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Dossier « La presse parallèle », in L’Aminoir n° 2 (mai-juin 1980)

« Ch’Galibot »

par J.M.D.

vendredi 20 mai 2016


Les coupures sont présentes dans l’article original

Lettre d’un ancien combattant de Ch’Galibot (journal d’information de la région lensoise inhumé pendant les vacances d’été de l’an 79) à ses partenaires plus ou moins dispersés. (…)

Je me rends compte désormais que « vivre la conception d’un petit canard est une chose, ma chère, très pure et très dure », comme le disait la poissonnière du coin d’la rue. Les problèmes techniques sont beaucoup plus chiants que je ne l’imaginais. Les contraintes matérielles (il faut bien en parler), ça bouffe énormément de temps. On a visé trop haut : un mensuel, c’est dingue ! Sur un mois, comptons une semaine pour cogiter et rédiger les articles ; une semaine pour taper les articles et mettre en page ; une semaine pour imprimer le journal et le ventiler entre Douai, Hénin, Lens, Bruay, Lille et même Arras (pas prétentieux avec ça !) pour la mise en vente. Restait ensuite à récupérer le fric, les invendus, rembourser les dettes, faire le bilan du numéro. C’est tout juste s’il restait une semaine pour souffler… On manquait d’oxygène ! Comment suivre, dix mois, dix fois par an ?! Encore, si on avait été plus nombreux, on aurait pu faire tourner les tâches… Mais hélas… N’a-t-on pas terminé le n° 11 au galop à quatre ?! (…)

Y’aurait aussi pas mal de choses à dire sur le contenu du journal. On a jamais clarifié quoi que ce soit. On ne s’est jamais situé clairement par rapport aux mouvements sociaux… ou au manque de mouvement ! Dilettante ? On n’en est pas moins resté à un niveau de généralités plus ou moins militantes, le plus souvent on donnait dans le genre journal-rassemblement (de tracts) contre la République… (cf. la critique qui nous avait été formulée du « journal lycéen »). Pas assez collectif (voire même pas du tout), bureaucratique (pas là même) dans la mesure où chacun dans son coin, on avait tendance à piocher dans notre pseudo-bagage militant (remballe ta marchandise, le représentant est déjà passé !), figé, pas trop dynamique… Bref, manque de maturité politique (dans le sens non politicien bien sûr), absence d’objectifs et de perspectives claires… (Arrête ton char Mimile, faut pas avoir de « projet pré établi »… C’est vrai, mais de là à jouir de flou merdique !) (…)

Il y a peut-être sur la vie et sur la fin de Ch’Galibot une cogitation à faire individuellement, collectivement ou même les deux en même temps si on sait pas trop. Pour ma part, je dirai : Ch’Galibot oui et non ! Pourquoi ? Finalement à quoi correspondait fondamentalement notre démarche ? En a-t-on d’ailleurs seulement discuté entre nous ? Non… J’ai le sentiment que par le biais du journal, on a tous plus ou moins cherché à gérer collectivement… quoi ? le manque d’information régionale ? oh non… je ne crois pas. Ch’Galibot, c’était plutôt à mon avis la gestion collective de notre malaise intérieur (alléluia), de notre isolement aussi. (…)

La réelle motivation de Ch’Galibot appartenait donc, à mon avis, plus au domaine de la « Pédagôgie » qu’à celui de l’ouverture sur les problèmes de l’ « extérieur ».

Autrement dit, le journal ne se justifiait-il pas plus par notre volonté de soulager un malaise intérieur que par la volonté de créer un nouvel espace d’information régionale ? À mon avis, Ch’Galibor n’était pas vraiment un moyen au service des « autres », mais une fin en soi. C’est un peu comme si on avait détourné nos contradictions et nos problèmes individuels plus ou moins partagés dans une sorte de conformisme contestataire se suffisant à lui-même. Concrètement, je pense qu’il aurait fallu se tourner carrément vers l’ « extérieur » — terme mal choisi —, (…) sans pour autant tomber dans un activisme gauchisant et populiste.

De plus, la critique du militantisme souvent confondu avec dogmatisme (la majorité d’ntre nous étaient issue d’anciens groupes femmes, de la Gauche Prolétarienne, de la Ligue Communiste, de la Fédération Anarchiste) a pris plutôt la tournure d’un refus systématique et non réfléchi de tout « militantisme », de toute recherche collective de définition de notre rôle et de nos objectifs. (sauf un qui pensait plus aux Amis de la terre qu’à Ch’Galibot). Notre erreur ? Elle consiste peut-être à avoir « choisi » en opposition, en réaction aux divers groupements politiques que nous avions fréquentés, une forme plus tentante et à priori non aliénante de regroupement : le groupe affinitaire… Erreur fatââle à mon avis. Je suis persuadé que c’était entre le groupe militant pépère traditionnel et le groupe affinitaire auto-suffisant que se se situait notre « avenir ».

En ce qui concerne la prise en charge du journal par les lecteurs… sans commentaires ! C’est pas du jour au lendemain (même après un an et même plus d’existence) qu’on peut changer nos vieilles habitudes de consommateurs passifs.

La prise en charge spontanée = une aberration dans le contexte actuel. (…)

Terminons notre leçon de morale : l’immaturité du canard ! Mon papa m’avait pourtant prévenu… C’était l’anarchie quoi… et Ch’Galibot s’est tiré ! J’ai beau lui balancer, pour renflouer ses caisses, des pièces de 20 balles, y veut pas ramasser (ah, les jeunes d’à ce t’heure !) De toute façon, comme c’est en agissant qu’on progresse, je les ramasserai moi-même !! Et j’espère qu’on se retrouvera très prochainement.

J.M.D.