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LOPPSI 2 : du sécuritaire à la louche

lundi 21 février 2011


Votée en deuxième lecture à l’Assemblée nationale le 21
décembre dernier, le projet de Loi sur l’Orientation et la Programmation
pour la Performance de la Sécurité Intérieure (LOPPSI 2)
s’apparente à première vue à un fourre-tout de mesures plus répressives
les unes que les autres. A bien y regarder on y décèle
pourtant trois principaux axes d’intervention, soit : une intensification
de la lutte menée contre les pauvres et les marginaux, le
recours à un arsenal technique toujours plus poussé de surveillance
et de fichage de la population, ainsi que l’accroissement
des pouvoirs de police cristallisé dans de nouvelles prérogatives
préfectorales. Petit passage en revue.

La guerre de classes a toujours lieu

En préparation
depuis plus d’un
an et demi [1], la loi
LOPPSI2 s’est vue
constamment augmentée
de mesures
inspirées par l’actualité
et l’instrumentalisation
de
quelques faits divers.
Parmi les
amendements ajoutés en cours de route, l’article 32 ter A, rajouté
début septembre 2010, s’attaque de manière frontale à tou-tes les
mal-logé-es. On se rappellera qu’au mois de juillet, la gendarmerie
de Saint-Aignan dans le Loir-et-Cher, avait été attaquée par
une cinquantaine de Gens du voyage après que l’un d’entre eux
ait été tué par un gendarme. Dans la foulée, Hortefeux ordonnait
l’expulsion de 600 terrains jugés "illicites". Cette mesure de police
exceptionnelle (et non exempte de quelques relents racistes)
se voit aujourd’hui formalisée dans un texte de loi dont la portée
dépasse le seul cas des campements de Roms. Grâce à la LOPPSI
2, le préfet de police pourra désormais délivrer des injonctions à
quitter tout type d’habitat ou de terrain qui porterait "atteinte à la
salubrité, à la sécurité ou à la tranquillité publiques" et ce, dans
un délai expéditif de 48 heures. Si cette mise en demeure n’est
pas suivie d’effet, le préfet pourra procéder à l’évacuation forcée
des lieux et demander au président du Tribunal de Grande
Instance (TGI) de l’autoriser à faire détruire les constructions illicites
et les effets personnels s’y trouvant.

Roms, gens du voyage, squatteur-ses, habitant-es de bidonvilles, de cabanes, de maisons
sans permis de construire, tou-tes sont visé-
es. Cette mesure passe outre les
protections juridiques qui entourent ce qu’il
reste du droit au logement : protection par le
juge du domicile, trêve hivernale, dispositifs
de relogement, délais et procédures d’exécution.
En l’espace de deux jours, ce sera le bulldozer
et la rue. Et alors que la spéculation
immobilière continue de faire flamber les
loyers dans toutes les villes de France et de
nourrir grassement la clique des rentier-e-s,
les mal-logés-e- sont quant à elleux sommé-e-s
de demeurer invisibles sous peine de se faire
tomber dessus par les voyous assermentés.
Pour le reste, la LOPPSI 2 crée également un
délit de vente à la sauvette, délit passible de 6
mois d’emprisonnement et de 3750 euros
d’amendes. Et la délinquance en col blanc ?
Celle qui détourne des millions et fout des
milliers de personnes au chômage ? Elle se
porte bien, merci.

Flicage 2.0

Les nouvelles technologies de communication
et de surveillance ont toujours alimenté
les fantasmes du pouvoir en matière de
régulation et de contrôle des populations. En
témoigne la généralisation des technologies
RFID et de la biométrie par exemple ou encore
les investissements massifs du gouvernement
dans les nanotechnologies. Encore une
fois la LOPPSI 2 entérine toute une batterie
de dispositions dessinant un peu plus nettement
le projet politique de "contrôle tout au
long de la vie" souhaité par les gestionnaires
de toutes couleurs politiques confondues.
Tout d’abord avec la généralisation de la vidéo-
surveillance, que la novlangue politicienne
rebaptise "vidéoprotection" dans le
projet de loi. On le sait, les enjeux sémantiques
revêtent souvent une dimension
symbolique importante. Ici, c’est bien notre
consentement que le gouvernement cherche
implicitement à obtenir en tentant d’introduire
un terme à la connotation bienveillante.
Dans les faits, la LOPPSI 2 rend possible
l’installation de caméras partout dans
l’espace public, et même de manière ad hoc
pour surveiller une manifestation. Dans les
immeubles d’habitation disposant d’un système
de vidéo-surveillance, les gestionnaires
sont autorisés à transmettre leurs images aux
forces de police tandis que les entreprises
peuvent également placer des caméras à
proximité de leurs établissements.

Autre mesure ayant généralement
cristallisé l’attention médiatique, le filtrage et
la surveillance du web. Prétextant comme
toujours la lutte contre la pédo-pornographie [2] ou contre l’épouvantail terroriste, la
LOPPSI 2 instaure un principe de surveillance
du web dont le paramétrage laisse
craindre les pires dérives. Tout d’abord, via la
surveillance des échanges électroniques. Les
agents de police judiciaire pourront désormais
s’infiltrer sur internet et user de pseudonymes
afin d’identifier les auteurs d’incitation
à commettre des crimes ou des délits.
Puisque dans ces catégories des "crimes" et
des "délits" figurent "l’incitation et l’aide au
séjour irrégulier", les réseaux militants d’aide
aux sans-papiers pourraient s’avérer particulièrement
exposés par cette mesure. Par
ailleurs, pour les infractions entrant dans le
champ de la criminalité organisée, le texte
prévoit la possibilité de mettre en place, sur
décision d’un juge d’instruction, "un dispositif
technique ayant pour objet, sans le consentement
des intéressés, d’accéder, en tous lieux, à des données informatiques, de les enregistrer,
de les conserver et les transmettre,
telles qu’elles s’affichent
sur l’écran de l’utilisateur".
Dans ses délires de
flicage les plus fous l’État
libéral révèle sa vraie nature
et s’immisce inlassablement
dans notre
intimité.

D’une manière
générale, avec la LOPPSI
2, les moyens confiés à la
police sont considérablement
augmentés. Outre
les 2,5 milliards d’euros
supplémentaires alloués
au ministère de l’Intérieur,
c’est bien la population toute entière que
l’on tente d’enrôler dans un dispositif de surveillance
où chacun-e devient le flic de l’autre.
En instaurant un "Service civil citoyen" au rôle
et aux prérogatives relativement floues, la
LOPPSI 2 permet à l’honnête citoyen de s’organiser
au sein de petits groupes de délateurs/
ses zélé-e-s prêt-e-s à servir de relais aux
yeux et aux oreilles de la police [3]. Pour le reste,
le préfet de police se voit confier une marge
de manoeuvre importante au détriment de la
capacité d’intervention du pouvoir judiciaire.
En témoigne notamment la possibilité d’instaurer
des mesures de couvre-feu individuelles à
l’égard des moins de 13 ans et ce, sans consultation du juge pour enfants.
La loi instaure également
un contrat de responsabilité parentale,
proposé aux parent-e-s d’un mineur de 13 ans
déjà condamné pour une infraction pénale,
lorsque cette infraction "révèle une carence de
l’autorité parentale". Cette dernière mesure
condense à elle seule tout le dédain de la bourgeoisie pour les classes populaires rendues responsables
du défaut d’intégration à une
société ostensiblement raciste et où les fils et
filles de bourgeois-es font régner leur loi de
génération en génération. Après la guerremenée
à l’encontre des soi-disant "assistés" voici
ressortie l’image du pauvre incapable que
seules des mesures disciplinaires peuvent
venir redresser.

Tout le pouvoir aux keufs

Avec la LOPPSI 2, c’est toute une
conception de la justice qui se dévoile. Tout
d’abord celle d’une justice immémoriale, qui
gardera trace du moindre faux pas de chaque
individu. La LOPPSI 2 propose en effet
d’étendre les possibilités d’inscription d’un-e
individu aux fichiers de police STIC (Système
de Traitement des Infractions Constatées) et
de gendarmerie JUDEX (système JUdiciaire
de Documentation et d’EXploitation) que l’on
soit coupable, témoin ou victime d’un délit. Au delà,
elle prévoit l’interconnexion de ces
fichiers. Tout écart à la norme de vie bourgeoise
(travaille, vote, consomme !) sera alors
compilé ad vitam æternam dans les fichiers
numériques de la maréchaussée. Les requêtes
de rectification ou d’effacement devront être
adressées au procureur de la République mais
aucune mesure ne le contraint réellement à
appliquer ces modifications. Pour rappel, en
décembre 2008, le STIC compilait pas moins
de 38 millions d’infractions concernant 5,5
millions de personnes. D’après le bilan 2009
des vérifications du STIC par la CNIL, seules
20% de ses fiches sont rigoureusement
exactes.

Ensuite, celle d’une justice où ce n’est plus "la faute" qui
est jugée et "payée à la société" mais bien l’individu et son niveau
de "dangerosité" qui sont évalués et soumis à une surveillance
permanente. D’où l’arrivée dans le jargon judiciaire de
tout un éventail de "mesures de sûreté". Dans la LOPPSI 2 ces
dispositifs sont incarnés par des mesures de surveillance judiciaire
(via notamment le recours au bracelet électronique) désormais
applicable, sur décision du juge d’application des
peines, à toute personne en situation de récidive légale ou
condamnée à une peine de prison ferme d’au moins 5 ans
(contre 10 précédemment). Une autre mesure "de sûreté" s’applique
quant à elle de manière automatique à toute personne
condamnée pour meurtre d’une personne dépositaire de l’autorité
publique ; ce sera 30 ans de prison incompressible. Et si
vous avez le malheur de ne pas être français-e, cette peine sera
assortie d’une interdiction de séjour définitive. Cette dernière
mesure, inspirée au chef de l’Etat par les émeutes du mois de
juillet dans le quartier de la Villeneuve à Grenoble, consacre la
dernière face de la justice de demain : une justice à deux vitesses,
lorsqu’il s’agit de l’autorité l’Etat. D’un côté, impitoyable
avec ceux et celles défiant sa toute-puissance, de l’autre,
tendre, voir complaisante avec les méfaits de ses agents. Ainsi,
la LOPPSI 2 prévoit un régime d’impunité judiciaire pour les
agents de renseignement tout en réprimant toute révélation,
même involontaire, d’une information pouvant conduire à la découverte
de leur identité réelle. Quid des stratégies de défense
collective contre l’arbitraire et l’infiltration policière ? Pas de
doute, que ce soit en légiférant sur des espaces d’expression et
de coordination comme Internet, ou sur des pratiques de résistances
collectives (occupation d’habitats, copwatching etc.) la
LOPPSI 2 tente de nous désarmer. Ne nous laissons pas faire.

Notes

[1Sa première présentation en Conseil des ministres date de mai 2009, à
l’époque où Alliot-Marie était ministre de l’intérieur.

[2Bien pratique, serions-nous tenté-e-s de dire, pour maquiller ses intentions
réelles.

[3Encore une fois, la LOPPSI 2 ne fait que généraliser et officialiser sur tout le
territoire un dispositif déjà existant dans plusieurs villes et à Lille notamment.