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Le Féminisme matérialiste

lundi 21 février 2011


Pour commencer, revenons sur quelques
notions :
Parler distinctement de genre et de sexe
vise à saper les évidences naturalistes bien
ancrées dans nos cultures autour de ces notions.
Ainsi, un des objectifs de l’utilisation du mot
"genre" est la mise en lumière du caractère
socialement construit d’un certain nombre
d’attributs et de comportements psycho-sociaux
attachés traditionnellement à
l’appartenance à un "sexe
biologique". Ce changement
sémantique et conceptuel est le
résultat de nombreux travaux
de recherches de et de
conceptualisation menés par
des féministes.

Cette question de
l’origine biologique ou
socialement construite des
différences entre hommes et
femmes constitue un sujet de
polémiques chez les féministes. Elle
représente la ligne de fracture entre
les féministes dites "essentialistes" et
celles qui se revendiquent "matérialistes".

Nous ne nous attarderons pas
beaucoup sur les premières qui sont les tenantes
de la position du "respect de la différence" et
qui luttent pour un respect égal des attributs,
traits de caractère,préférences,tâches et goûts
spécifiquement et par "essence" féminins (qui
sont, il est vrai, plutôt stigmatisés, méprisés,
dévalorisés et invisibilisés dans la culture
patriarcale).

Dans la deuxième approche, les
féministes matérialistes refusent justement
cette assignation au féminin. Ainsi, il n’est plus
question de valoriser les caractéristiques
naturelles attachées aux êtres féminins mais de
montrer que c’est la mise en place de deux
catégories (femme et homme) qui pose
problème et qui constitue une domination.

Dans la lignée de Christine Delphy, les
féministes matérialistes combattent l’idée qu’une
différence "naturelle" entraînerait la division de
l’humanité en deux sexes et donc deux genres, dont
l’un dominerait l’autre. En se demandant pourquoi
le sexe (plutôt que la couleur des yeux par exemple)
devrait donner lieu à une classification quelconque,
elles aboutissent à la conclusion que c’est en même
temps et dans un même mouvement que se crée la
division sociale (les catégories d’homme et de
femme) et son caractère hiérarchique : le genre des
"hommes" domine le genre des "femmes".

Les féministes matérialistes s’appuient
sur la méthode marxiste qui étudie les
rapports matériels d’exploitation et
leur justification idéologique.
L’idée étant aussi de démontrer
que le patriarcat est un
système autonome de
domination et d’exploitation
et d’inscrire la lutte féministe
dans une optique de classes
afin de contrer la vieille
rhétorique de la gauche et de sa
primauté de la lutte des classe socio-économique.
Différents ouvrages des
féministes matérialistes explorent
donc, les dispositions matérielles et
quantifiables du système de domination
patriarcale.

Il existe bien sûr d’autres courants de pensée féministe qui mériteraient un autre article et que nous aborderons certainement dans un autre numéro.

Quelques ouvrages de référence

— Christine Delphy, L’Ennemi principal, tome 1 : économie politique du patriarcat.
— Christine Delphy, L’Ennemi principal, tome 2 : penser le genre. Syllepse.
— Elena Gianini Belotti, Du côté des petites filles. Éditions Des femmes.
— Monique Wittig, La Pensée straight. Amsterdam.
— Paola Tabet, La Construction sociale de l’inégalité des sexes : des outils et des corps. L’Harmattan
— Colette Guillaumin, Sexe, race et pratique du pouvoir : l’idée de nature. Côté-femmes.
— Nicole-Claude Mathieu, L’Anatomie politique : catégorisations et idéologies du sexe. Côté-femmes.