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Sale temps pour les femmes

mars 2003


Les grandes joutes électorales passées, la question de l’égalité des femmes et de la remise en cause du patriarcat, un temps exhibée avec la parité, semble doucement remise au placard par les grandes formations politiques. Et si la question des femmes émerge parfois au milieu de la logorrhée des grands médias, elle est détournée au profit de la gestion sécuritaire de la misère. Pleins feux sur la loi Sarkozy qui criminalise les prostitué-e-s, rideau sur les femmes d’Arcade en lutte contre leur esclavage. Du coup, la paysage s’obscurcit singulièrement sur le front antipatriarcal. Place à l’ordre moral ! Place à la casse sociale !

Quand Sarkozy s’occupe des femmes !

Dès avril 2001, le gouvernement Jospin avait évincé du Conseil supérieur de l’information sexuelle deux associations (la Coordination nationale pour le droit à l’avortement et la contraception ou Cadac, et l’association des parents et futurs parents gais et lesbiens) au profit des deux groupes catholiques intégristes.

Le gouvernement Raffarin, lui, n’a longtemps connu des femmes qu’un seul visage : celui de la prostituée, que la loi Sarkozy a érigé en nouvelle « chèvre-émissaire ». La réforme des allocations familiales, tout juste annoncée, se fera quant à elle au nom de la reprise de la natalité. Mère ou putain, la boucle est bouclée.

En choisissant de réprimer en priorité les victimes du système prostitutionnel - les prostitué-e-s, de préférences étrangér-e-s - le gouvernement fait d’une pierre trois coups :

  • C’est le retour à une mentalité d’institution religieuse : si ces femmes s’amendent en dénonçant leur proxénète (ce qui leur demande d’être en position de pouvoir le faire…), elles bénéficieront d’un titre de séjour.
  • En s’apitoyant officiellement sur leur situation, il justifie une offensive sécuritaire avec la Loi sur la sécurité intérieure. C’est aussi la mise en place légale de pratiques judiciaires rappelant celles concernant les repentis en Italie.
  • Il désigne de nouveaux boucs-émissaires : les réseaux mafieux sont forcément étrangers, leurs victimes en situation irrégulière…

Mais il oublie de rappeler que l’industrie du sexe n’a pas attendu les immigrés d’Europe de l’Est pour prospérer, ou que la prohibition des drogues et la fermeture des frontières ne sont pas de petites armes entre les mains du proxénète.

Sur le front des luttes

Cette irruption de la prostitution dans le champ politique a mis à jour des différences d’approche sévéres sur le front des luttes de femmes, divergences sensibles depuis l’apparition d’un débat sur l’encadrement par des mesures légales de la prostitution considérée comme un travail. Ceci afin d’améliorer les conditions de vie et de travail des prostitué-e-s. Les manifestations de prostitué-e-s contre la loi Sarkozy ont accentué l’acuité du débat.

Une revendication historique du féminisme, « Mon corps m’appartient ! », a ainsi donné des arguments pour la défense de la prostitution en tant qu’activité librement choisie et consentie. À tel point qu’on a pu voir paraitre en janvier dans Le Monde une pétition intitulée « Ni coupable ni victime ! Libre de se prostituer ». Ce texte était déjà signé de quelques dizaines d’écrivaines, artistes ou scientifiques aussi diverses que Christine Angot, Viviane Forrester, ou Irène Frain… Il prend la précaution, dans son préambule, de demander la lutte contre le phénomène mafieux et la prostitition forcée. Et il dénonce à la foix les lois Sarkozy et une gauche « se réclamant d’un féminisme sectaire », une gauche accusant les clients « d’être des violeurs légaux ».

Était-il besoin de caricaturer ainsi les positions abolitionnistes pour défendre les prostitué-e-s ? Fallait-il absoudre les clients (dans une quasi-totalité des hommes) d’une industrie qui se nourrit du corps des femmes ? Les sex center fleurissant dans les pays où les « travailleuses du sexe » bénéficient d’un statut légal regorgent-ils moins de femmes dans une extrême précarité ? Il est permis d’en douter. Il est aussi permis de se demander s’il est bien raisonnable de lâcher prise sur la question du refus de la marchandisation des corps à l’heure où la globalisation capitaliste consacre le règne de la marchandise. Mon corps m’appartient, et il n’est pas à vendre !

Reste l’initiative « Ni pute ni soumise ! » Et le traitement médiatique qui lui est réservé. Pour une fois qu’apparaissait publiquement un discours dénonçant les violences faites aux femmes et les humiliations dans leur vie quotidienne, il fallait bien que cette marche soit récupérée au profit de la logique sécuritaire et ségrégationniste : les violences faites aux femmes, réduites aux viols collectifs et dénommés « tournantes » dans la novlangue journalistique, ne se feraient qu’en banlieue, au sein de populations maghrébines et de religion musulmane… Alors que les dernières études en matière de violence faite aux femmes ont démontré le caractère à la fois universel et multiforme de ce phénomène. C’est ainsi que les couples étudiants sont des populations où ces violences sont les plus fréquentes. Un film comme Magdalene sisters nous rappelle opportunément le traitement réservé aux filles dans les sociétés occidentales traditionnelles (et pas seulement en Irlande), cette époque pas vraimant résolue où fille-mères, filles libres ou filles violées étaient enfermées dans des bagnes catholiques par leur famille.

Patriarcapitalisme !

En annonçant sa réforme des allocations familiales, le gouvernement a prétendu libérer les femmes en instituant une sorte de « chèque-garde d’enfant » que paieraient à leurs salariées les entreprises qui le souhaiteraient.

Les allocations familiales, créées sous Pétain, ont toujours été un instrument privilégié de politique nataliste et patriarcale. En renouant avec le bon vieux paternalisme patronal, on nous présente comme un progrès des mesures libérales.

Reste que les femmes au travail n’ont jamais autant souffert de la précarité qu’à l’heure actuelle. Cibles privilégiées du travail à temps partiel non choisi, reléguées dans le bas de l’échelle des salaires, dans des emplois relevant massivement d’une certaine domesticité sociale (services aux personnes)…

Les femmes de ménage de l’entreprise hôtelière Arcade ont mené avec courage et détermination une grève d’un an contre le paroxysme de l’exploitation conjointe du patriarcat et du capitalisme, dont elles sont victimes.

Et la vague actuelle de plans sociaux ne risque pas d’arranger la situation. Selon une étude du ministère du travail publiée en janvier, seulement 52 % des femmes (pour 68 % des hommes) inscrites dans les cellules de reclassement ont retrouvé une activité. Et seules 25 % d’entres elles ont trouvé un contat à durée indéterminée.

Pas besoin des talibans pour renvoyer les femmes au foyer !

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