maximum renouvelable 2 fois. Le ou la bénéficiaire du RMI est embauché-e pour 20 heures hebdomadaires. L’employeur perçoit le RMI à la place de son employé-e et le lui reverse en y ajoutant 130 euros, ce qui équivaut en tout à un demi-SMIC. L’employeur (que l’on appelle alors "tuteur") ne paie de cotisations patronales que sur la base de ces 130 euros, alors que le ou la salarié-e (appelé-e "bénéficiaire") ne cotise également que sur ces 130 euros. Autrement dit, un-e RMAste coûte entre 2,70 et 3,40 euros de l’heure au "tuteur", soit le cinquième d’un SMIC, et un-e RMAste devrait travailler 160 ans pour pouvoir ouvrir des droits à la retraite. A terme, cet incroyable cadeau au patronat remet bien évidemment en cause l’existence du SMIC et la revalorisation du RMI. Il place le ou la "bénéficiaire" dans une situation de dépendance absolue vis-à-vis de son "tuteur", libre de résilier le contrat à tout moment si la personne ne respecte pas le contrat d’insertion : on peut en déduire que droit du travail et droit de grève ne s’appliquent pas à un-e RMAste, menacé-e de perdre son RMA et son RMI au bon vouloir de l’employeur.