Accueil > archéologie:alternataire > La Sociale (2002-2012) > 11 (décembre 2003) > Ni école de flics, ni école de patrons !

Ni école de flics, ni école de patrons !

démocratie directe, autogestion !

jeudi 25 décembre 2003


Depuis longtemps nos dirigeants rêvent de faire de l’argent avec le savoir. C’est même l’objet principal des réformes de l’université engagées depuis quelques années. Dès 92, le traité de Maastricht stipulait : « Une université ouverte est une entreprise industrielle […] Cette entreprise doit vendre ses produits sur le marché de l’enseignement continu que régit la loi de l’offre et de la demande. »

En 97, le ministre socialiste Claude Allègre, fasciné par le modèle américain, lançait son plan U3M, qui ouvrait la voie à la mainmise du MEDEF sur le contenu des enseignements. Lang a enchaîné sous prétexte d’« harmonisation » des diplômes au niveau européen (réforme LMD). Une réforme reprise par son dauphin Luc Ferry, agrémentée d’une remise en cause supplémentaire du service public à travers le triptyque « décentralisation - régionalisation - autonomie » : le projet de « loi de modernisation » des universités.

Quelle(s) réforme(s) ?

Fin des DEUG et maîtrises (reconnus dans les conventions collectives, ils garantissent un certain niveau de salaire à la sortie de la formation), renforcement de la sélection, suppression d’acquis comme les sessions de rattrapage ou la compensation des points, réduction des temps d’enseignement, mise en concurrence des contenus d’enseignement entre les facs. Dans tous les pays européens où elle s’applique, la réforme LMD/ECTS répond aux mêmes impératifs économiques : ceux du patronat.

Et cette « mobilité européenne » tant vantée par le ministère, les étudiant-e-s la paieront au prix fort, tant en termes financiers qu’en termes de valeur des formations. Mais avec la « loi de modernisation » de l’université, collectivités et patronat locaux pèseront enfin de tout leur poids dans la définition du contenu des diplômes, tandis que la gestion décentralisée des universités selon les critères en vogue (précarité et flexibilité) permettra de faire du savoir une marchandise rentable.

De l’autogestion de la lutte…

Échaudé en mai-juin 2003, le gouvernement C-R-S avait repoussé cette dernière réforme à la rentrée. Aujourd’hui il la reporte à nouveau, le temps d’asseoir la réforme LMD/ECTS. Depuis fin novembre à Lille, la riposte s’organise, avec des pratiques encourageantes et d’autres plus critiquables.

L’organisation du mouvement sur Lille repose surtout sur l’AG des étudiant-e-s, qui lutte en essayant de mettre en place des pratiques autogestionnaires : indépendance vis-à-vis des syndicats, décisions collectives, mandatements révocables, commissions de travail.

C’est encourageant. Mais nous ne pouvons que souligner les limites actuelles du mouvement :
 En posant la question de l’engagement dans un mouvement autogéré : encore trop d’étudiant-e-s cèdent à la tentation de se laisser diriger par certains « leaders » qui ne rechignent pas à endosser ce rôle. Si la pratique autogestionnaire permet aux étudiant-e-s en lutte de décider et d’être acteur et actrices de leur combat, elle doit faire l’objet d’un apprentissage.
 En s’interrogeant sur la contradiction entre libre association et intérêts de clans : avec les élections universitaires et les régionales en ligne de mire, la « lutte élective » est toujours sous-jacente pour les militant-e-s des syndicats qui y prennent part ou qui servent de courroie de transmission aux partis de gouvernement.
 En soulignant que les AG souveraines ne sont pas des pratiques faciles à mettre en place. La lutte qui repose sur des principes de démocratie directe suppose un accord sur l’emploi des mots utilisés. Mandater une personne ne signifie pas voter pour une délégation avec principe de confiance, mais bien s’interroger ou débattre sur la nature même de ces mandats. Il ne s’agit pas de donner un blanc-seing à une personne mais de fixer collectivement un contenu technique, donc politique, aux mandats. On passe en toute logique au mandat impératif, par nature indépassable et empêchant toute dérive.
 En mettant en question les problèmes d’unité d’action et des actions autonomes. Dans quelle mesure l’action d’un groupe va-t-elle à l’encontre du mouvement ? Le préalable indispensable est dans le débat au sein de l’AG. Mais si un vote ou un consensus n’est pas trouvé, qu’est-ce qui empêche un groupe d’agir sur une action précise, en revendiquant cette action en son nom et non pour l’AG ? Si cette action ne va pas à l’encontre du collectif et ne le met pas en danger, où est le problème ? Tout cela pose les questions d’une AG comme instance exécutive, mais aussi la position de consensus sur la stratégie de l’AG quant à ses modes d’actions.
 Enfin, si ce mouvement veut vivre, les étudiant-e-s doivent-ils rester sur des revendications corporatistes ? Les projets de réformes participent d’un projet de société clairement affiché par les derniers gouvernements au pouvoir : précarisation des conditions de vie, individualisation toujours plus forcée, marchandisation des services publics, soumission de classe aux intérêts patronaux, hiérarchisation plus forte des relations humaines, autoritarisme des décisions… La réponse est difficile à trouver : comment expliquer par exemple que le débat sur les caméras de vidéo-surveillance à la fac soit systématiquement rejeté ?

Si la lutte actuelle en réaction à l’attaque libérale que représente le LMD est estimable, il n’est pas question pour autant de défendre le système universitaire actuel : la réforme qui se met en place n’est pas révolutionnaire, mais amplifie ce qui est déjà en place : reproduction sociale accrue, renforcement des inégalités…

…à l’autogestion de nos formations et de nos vies

Sous couvert de défendre le cadrage national des diplômes en refusant « l’autonomie » des universités à la sauce Raffarin, ne peut-on envisager comme seul solution qu’un modèle au mieux social-démocrate, au pire stalinien, qui confie aux bureaucrates des ministères le soin de veiller sur notre avenir ? Doit-on pour autant rendre toujours plus légitime la place de l’État dans l’éducation ? Car c’est bien l’Etat l’initiateur de ces attaques. C’est bien l’État qui légitime les inégalités sociales « fondées sur l’utilité commune » (DDHC).

Il est temps de poser la question de l’autogestion, qui est aussi celle de l’égalité économique et sociale des personnels, comme des étudiant-e-s. Sans elle, la démocratie directe n’est qu’une fiction au service du « nouveau capitalisme ». C’est aussi celle de l’égal accès à l’éducation, de la fin des hiérarchies basées sur le savoir et de la prise en main collective de leur formation par les étudiant-e-s : cela n’a rien à voir avec les instances représentatives des universités (CA, CEVU.), simples caisses d’enregistrement des décisions hiérarchiques des ministères.