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« Un Troussage de domestique », quand les dominants volent aux secours des dominants

mercredi 15 février 2012


Paru en septembre 2011 et coordonné par Christine Delphy [1], le recueil de textes Un Troussage de domestique constitue une riposte féministe face aux solidarités qui se sont exprimées en faveur de Dominique Strauss-Kahn suite à son arrestation le 14 mai 2011 et son inculpation pour agression sexuelle : solidarités des hommes avec les hommes, des riches avec les riches et des blancs avec les blancs.

L’ « affaire » permet de réaliser un état des lieux du traitement des violences masculines dans la société française, et met ainsi en évidence les mécanismes qui favorisent ces violence.

Les réactions et comportements exprimés par les soutiens de DSK s’apparentent au processus de double-viol. La requalification, la confusion entre le viol et l’aventure extra-conjugale a été abondamment entretenue dans les médias, ce qui a pour effet de gommer l’agression, le rapport de domination, la prise de pouvoir, et donc de minimiser la gravité des faits (comme le dit Jack Lang, « il n’y a pas mort d’homme »). Cela relève du libertinage, DSK n’est pas un violeur mais un séducteur. Et cela permet aux soutiens de parler d’atteinte à la vie privée. En serait-il de même pour un meurtre ?

Dans un premier temps, toute l’attention est focalisée sur l’agresseur : le drame, la « mise à mort médiatique » (Robert Badinter), son destin de présidentiable qui tombe à l’eau, sa vie qui bascule, sa mine déconfite devant les caméras lorsqu’il est transféré menotté après sa garde-à-vue.

Puis l’attention se porte sur la personne agressée, qui est totalement décrédibilisée : elle ment, elle a eu une hallucination, de toute façon c’est mon ami, je le connais et il est incapable de faire ça, elle est trop moche (donc pourquoi elle) ou trop belle (donc elle l’a provoqué), elle est manipulée, c’est un complot...

Cette différence de traitement entre l’agresseur et l’agressée dénote un parti pris évident : compassion pour lui, suspicion pour elle. Toutes les excuses sont bonnes à dire, de la pulsion (les hommes seraient incapables de se contrôler, et donc pas responsables de leurs actes) au vieux cliché du viol commis exclusivement par un inconnu armé dans un parking (alors que les viols sont majoritairement commis par des proches).

Ce qui transparaît aussi dans l’ « affaire DSK », c’est le déni manifeste de la transversalité des violences sexistes dans la société française : autrement dit, elles sont présentes dans tous les milieux sociaux, de la bourgeoisie aux classes populaires, à égale mesure. Ce qui est différent, c’est que dans les classes supérieures l’omerta règne vis-à-vis de ces violences (il est plus difficile de faire sortir la parole) et que les violeurs manient le droit, ont de l’argent et peuvent se payer un « bon » avocat. En masquant cette réalité, le but est d’imputer les violences sexistes aux habitants des quartiers populaires et aux personnes racisées.
Quant aux patrons de grandes institutions internationales, ils méritent un traitement de faveur : le philosphe-justicier-superhéros Bernard Henry-Lévy déclare « J’en veux, ce matin, au juge américain qui, en le livrant à la foule des chasseurs d’images qui attendaient devant le commissariat de Harlem, a fait semblant de penser qu’il était un justiciable comme un autre » et Sylvie Pierre-Brossolette, directrice adjointe de la rédaction du Point écrit que DSK n’est « pas mieux traité que les malfrats de couleur déférés avant et après lui devant le juge ».

Les représentants de l’État ont beau clamer sur tous les toits leur attachement à l’égalité hommes/femmes, il n’y a guère que les militantes féministes qui ont une réelle volonté de lutter contre les violences sexistes : comme le rappelle Christelle Hamel [2] dans son texte, sans elles, il n’y aurait même pas de données statistiques permettant de mesurer la gravité de la situation, ce qui traduit une volonté de ne pas voir, de ne pas savoir, de ne pas agir contre ces violences. En raison de ce laisser faire, le viol demeure un élément de la culture française : la société française est une société pro-viol. Et le déferlement de propos abjects qui ont accompagné l’ « affaire DSK » s’inscrit dans cette logique.

Notes

[1Christine Delphy a participé en 1968 à la construction de l’un des groupes fondateurs du Mouvement de Libération des Femmes. Elle a publié L’Ennemi principal (Syllepse) et Un universalisme si particulier (Syllepse).

[2Christelle Hamel est sociologue, chargée de recherche à l’Institut national d’études démographiques, Unité de recherche « Genre, démographie et société ».