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L’école : une nouvelle entreprise ?

lundi 21 février 2011


La réforme des stagiaires

Cette réforme s’est mise en place à la
rentrée 2010. L’année de stage pour les jeunes
enseignantEs est une année intermédiaire
entre l’obtention du concours (CAPES, Agrégation,
CAPLP...) et la titularisation décidée par
le rectorat qui vient clore une année durant laquelle
le/la stagiaire est toujours jugéE, évaluéE
et en sursis. Jusque-là, cette année de
stage procurait un double statut au/à la stagiaire,
à la fois professeurE et élève, qui partageait
son temps de travail hebdomadaire
entre 6h à 9h de prise en charge effective de
classes et deux journées banalisées de stage à
l’IUFM pour parler de pédagogie mais aussi
surtout pour se retrouver entre stagiaires et
échanger ses expériences.

Depuis septembre 2010, les enseignantEs
stagiaires font un service complet de
18h et n’ont plus de formation hebdomadaire,
l’IUFM ayant disparu, mais ont deux semaines
de formation massées sur l’année, une au
mois d’octobre, l’autre au mois de juin. Ce
sont des TZR (Titulaire en Zone de Remplacement)
qui sont désignéEs arbitrairement pour
remplacer les enseignantEs stagiaires durant
leur formation. Cette réforme fonctionne donc
en trinôme : le/la stagiaire, le/la tuteur-rice et
le/la TZR qui est censéE être au service ce de
la formation et donc être "corvéable". Les
membres de ce trinôme subissent d’une
manière ou d’une autre les effets néfastes de
cette réforme encore une fois décidée par le
haut sans concertation des acteurs-rices
principales-aux de l’enseignement.

En ce qui concerne les tuteurs-rices, la
plupart ont été désignéEs de façon arbitraire
par le rectorat qui n’a pas pris en compte le refus
et le boycott de cette réforme par certainEs
enseignantEs qui avaient même signé
des pétitions l’année dernière pour officialiser
leur refus. Le rectorat et les IA-IPR (inspecteur
d’académie - inspecteur pédagogique régional)
sont même alléEs jusqu’à faire subir
certaines pressions sur des enseignantEs par
exemple en appelant directement chez elleseux
ou, comme c’est le cas d’un enseignant
d’arts plastiques qui s’est vu soumis au chantage
de perdre des heures d’enseignement
aux Beaux-Arts s’il persistait dans son refus.

En ce qui concerne les stagiaires, ce fut
une rentrée très difficile non seulement en
raison du nombre d’heures à effectuer qui
n’est en aucun cas révélateur du nombre
d’heures effectives (préparation des cours,
correction...) et aussi en raison des difficultés
à trouver des tuteurs-rices. De nombreux-ses
stagiaires se sont donc retrouvéEs seulEs face
à leurs classes sans savoir pour la plupart
comment faire cours. Des enseignantEs stagiaires
ont déjà démissionné, mais il est difficile
de connaître les chiffres exacts surtout
lorsqu’on est confrontéE à l’opacité d’un ministère
et d’un rectorat qui s’adonnent à une
pratique "schizophrénique" (cf l’intervention
médiatique de la rectrice Marie-Jeanne Philippe
faisant l’éloge de cette réforme) en occultant
à la fois le mécontentement de
nombreux-ses enseignantEs mais aussi les difficultés
auxquelles eux/elles-mêmes furent
confrontéEs pour trouver des tuteurs-rices.

En ce qui concerne les TZR, ils/elles
sont là pour remplacer le/la tuteur-rice et le/la
stagiaire. Officiellement, le/la TZR doit effectuer
9h de remplacement du/de la tuteur-rice
et 9h pour le /la stagiaire. Sauf que dans les
faits et dans la plupart des cas, aucun horaire
n’a été fixé. Dans les établissements où le/la
stagiaire n’avait pas encore de tuteur-rice,
le/la TZR a souvent tenu le rôle de tuteur-rice
en allant assister au cours, en aidant à monter
une séquence, en donnant des conseils pédagogiques...
sans pour autant toucher la prime de tutorat. Et finalement le rectorat, par ses
nombreuses pressions et chantages, a fini
par trouver des tuteurs-rice quitte à aller les
chercher dans des établissements éloignés
ou dans des matières différentes. Les remplacements
des TZR se sont alors effectués à la
hâte parfois du jour au lendemain. Il s’agit
d’une situation de remplacement inédite car
jusque-là les TZR étaient appeléEs pour remplacer
sur de longues durées en cas d’arrêt
maladie ou de congé maternité. Ils/ elles
avaient alors un délai de 48h avant de
prendre en charge les classes. Or, la nouveauté
c’est la flexibilité excessive que l’on demande
aux TZR censéEs être toujours prêtEs
à remplacer soit le/la tuteur-rice, soit le/la
stagiaire sur du court terme, une journée
par-ci, quelques heures par-là. Ce genre de
remplacement ne permet en aucun cas de
connaître les classes voire d’enseigner aux
élèves. En effet ces dernierEs, ce qui est tout
à fait légitime, peuvent avoir tendance à
considérer le /la TZR comme n’étant pas
leur « vraiE prof » car ils/elles ne l’auront que
quelques heures sans savoir quand exactement,
surtout quand les horaires sont arrangés
à l‘amiable entre le/la tuteur-rice, le/la
stagiaire et le/la TZR. D’où le sentiment de
certainEs TZR ayant plus l’impression de "fliquer"
que d’enseigner.

Cette situation est aussi difficile pour
les élèves qui, au cours de l’année, vont voir
défiler devant eux-elles au moins trois professeurEs
différentEs et qui seront obligéEs de
s’adapter à chaque fois à de nouvelles pratiques
d’enseignement.

Cette réforme touche également les étudiantEs
en master d’enseignement qui ont vu
les dates des concours être avancées au mois
de novembre (au lieu du mois de mars) mettant
ainsi de côté et désavantageant les étudiantEs
qui passent pour la première fois le
concours. De plus les étudiantEs, avant de
passer les oraux, devront faire une semaine
de remplacement lorsque le/la stagiaire sera
en formation. Cela se passera en fin d’année
lorsque les élèves seront le plus énervéEs
avec l’arrivée des vacances d’été, en quelque
sorte une espèce de "bizutage" avant
d’entrer dans le corps enseignant et qui aura
sûrement pour effet de dissuader un grand
nombre d’étudiantEs ayant choisi d’être enseignantE
et non pas policierE.

Cette réforme n’a pas pour vocation
d’améliorer l’enseignement public mais bien
au contraire de le saper dans une démarche
économique de rentabilité et aussi à long
terme de privatisation. La preuve en est les
16000 suppressions de postes de cette année
qui viennent se greffer aux 34400 depuis
trois ans. A cela s’ajoutent les démissions
des enseignantEs stagiaires qui jusque-là
étaient de 30% et qui risquent d’augmenter
de manière conséquente. Ces démissions seront
palliées par des contrats de remplacement
signés par des étudiantEs,
chômeurs-euses... bref des personnes déjà
précaires qui demeureront dans une situation
précaire en tant que contractuelLEs recrutéEs
par entretien avec le/la chefFE
d’établissement et n’ayant pas droit aux
congés payés.

L’école comme entreprise

Cette réforme s’inscrit dans une une politique
plus large de rentabilité économique.
Par une politique du chiffre, on assiste à la propagation
d’un discours qui jusque-là appartenait
au secteur de l’entreprise, le discours
"managérial". De plus en plus les chefFEs
d’établissements revêtent la casquette du/de
la chefFE d’entreprise qui exige de ses employéEs
de faire du chiffre enmatière d’évaluation
des élèves.

Dans l’académie de Lille, pousséEs par
les exigences de la rectrice qui considère que
les résultats de l’académie sont à la traîne par
rapport à la moyenne française, les chefFEs
d’établissements en arrivent à demander à certainEs
enseignantEs de rehausser leurs notes
sous peine de manquer de certaines subventions
ou d’obtenir moins d’heures pour mettre
en place des projets. Cette politique du chiffre
met donc les établissement en concurrence.
Chaque établissement se transforme insidieusement
en petite entreprise autonome soumise
au principe d’efficacité et de rentabilité
économique.

Le dernier né de cette politique s’appelle
le projet CLAIR (Collèges et Lycées pour l’Ambition,
l’Innovation et la Réussite). Encore restreint
à une centaine d’établissements, le
projet CLAIR permet entre autre aux chefs
d’établissement de "recruter les professeurs
sur profil" [1]. Cela signifie que les enseignantEs
seront nomméEs directement par
le/la chefFE d’établissement sans passer par
le mouvement des mutations qui par un jeu de
points (ancienneté, famille...) permettait une
certaine indépendance en matière de recrutement
vis-à-vis des directions administratives.
Autre mesure de ce dispositif : "Un préfet des
études est désigné pour chaque niveau.
Élément central de la cohérence des pratiques,
du respect des règles communes et de l’implication
des familles, il exerce une responsabilité
sur le plan pédagogique et éducatif" [2]. Avec la
création de ces "préfets" (le mot en tant que
tel étant assez évocateur), une hiérarchie
intermédiaire se crée entre les enseignantEs
et leur direction administrative. Les enseignantEs
"de base" devront donc non seulement
rendre des comptes au/à la chefFE
"suprême" qu’est le/la chef d’établissement
mais aussi à ces chefFEs intermédiaires que
sont ces "préfets" à la fois plus proches du terrain
et donc, vu leur fonction , plus prompts à
contrôler.

Autre dispositif soumis à cette logique
de rentabilité : le dispositif RAR (Réseau Ambition-
Réussite) mis en place en 2006 par le
ministre de l’époque, Gilles de Robien. Les
établissements RAR ont le droit d’avoir des
subventions supplémentaires pour, entre
autre, mettre en place des projets éducatifs et
pédagogiques. Or ces projets sont devenus
l’occasion pour les établissements de se parer
d’une belle image, d’une belle vitrine et ce en
vue de se "vendre" le mieux possible auprès
des parentEs d’élèves. De plus, une mise en
concurrence se crée entre les enseignantEs
dépositaires de projets car les budgets étant
de plus en plus restreints, seuls quelques projets
finissent par être choisis selon le bon vouloir
du/de la chefFE d’établissement en accord
avec le conseil général. Parallèlement dans les
médias comme dans les journaux La Voix du
Nord ou Nord éclair, on assiste à un véritable
éloge de ce type d’initiative : "Une boutique
du RC Lens ouvre au collège Langevin d’Avion",
"Au collège Van der Meersch, on parle excellence
et intégration", "L’éducation à l’éco-citoyenneté
au collège du Westhoek"...

L’école au service des lois du marché

Cette politique du chiffre a une double
conséquence : l’école se transforme progressivement
en entreprise et donc comme toute
entreprise, elle doit se conformer aux lois du
marché. L’école n’a plus la vocation d’être le marché. L’école n’a plus la vocation d’être le lieu
d’un apprentissage de connaissances et de savoirs.
Elle devient une usine à fabriquer de la
main-d’oeuvre peu qualifiée et corvéable. Elle
doit se conformer et répondre aux critères du
marché, d’autant plus en "temps de crise". Les
propos de la commissaire européenne à l’éducation,
Androulla Vassiliou, résument bien cette
soumission de l’école aux lois du marché :
"améliorer les compétences et l’accès à l’éducation
en se concentrant sur les besoins des marchés",
"aider l’Europe à engager la compétition
globalisée", "équiper les jeunes pour le marché
du travail d’aujourd’hui" et "répondre aux
conséquences de la crise économique" [3].

On ne parle plus en termes de savoirs mais
de compétences. D’ailleurs le "livret de
compétences"mis en place dans les collèges depuis
la rentrée 2010 en est un bel exemple. Les
élèves durant toute leur scolarité au collège sont
évaluéEs en fonction de sept piliers de
compétences (C1 : la maîtrise de la langue française,
C2 : la pratique d’une langue vivante
étrangère, C3 : la maîtrise des techniques
usuelles de l’information et de la communication...).
Soit une compétence est acquise soit elle
ne l’est pas, sachant qu’il n’y a pas de grille d’évaluation
intermédiaire. Ce genre d’évaluation
tend à mécaniser l’apprentissage car unE élève
étant par exemple capable de calculer certaines
mesures en 5ème ne le sera peut-être plus en
3ème par manque de pratique. Mais cela le livret
n’en tient pas compte car ce qui importe
c’est de cocher la case « acquis » sans considérer
la fluctuation et le changement qui s’effectuent
tout au long des années d’apprentissage car aucun
savoir n’est acquis d’emblée et il demande
toujours de la pratique sous peine d’être oublié.

Ce "livret de compétences" est tout à fait
en accord avec la liste des "compétences de
base" établie par La Commission européenne,
compétences que toutE travailleureuse - y compris les travailleureuses non qualifiéEs - est censéE au minimum détenir :"communication dans
la langue maternelle ; communication en
langues étrangères ; compétence mathématique
et compétences de base en sciences et
technologies ; compétence numérique ; apprendre
à apprendre ; compétences sociales et
civiques ; esprit d’initiative et d’entreprise ; sensibilité
et expression culturelles" [4]

Le système éducatif ne considère plus les
enfants en tant que telLEs mais comme de futurEs
travailleurs/euses qu’il devient inutile de
former en les sur-qualifiant car cela ne répond
pas aux besoins du marché du travail. L’OCDE
(Organisation de Coopération et de Développement
Économiques) reconnaît même cyniquement que "tous n’embrasseront pas une carrière
dans le dynamique secteur de la ‘nouvelle économie’"
 en fait, la plupart ne le feront pas-, de
sorte que les programmes scolaires ne peuvent
être conçus comme si tous devaient aller loin" [5]

Après EDF, la SNCF et France Télécom, la
politique ultra-libérale de l’État s’en prend
maintenant à l’éducation et cherche à la fois à
privatiser et à précariser ce secteur. Le but étant
de faire des économies et donc de soutirer de
l’argent à quelque chose qui n’est en soi ni économique
ni quantifiable.
(1) Luc Chatel, Le Monde, 28 août 2010.
(2) Bulletin officiel, circulaire n° 2010-096 du 7
juillet 2010.
(3) Androulla Vassiliou, My policy priorities, traduction
de l’auteur, http://ec.europa.eu.
(4)
(5)

Notes

[1Luc Chatel, Le Monde, 28 août 2010

[2Bulletin officiel, circulaire n° 2010-096 du 7 juillet 2010.

[3Androulla Vassiliou, My policy priorities, traduction
de l’auteur, http://ec.europa.eu

[4« Les compétences clés dans un
monde en mutation »,
Bruxelles, 25 novembre
2009.

[5OCDE, What future for or
school ?, Education Policy Analysis, Paris, 2001.