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Queen Mary II

Vivement le naufrage !

jeudi 25 décembre 2003


Le 15 novembre dernier, la chute d’une passerelle d’accès au Queen Mary 2 (QM2) a entraîné la mort de 15 personnes et blessé 28 autres. Les victimes sont des membres de familles de salarié-e-s des Chantiers de l’Atlantique venu-e-s visiter le paquebot, ainsi que des employé-e-s d’une entreprise de nettoyage.

La passerelle incriminée avait été installée la veille en remplacement d’une autre jugée trop étroite. Le choc émotionnel secoue toute la ville, du moins c’est ce qu’on veut nous faire croire. Car tout est rapidement entrepris pour faire passer la pilule. Le maire de Saint-Nazaire (Batteux, MDC), après s’être montré en pleurs à la télé, s’empresse de relativiser l’affaire en adressant une lettre ouverte à la presse dans laquelle il demande de ne pas « accabler » la construction navale, soulignant que les Chantiers « sont l’outil de travail et parfois la raison d’être de plusieurs dizaines de milliers de personnes ». Ouest-France n’en demandait pas tant. Le procureur, après avoir annoncé qu’il n’avait « pas de version définitive du déroulement des faits », s’empresse de préciser que les éléments de la passerelle effondrée restés au fond de la cale sèche devront être déplacés au plus vite « pour permettre la reprise de la construction du navire ».

Les intérêts des victimes passeront donc derrière l’impérieuse nécessité de finir le paquebot à temps. Il ne faudrait quand même pas que le baptême du navire par Elizabeth II, prévu le 8 janvier, soit retardé pour une malheureuse chute de passerelle.

Difficile quand même de fermer sa gueule quand on connaît les conditions dans lesquelles se déroule ce fameux chantier du QM2. Alstom Marine a mis en place un système que ses dirigeant-e-s qualifient eux-mêmes de « montage exotique » (c’est peu dire du fond colonialiste et raciste qui les anime).

Les principes en sont simples : disséminer les travailleurs-euses au sein de multiples soustraitants (plus de 800) afin de pouvoir marchander les conditions de travail et éviter la composition d’un véritable corps social ; recourir à des salarié-e-s expatrié-e-s afin de diminuer le coût du travail (plusieurs nationalités font 60 h par semaine) ; utiliser au maximum les contrats précaires et notamment le contrat de chantier qui consiste à précariser encore plus le-la salarié-e avec un contrat sans terme précis ni indemnité de précarité, le patron pouvant s’en défaire comme bon lui semble.

Côté conditions de travail, les chiffres parlent d’eux-mêmes : 19 650 passages à l’infirmerie en 2001, deux morts en 2000. En
août dernier, prés de 500 salarié-e-s se mettent en grève pour obtenir les salaires impayés et le remboursement de la caution de 600 euros qu’ils ont dû payer pour venir travailler en France. Après plusieurs jours de grève, ils et elles obtiennent 3 200 euros de la main à la main « en acompte sur l’ensemble des sommes dues ».

La construction du Queen Mary II, le plus grand bateau civil jamais construit, est une illustration de la mondialisation capitaliste et d’une forme d’esclavage moderne : des travailleurs pauvres des pays de l’Est et du Sud construisent un bateau qui profitera pour l’essentiel à des personnes riches des pays du Nord.

Quand on voit comment Alstom et sa horde de sous-traitants traitent leurs employé-e-s, on ne s’étonne plus vraiment, ni du peu d’attention portée à l’installation de cette passerelle, ni de la précipitation dans laquelle cette installation est survenue. Il n’aurait quand même pas fallu que cette vulgaire passerelle, destinée aux familles des employé-e-s des chantiers en visite le week-end, coûte trop cher. Comment imaginer que les dirigeant-e-s de ces sociétés qui traitent tous les jours de la semaine leurs employé-e-s comme de la merde, agissent autrement le week-end ? L’affaire est désormais dans les mains de la justice bourgeoise et autres experts en assurance. Nul doute qu’ils trouveront une explication, un regrettable accident que personne ne pouvait prévoir, ou désigneront un coupable si ça les arrange, l’installateur de la passerelle, un sous-traitant en faillite. Nul doute aussi que les dirigeante-s d’Alstom et consorts pourront continuer leur entreprise d’exploitation tranquille. Au lendemain de l’accident, ils n’ont d’ailleurs pas hésité à annoncer que la journée de deuil observée sur le chantier, sera retenue sur le salaire des employé-e-s. Nul doute aussi que les ventripotent-e-s bourgeois-es qui embarqueront sur le QM2, auront droit à une passerelle plus solide.