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Dossier « La presse parallèle », in L’Aminoir n° 2 (mai-juin 1980)

« Le Pet, journal de contre-information de la Somme »

par Éric (Amiens)

samedi 21 mai 2016


Une expérience

Petit historique

Né en janvier 1978 de la rencontre du groupe libertaire d’Abbeville (à la structure informelle) et du groupe anarchiste d’Amiens, Le Pet journal qui se voulait libertaire et de contre-information a cesser d’exister après 13 numéros au mois d’avril 1980.

Très vite pris en charge à Amiens, il s’était fixé 4 objectifs principaux :
—  la libre expression,
—  une information différente,
—  un outil que groupes et individus se reconnaissant dans un courant anti-autoritaire puissent prendre en charge,
—  un travail collectif pour tous les moments de la vue du journal.

Des succès…

D’une façon globale, Le Pet en deux années d’existence s’était taillé une place dans la vie amiénoise par :
—  le nombre d’exemplaires vendus : plus de 600 touchant près de 2 000 personnes ;
—  les réactions directes ou indirectes de personnes ou structures incriminées ;
—  le contenu du journal, informations variées et souvent bien documentées : écologie, antimilitarisme, Kulture, répression policière, mal-logés, rubriques sociales…
—  la forme : passage à l’offset, clarté dans la présentation.

Des problèmes de fonctionnement…

Les efforts louables des personnes qui s’impliquaient dans la vie du journal ont été entravées dès le départ par un fonctionnement qui ne correspondait que de très loin aux buts fixés.

En effet, dès le n° 3, la prise en charge pratique : maquette, tirage, mise ne page, agrafage… a du être pris en charge par une partie du groupe anarchiste d’Amiens, alors que les 2 premiers numéros l’avaient été à Abbeville.

Or, les personnes investies totalement dans le journal n’ont jamais atteint la dizaine loin s’en faut, et de plus la plupart avaient déjà de nombreuses activités.

Les échecs… ou plutôt les enseignement

Entravés par le fait que les personnes impliquées n’avaient pas assez de temps à accorder au journal et poussée par le désir de le faire paraître régulièrement (1 numéro par mois à une certaine époque), sa sortie est devenue une course contre la montre :
—  Aucune préparation collective de la maquette ; pas de réunion spécifique au journal ; pas de réflexion sur les articles et même la plupart du temps sur les éditos !
—  Des contacts très superficiels avec la dizaine de personnes qui diffusaient le journal.
—  2 ou 3 personnes se débrouillant pour écrire et illustrer les articles, quelquefois en faisant du remplissage.
—  Une diffusion à l’emporte-pièce qui a empêché Le Pet de multiplier ses ventes et d’accroître son impact.

Dans ces conditions, le journal ne pouvait subsister que par la volonté de quelques-uns et devenir un objet de consommation, certes ayant un succès certain et déversant une information différente mais les objectifs fixés étaient lin d’être atteints.

En guise de conclusions…

L’expérience d’un journal, du Pet en particulier, est très enrichissante. Il ne s’agit ni de pleurer, ni de cracher sur sa dépouille encore chaude, mais d’essayer d’en tirer quelques enseignements.

Le Pet en traversant plus de deux années a, de par son contenu et de par sa forme, évolué considérablement.

Né du besoin d’expression de quelques-uns dans le vide laissé aussi bien par la presse dite d’information que « militante », son contenu correspondait au désir de faire partager une révolte, même si une certaine naïveté transparaissait.

De par le déplacement de son lieu de confection, d’Abbeville à Amiens, peu à peu l’information a pris le pas, information différente qui se voulait libre de toute contrainte.

Mais la plupart des buts n’ont jamais été atteints. Est-ce le fait d’une démarche qui ne correspond pas à la réalité ?

Croire :
—  à la participation des lecteurs alors que tout est fait autour de nous pour empêcher les initiatives individuelles et collectives ;
—  que l’écriture est une expression à la portée de tous ;
—  que toutes les couches opprimées, économiquement ou socialement puissent se sentir parties prenantes ;
cela touche-t-il de l’utopie ?

Des éléments pour répondre

Les problèmes de fonctionnement évoquées plus haut apportent déjà un début de réponse. Le journal en fait, appartenait à la vie du groupe anarchiste d’Amiens et n’a jamais pu échapper à cette structure. Dans ces conditions, alors que Le Pet se voulait en dehors de tout contrôle, comment est-il possible que les personnes qui lui portaient un intérêt puissent s’y investir ? Tout aussi bien les quelques personnes qui spontanément ont apporté des articles que celles qui assuraient une bonne partie de la diffusion sans appartenir au groupe anarchiste.

Bien sûr il ne venait que peu de gens aux réunions organisées presque tous les mois, mais qu’avait-on à leur proposer ?

Ainsi aucun dialogue n’a pu s’établir entre lecteurs, vendeurs et animateurs du journal ; plus grave aucun effort d’analyse n’a été fait pour pallier cette situation.

Que restait-il de la libre expression ?

Suite à son orientation, l’information était devenue la base même du journal, la libre expression n’étant qu’accessoire.

Quelques exemples :

• Les articles-interviews
Il est effectivement plus facile de laisser les gens parler (de l’enregistrer puis de les retranscrire) que de leur demander d’écrire, plus encore qu’ils écrivent d’eux-mêmes. Cette démarche représente un énorme risque, celui de faire du journalisme.
1/ d’une part lorsque le dialogue s’installe, souvent les personnes impliquées ne répondent que par rapport aux questions posées ; il est souvent très facile de donner une certaine orientation à la discussion. Cela peut être le but recherché mais ça n’a rien alors plus rien à voir avec la libre expression.
2/ d’autre part le mythe de l’écriture reste entier et les blocages s’en trouvent encore plus accentuées.

• L’illustration
Les mêmes remarques s’imposent, repiquer des dessins à droite et à gauche est plus facile que de trouver des originaux, mais on en arrive vite à une situation de non-retour qui conduit à nier l’expression par le dessin.

• La censure
Voilà un sujet bien épineux même si le journal se voulait de libre expression il n’est pas possible de tout passer pour des raisons bien compréhensibles, tout bêtement le risque d’un procès pour propos diffamatoires par exemple.

Mais le problème essentiel auquel il peut être confronté est totalement subjectif : savoir si les écrits sont en accord avec les buts et les idées définis par l’« équipe fondatrice ».

Cela n’a pas toujours été sans anicroche. Un exemple : une opposition formelle s’est fait jour lorsqu’il a été question de signaler les jours et les heures des permanences du groupe anarchiste ; les raisons avancées furent les suivantes :
—  n’importe quelle organisation politique pourrait en demander autant,
—  par ce fait il est prouvé que le groupe anarchiste exerce un contrôle sur le journal.

la réponse semblait claire.

D’une part, qu’elles soient de droite, de gauche ou des extrêmes, les organisations politiques n’ont rien de commun avec les idées libertaires.

D’autre part, à moins de se tromper lourdement, la structure groupe anarchiste n’a rien dans son fonctionnement qui puisse faire penser à une organisation politique.

Et enfin, les personnes prenant en charge Le Pet ne pouvaient renier leur appartenance au groupe anarchiste ; bien sûr le journal n’était pas son organe de presse, et pour preuve cette auto-censure, mais il est indéniable que le contrôle du journal lui appartenait dans les faits.

Il a pourtant été impossible de se mettre d’accord !

La diffusion

Secteur essentiel dans la vie d’un journal, elle est restée sous-développée. Géographiquement, elle est peu sortie d’Amiens ; socialement, si les premiers numéros ne touchaient que les milieux scolaires : lycées, facs, enseignants… les ventes à la criée, dans les librairies où 200 exemplaires étaient vendus ont permis de sortir de ce carcan. Pourtant rien n’a été réellement entrepris pour développer les ventes sur les lieux de travail (les quelques exemples connus prouvaient pourtant que cela était possible), et encore moins pour savoir qui était touché ; et ce n’est pas la fête organisée pour le journal et avortée par manque de préparation et de publicité qui a apporté une réponse.

Une expérience « globalement positive »

Malgré tout ce à quoi il a été confronté :
—  un certain contentement vis-à-vis du journal ;
—  la difficulté de la libre expression,
—  une prise de pouvoir dans les faits : professionnalisme dans l’écriture, la confection,
—  un volontarisme poussant à primer l’information en laissant de côté le travail collectif.

Le Pet reste l’expérience enrichissante d’un journal libertaire
—  qui avait pris une place gênante pour beaucoup,
—  qui a prouvé que le besoin d’un information différente et locale était ressenti par beaucoup,
—  que les aspirations contenues dans le journal étaient partagées par bon nombre.

Et ce n’est pas Pourquoi pas !, journal qui se veut de contre-information, journal paraît-il du Front Autogestionnaire d’Amiens mais bien plutôt du PSU, qui malgré ses moyens techniques et financiers plus importants, de par son langage politicard et militant et de par son contenu et ses prises de position, prendra sa place et pour cause !

Épitaphe

Le Pet n’est pas seulement mort de ses contradictions mais également de l’effondrement du groupe anarchiste d’Amiens.

Le prise en charge d’un journal par ses lecteurs n’est pas pour aujourd’hui, l’appel au secours de janvier n’ayant pas été entendu.

Renvoi

Extrait du dernier numéro du Pet journal de contre-information et de libre expression : « Les prochains numéros seront donc tout à fait différents, Le Pet devenant un journal anarchiste, organe du Groupe Anarchiste d’Amiens. »

Aux dernières nouvelles, il prendrait un nouveau titre : Germinal.

Éric (Amiens)