Accueil > archéologie:alternataire > La Sociale (2002-2012) > 13 (fevrier 2004) > Italie 2004 : le nouveau visage de la contre révolution préventive

Italie 2004 : le nouveau visage de la contre révolution préventive

mardi 24 février 2004


En 1921, l’anarchiste italien Luigi FABBRI écrivait dans La Contre Révolution Préventive : "La bourgeoisie n’a pas réussi à affaiblir le prolétariat par le moyen indirect de la guerre (...) mais se promet d’y réussir maintenant par la triple action combinée de la violence illégale fasciste, de la répression légale gouvernementale, et de la pression économique due au chômage, en partie inévitable mais en partie provoquée délibérément pour passer la corde au cou des ouvriers."

Un spectre hante l’Italie de Berlusconi : l’Anarchisme. Dans un contexte de radicalisation des luttes sociales, les chiens de garde de la bourgeoisie, médias et forces répressives, n’ont cessé ces derniers mois de hurler contre la menace "anarcho-insurrectionnaliste". A l’origine de leur émoi, une série de lettres piégées envoyées à une poignée d’EuroTechnocrates tel Romano Prodi (président de la Commission Européenne) ainsi que quelques poubelles incendiées devant des lieux symboliques. Avec la diligence toute particulière d’un corps rompu aux pires manipulations, la police a rapidement identifié les "responsables" de cette série de pétards mouillés non meurtriers : une mystérieuse "Fédération Anarchiste Informelle" dont le sigle est par malsaine coïncidence (?) le même que celui de notre homologue la Fédération Anarchiste Italienne. Que cette "F.A.Informelle" soit un montage des services spéciaux ou non, le résultat est le même : désigner à la repression des camarades qui sont des protagonistes activEs du mouvement social. "Gratuit ou rétribué, c’est un sale boulot.", un boulot de flic ou de collabo...

L’Italie a souvent été par le passé un laboratoire pour toutes les formes de manipulation, intimidation, provocation, répression et terrorisme d’Etat. Dans les années 1970, appliquant la "stratégie de la tension" mise au point conjointement entre services secrets italiens et américains (OTAN oblige), le gouvernement italien réprima avec la plus grande férocité un puissant et autonome mouvement de contestation sociale. L’opération "Gladio" qui comportait l’infiltration des groupes de gauches par des fascistes et une campagne d’attentats poussa le mouvement social à l’autodéfense, entraînant une fraction de celui-ci vers le terrain d’affrontement choisi par l’Etat : la lutte armée. Ainsi le Ministère de l’Intérieur reconnaît maintenant que 65% des actes de violence imputés entre 1969 (Piazza Fontana de Milan, 16 morts) et 1980 (Gare de Bologne à Rome, 81 morts) aux anarchistes et à l’extême-gauche étaient le fait de groupuscules fascistes. Mais à l’époque, ils servirent surtout de prétexte à une criminalisation massive du mouvement social : rafles, perquisitions et lois répressive d’urgence (comme le principe de "contiguïté" permettant d’accuser toute personne liée à un groupe supposé "violent" de "terrorisme" et "insurrection armée contre l’Etat")... 24 000 militantEs furent emprisonnéEs, 60 000 soumisES à des procédures judiciaires.

Il n’est pas étonnant que les anarchistes aient été accusés à tort des attentats de 1969 et 1980. Suivant les déclarations d’un repenti néo-fasciste employé à l’époque par les services secrets : "On me faisait clairement entendre que les anarchistes n’avaient rien à voir et qu’ils avaient été pris comme boucs émissaires de cette situation grâce au fait que par leurs antécédents de jeteurs de bombes, une accusation de ce genre serait crédible, mais qu’en réalité les attentats de Milan et Rome avaient été pensés et commissionnés en haut lieu". Mais l’Etat n’hésitera pas à étendre le sort qu’il réserve à ses plus irréductibles ennemis à quiconque voudrait s’opposer aux intérêts de la classe dominante, comme le montre la sauvagerie qu’il a déployée lors des manifestations de Gênes en 2001. Confronté à nouveau à un mouvement social qui a pu régulièrement mobiliser ces dernières années plus d’un million de personnes dans les rues contre sa politique et qui n’hésite plus à se passer des syndicats cogestionnaires et à renouer avec la pratique de la grève "sauvage", le gouvernement Berlusconi montre les dents. Qui croit-il impressionner ?