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La guerre de classe a toujours lieu

mardi 16 novembre 2004


La lutte de classes renvoie à l’affrontement en société capitaliste entre possédantEs et celles et ceux qui fournissent leur force de travail. Leurs intérêts, dans la répartition des richesses notamment, sont divergents (augmentation des dividendes/ augmentation des salaires). Depuis l’effondrement du mur de Berlin et l’échec patent du socialisme appliqué, cette grille de lecture qualifiée de "marxiste" a été renvoyée aux oubliettes de l’histoire par tout le monde y compris les partis réformistes de gauche. Pour renforcer cette assertion, on disqualifie encore la lutte de classe au nom de la transformation de nos sociétés occidentales en sociétés "post-industrielles", voire sans classes.

Loin d’être un concept moribond, la lutte de classe nous paraît bien réelle dans le contexte de guerre sociale que nous livrent conjointement Etat et patronat. Comment dès lors inverser la tendance et reprendre l’offensive et quel rôle les anarchistes peuvent-ils jouer dans ce mouvement ?

LA LUTTE DE CLASSES N’EST PAS MORTE

Quels que soient les apports de Marx dans la définition des concepts de classes sociales et de lutte de classes, ce n’est pas lui qui les a inventés. Les anarchistes, tout en remettant en cause le primat économiste de Marx et préférant une analyses des interactions entre économie, Etat, religion, sexes..., ont largement participé à l’appropriation par le mouvement ouvrier de ces termes créés par des historiens et politiciens bourgeois du premier XIXe siècle comme Guizot. Enfin, l’échec soviétique n’est pas celui de la lutte des classes mais d’une imposture révolutionnaire sanglante quand on pense que de nouvelles classes sociales sont apparues : prolétaires et bureaucrates.

Aujourd’hui, le "post-industriel" est un mirage bien pratique pour les classes supérieures. A les entendre, les masses ouvrières disparaîtraient progressivement, remplacées par des machines auxquelles incomberait toute la pénibilité du travail, pour devenir un ensemble de technicienNEs et de professions tertiaires... En admettant leur raisonnement pour les pays riches, c’est oublier que les masses ouvrières sont simplement déplacées vers les pays dits émergents au gré des délocalisations. Quant aux conditions de travail dans les nouvelles grandes régions ateliers, elles sont plus que déplorables. La classe ouvrière n’a donc pas disparu, elle a été déplacée. Dans ce contexte de mondialisation de l’économie, peut-on sérieusement parler de disparition des classes sociales ?

Pourtant, même dans les pays riches, la société de classes n’a pas disparu. Le terme de prolétaire (celui ou celle qui n’est pas propriétaire des moyens de production) n’est pas réductible à l’Ouvrier. Aujourd’hui en France, on assiste au contraire à une "prolétarisation" de l’emploi tertiaire, il suffit pour s’en convaincre d’observer les conditions de travail des caissières (travail à la chaîne, cadences infernales, paiement au rendement via les primes...). On peut redéfinir les classes sociales, mais la réalité de l’opposition de classes est plus que jamais d’actualité dans le contexte actuel de casse sociale. Le discours sur la fin des classes sociales est alors un outil bien pratique pour les élites qui cherchent à détruire toute solidarité collective en la remplaçant par une contractualisation quasi absolue (et forcément inégale) des rapports sociaux.

PRECARITE POUR TOUT LE MONDE ET CASSE SOCIALE POUR LES AUTRES

La fin de la lutte de classes signifierait un cadre social apaisé où les inégalités de richesse seraient moins voyantes. Or l’essentiel des richesses est dans les mains d’un nombre ridicule de personnes. En France même, on assiste au développement d’une main d’oeuvre précarisée oscillant entre 2 et 10 millions de personnes selon les critères choisis (plus de trois millions de salariéEs touchent moins que le SMIC). La misère absolue des SDF et autres très pauvres est loin d’être un phénomène marginal et ce n’est pas l’horloge hivernale qu’est devenu l’abbé Pierre ou les pièces jaunes de Sainte Bernadette Chirac qui y changent quoi que ce soit.

Depuis une vingtaine d’années, la précarité est devenue LA norme dans le secteur privé comme public. Aux intérimaires, CDD, apprentis, contrats "aidés" et bientôt CDD de longue durée répondent les équivalents du public (TUC initiaux puis CES-CEC, AssistantEs d"Education...). A ces contrats précaires, il faut aussi rajouter les temps partiels non ou faussement choisis. Là comme ailleurs, ce sont les femmes, principalement issues des classes populaires, souvent mères célibataires, qui en font le plus les frais. Reste la main d’oeuvre immigrée : beaucoup de contrats précaires et travail clandestin pour les autres. Les sans papierEs, dans la confection et le BTP notamment constituent alors une roue de secours non négligeable.
On assiste ensuite à une véritable reproduction de la précarité. Les enfants de précaires ont toutes les chances de devenir précaires à leur tour compte tenu de l’organisation de la formation (et le nouveau rapport Thélot renforce cette tendance) ou de la stigmatisation par les employeur/se/s de certains quartiers de relégation.

Concrètement, cette précarité se traduit par de nombreuses périodes non travaillées, des prises de risque et accidents, une servitude quasi obligatoire au patronat et/ou agences d’intérim, une grande flexibilité des horaires, une baisse des salaires, un réel surmenage en période travaillée... Cela n’empêche pas nos élites de nous vendre cela au nom de la liberté de choisir, de changer... C’est la régression transformée en épanouissement de l’individuE par un coup de baguette démagogique.

Enfin, la précarité du travail entraîne celle du quotidien. Celle-ci n’est pas due qu’à la baisse des salaires. En effet, la hausse des périodes de chômage entraîne une baisse des cotisations sociales, retraites... De plus tout le monde est touché par cette précarisation puisque l’accès est de plus en plus restreint à la solidarité collective (baisse des retraites et augmentation des annuités, hausse des frais médicaux, hausse de la part des complémentaires retraite et santé...) et aux services publics qui sont de plus en plus privatisés et de plus en plus chers. Pour boucler la boucle, il ne reste plus qu’à fliquer et culpabiliser les excluEs du travail tout en réduisant leur revenu (baisse des ASS...). Et last but not least on réintroduit le travail obligatoire (avec salaire facultatif) en remplaçant le RMI par le RMA (Cf La Sociale de février 2004 et novembre 2003) ou son équivalent dans le secteur non-marchand : le futur contrat d’avenir.

QUEL ROLE POUR LES ANARCHISTES DANS LE MOUVEMENT SOCIAL ?

Face aux attaques frontales et organisées des forces conjointes du patronat et de l’Etat, une résistance collective est urgente. Or si les journées de grève, les manifestations sont importantes aujourd’hui, le mouvement social n’a jamais été aussi éclaté et la convergence des luttes reste un voeu pieux. Notre objectif est donc bien de participer à une riposte globale et collective sur des pratiques libertaires. Pour autant, nous sommes conscientEs que les anarchistes ne seront pas seulEs dans ce combat.

De plus, des "divisions" existent parmi nous entre anarchistes organiséEs et non organiséEs, entre organisations anarchistes et libertaires, entre syndiquéEs et non syndiquéEs, et entre les choix d’adhésions syndicales. Loin de nous l’idée de proposer voire d’imposer LA solution. Nous essaierons simplement de définir quelques pistes pour inverser le rapport de forces actuel.

Pour l’organisation collective et la démocratie directe

Quelle que soit la forme, il nous semble qu’il est impératif pour nous de privilégier l’action et la démocratie directe. Face à l’instauration des permanentEs ou des spécialistes, il faut mettre en avant le principe de rotation des tâches. A chaque réunion, il faut privilégier la prise de parole par touTEs, formaliser les décisions ou les mandats (supprimant ainsi les délégations de pouvoir), réaliser des comptes rendus... Bref, l’organisation horizontale doit accompagner un effort de formation permanente de touTEs afin d’avoir une réelle autogestion des luttes, des actions, des mots d’ordre. Sur le papier, cela peut paraître évident, mais au coeur de l’action, on a parfois tendance à se prendre au jeu d’une fausse efficacité dans laquelle les militantEs des structures partidaires, syndicales... se sentent comme des poissons dans l’eau, anarchistes compris parfois.

Qui plus est, comme on l’a vu lors du mouvement de mai-juin 2003, nous ne pouvons nous satisfaire d’une auto-organisation locale, laissant aux seules structures classiques (et à leur direction) le contrôle des échelons supérieurs. Dans ce mouvement d’auto-organisation à toutes les échelles, la coordination des militantEs anarchistes peut être extrêmement intéressante du moment qu’elle n’est pas une forme d’entrisme ou de volonté de prise de contrôle du mouvement.

Pour l’unité et pour l’extension du champ d’action

Tout le monde parle de convergence des luttes, d’autant plus nécessaire que l’éparpillement des mouvements de résistances renforce la division des classes exploitées, mais jusqu’à présent force est de constater que nous ne la voyons pas. Là encore, la coordination des militantEs anarchistes peut permettre d’avancer d’autant que les directions des grosses centrales syndicales freinent des quatre fers. Les dimensions interprofessionnelles et intercatégorielles, la précarité polymorphe sont pour nous des éléments évidents du monde capitaliste, nous ne pouvons donc en écarter aucun.

Au-delà des convergences interprofessionnelles, l’un des rôles des anarchistes est peut-être d’ouvrir le champ syndical. En effet, nous avons toujours refusé la hiérarchisation des luttes ainsi qu’une lecture monolithique de l’exploitation. Loin de réduire l’exploitation à une superstructure économique, nous sommes convaincuEs que les différentes formes de domination (économique, sexuelle, étatique, raciale...) ne font que renforcer les dominantEs. C’est la prise en compte globale de toutes ces formes d’oppression et de leurs interactions puis la volonté de toutes les renverser qui permettra véritablement l’émancipation des classes exploitées. Sans cet effort de pensée globalisante, les élites pourront facilement jouer sur nos divisions.

Révolution sociale et autogestion !

Cela étant posé, seule une rupture révolutionnaire permettra de d’en finir avec ce système d’exploitation tentaculaire. Nos luttes quotidiennes doivent être perçues comme un moyen d’améliorer notre existence mais aussi comme un travail de préparation pour une rupture radicale, tant dans les modalités que dans les principes. Travailler et étendre les combats d’aujourd’hui, c’est donc bien préparer une révolution libertaire (non autoritaire) dans le but d’établir l’égalité économique et sociale avec comme outil, la grève générale expropriatrice.