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Islamophobie : la logique du bouc-émissaire

jeudi 30 juin 2011


La loi française sur les signes religieux dans les écoles publiques, plus connue sous l’appellation officieuse de loi sur le voile car c’était clairement le seul signe religieux dans la ligne de mire de l’État, a été votée en 2004, suite à plusieurs « affaires du voile » ultramédiatisées depuis la fin des années 80. Les deux principaux arguments en faveur de l’interdiction du voile à l’école étaient que « c’est un symbole de l’oppression des femmes » et que « c’est du prosélytisme religieux » (autrement dit le fait de vouloir rallier une personne à une croyance). Ce discours a été repris jusque dans les milieux libertaires et d’extrême-gauche, sans que soit questionnée sa pertinence et sans que l’on demande leur avis aux principales intéressées : au nom de l’athéisme et de la lutte contre le patriarcat, la répression de l’État qui impose à des jeunes filles le dévoilement ou l’exclusion de l’établissement est légitimée. Dommage, car ce racisme masqué derrière la critique religieuse bat actuellement son plein.

Les répercussions actuelles de la loi sur le voile

La loi de 2004 n’est qu’une étape de plus dans la stigmatisation des musulmanEs. Ses répercussions se multiplient. Tout d’abord à travers la loi « interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public », qui ne visait dans les faits que le port de la burqa et du niqab et qui est entrée en vigueur en avril 2011. La priorité du gouvernement est clairement établie : empêcher quelques femmes de se promener dans la rue.

Durant la même période, en Seine-Saint-Denis, des lycéennes sont convoquées par la direction de leur établissement pour port de robe longue unie, considérée comme un signe religieux. Elles ne sont pas choisies au hasard : toutes portent le voile en dehors du lycée. Elles sont menacées de sanction si elles ne se mettent pas à porter jeans et T-shirts, « comme tout le monde »...

Le ministre de l’éducation enfonce le clou en voulant interdire par décret aux mères portant le voile l’accompagnement des sorties scolaires (cela se produit dans certains établissements depuis 2004).

Et tout ceci au nom de la laïcité, qui devient synonyme de neutralité des personnes dans les lieux publics. Ce mot a pourtant une signification bien différente.

La laïcité, nouvelle religion d’État

Le terme de laïcité apparaît dans la loi de 1905 qui instaure la séparation des Églises et de l’État, c’est-à-dire que l’État ne doit pas interférer dans la pratique ou l’expression d’une religion d’une part, et que les religions ne doivent pas interférer dans la vie politique d’autre part. Or actuellement l’État ne cesse d’interférer dans la pratique de l’islam, à travers le port du voile, par la création du Conseil français du culte musulman (CFCM) initié par Chevènement, ou lorsque le parti au pouvoir décide de faire un débat sur la laïcité qui se focalise une fois de plus uniquement sur la religion musulmane...

La neutralité de l’espace public glisse vers la neutralité du public : la pratique religieuse doit se vivre dans les lieux de culte ou chez soi.

La laïcité serait donc l’instauration de l’athéisme, l’absence de religion ? C’est négliger le pouvoir de nuisance de la religion catholique et son imbrication dans la vie politique : les valeurs périmées de cette religion s’y épanouissent. Un parti chrétien-démocrate a été fondé par Boutin en 2001. L’UMP fait partie d’un regroupement de partis de la démocratie chrétienne au parlement européen. Sarkozy fait le signe de croix devant les caméras, il est chanoine de Latran et ne perd pas une occasion de rappeler son attachement à l’héritage chrétien. Les lobbies familiaux traditionalistes et les groupes de cathos intégristes sont influents. Pas étonnant dans ce contexte que l’euthanasie ou le mariage homosexuel ne soient pas acquis !

Instrumentalisation du féminisme

Quand la classe dirigeante, quasi-exclusivement masculine, blanche, hétérosexuelle et bourgeoise, décide de combattre le sexisme, quelle est sa priorité ? Les 75 000 viols par an déclarés (donc en réalité bien plus) et toute la culture qui les favorise comme le publisexisme (le corps des femmes comme objet de consommation) ? Le fait qu’une femme meurt tous les 3 jours des coups de son mari ou compagnon ? L’inégale rémunération salariale et les temps partiels bien plus fréquents ? L’inégale répartition des tâches ménagères ? L’injonction à la maternité ? L’assignation à un rôle social différencié selon l’emplacement des organes génitaux à la naissance ? Une éducation sexuelle centrée sur la sacro-sainte pénétration vaginale ? La concentration des pouvoirs politiques, économiques, industriels dans les mains des hommes ?

Non, la seule préoccupation de la classe dirigeante, c’est le symbole de l’oppression des femmes qu’est censé constituer le voile. Ce paternalisme, le « je sais mieux que toi ce qui est bon pour toi » vise l’émancipation de force, et pourtant les raisons du port du voile sont en réalité multiples et vont au-delà du sexisme. Mais les femmes qui le portent sont totalement écartées du débat et invisibilisées.

L’État veut dicter la manière dont les femmes doivent s’habiller, pourtant la société du « sois belle et tais-toi » est mal placée pour faire des leçons de morale : contrairement à ce que le discours dominant nous assène, le sexisme traverse tous les milieux sociaux, il n’est pas réservé aux mecs racisés vivant dans les quartiers populaires.

À travers cette idée que le sexisme vient de « l’autre », de « l’extérieur », c’est la parole raciste qui se libère.

Relents colonialistes

Il y a donc toute une série de lois et de dispositifs qui visent exclusivement les musulmanEs. À cela s’ajoute une série d’amalgames grossiers, en premier lieu entre Arabes et musulmanEs (un sondage récent parle même « d’origine musulmane » ce qui ne veut absolument rien dire), mais aussi dans la manière dont sont occultées les diversités dans la pratique de l’islam. Les médias dominants et les partis politiques ne se privent pas pour alimenter la méfiance envers les musulmanEs lorsque sont évoqués le 11 septembre ou les régimes théocratiques iranien ou saoudien !

Cette situation rappelle le code de l’indigénat dans les colonies françaises, qui octroyait un statut légal inférieur aux populations colonisées. Et tout comme le racisme légitimait la colonisation, il permet de définir un peuple de deuxième classe ou caste qui va subir toute une série de discriminations et d’oppressions liées à l’origine pour le maintien d’un statut inférieur : accès au logement, à l’emploi, à l’éducation, violences policières quotidiennes, mesures d’exception... Et bien sûr l’État et le capitalisme tirent des bénéfices de cette situation.

Comment, au vu de la situation actuelle, articuler la lutte contre le racisme ? Il faut s’attaquer à l’universalisme, ce mythe républicain qui impose des règles communes au nom de l’égalité alors qu’elles bénéficient toujours aux dominants. Une réelle prise en compte des oppressions spécifiques est nécessaire, ainsi que le soutien des luttes autonomes des personnes racisées et la reconnaissance des privilèges des blancHEs, sans tomber dans la culpabilisation. Aucune lutte ne doit primer sur les autres, pas même celle contre le capitalisme : comme le dit Audre Lorde, « personne n’est libre tant que d’autres personnes sont opprimées ».