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Perspectives de lutte

vendredi 14 avril 2000


Ce texte de travail avait été préparé pour une réunion publique du Collectif antipatriarcal de Lille, au Centre Culturel Libertaire Benoît Broutchoux, vers avril 2000.

Introduction

La tendance actuelle des luttes « pour » les femmes (et non forcément des luttes féministes) est de s’attacher plus à l’apparence qu’au fond. Même si le sexisme est probable lorsqu’il y a une différence dans les rapports d’égalité ou d’inégalité entre individus de même sexe et individus de sexe différents, c’est en jouant sur les quotas ou sur les statistiques, et en essayant de faire varier les chiffres de l’inégalité que l’on se cache qu’il ne s’agit que d’indicateurs d’inégalité et non d’indicateurs de causes. Cette lutte partielle, parfois utile, est surtout une facilité offerte aux politiques et aux associations pour offrir des résultats positifs sur le travail ou la lutte entreprise, sans réelle évaluation sur la réalité des changements.

La participation / intégration des femmes au système, qu’il soit économique ou politique, constitue l’une des voies engagées ou réaffirmées ces dernières années. Pour nous, une évolution, même positive, dans ces domaines n’est pas forcément une avancée. Elle peut même être une illusion, un facteur de démobilisation qui profitera à la réaction patriarcale.

Toutes aux urnes

Utiliser l’exemple du suffrage pour accompagner les discours sur l’inégalité des sexes et particulariser la domination masculine, çà ne date pas d’aujourd’hui mais c’est très intéressant.

Ainsi, jusqu’en 1991, le canton d’Appenzell, en Suisse, était raillé pour son refus de la part des électeurs hommes d’élargir le corps électoral aux femmes. Les autres cantons avaient commencer à l’accepter depuis 1971. Il y eu beaucoup de commentaires, souvent à la limite du racisme, pour condamner l’Appenzell. Comme si le racisme pouvait combattre le machisme et le sexisme et préserver la composante féminine de cette population. Au lieu de cela, il aurait fallu s’interroger sur la réalité de nos sociétés ; d’observer ses propres voisins, ses proches sa famille et soi-même, même femme. En effet, comme la suppression de la peine de mort, comme l’ouverture en faveur de la contraception et de l’avortement, l’élargissement aux femmes du droit de vote a souvent été le fait d’une décision politique de la part des gouvernements ou des parlements en avance sur l’accord des opinions. Dans notre cas, l’accord final des Appenzellois ne signifie pas que 50 % d’entre eux ont rejeté le patriarcat, encore moins 100 % ni même la totalité des Appenzelloises. A contrario, le droit de vote des femmes en France ou en Belgique, par exemple, ne signifie pas que tous l’approuvent, et si cette approbation s’élargit régulièrement, c’est aussi que les enjeux se déplacent sur d’autres symboles.

Le meilleur exemple complémentaire est de rappeler que certains États d’Amérique du Nord ont autorisé le vote des femmes par référendum dès les années 1880. Il n’est dans le souvenir de personne que ce se soit accompagné d’une amélioration substantielle de la condition spécifique des femmes (ou des noirs) de ces États. Faut-il aller plus loin et pour pallier ce défaut mettre en place une véritable « parité » politique ?

La parité dernier obstacle ?

Certaines et certains sont tenté-e-s de faire bouger la société par en haut. Sur le principe nous sommes très réservé-e-s, dans les faits nous parlerons de manipulation et de manœuvre.

En effet, l’ampleur de la pression médiatique et politique sur la parité élective a placé les opposants de principe ou d’opportunité en situation délicate. La marge de manœuvre pour refuser le débat et surtout pour s’opposer à ce projet a été bien mince. Toutefois, il ne faut pas en conclure que l’enthousiasme avec lequel cette revendication a été acceptée sera suivi d’une rupture de société, que le patriarcat va s’écrouler. On peut juste admettre qu’il peut être un peu plus remis en cause, mais on risque d’assister à une « victoire à la Pyrrhus » du féminisme. Une victoire de façade cachant un recul de l’acceptation des revendications égalitaires dans l’opinion et le risque d’intérioriser encore plus, pour beaucoup, que les femmes prennent la « place des hommes ». Le travail de fond sur les mentalités en devient plus ardu.

Cette victoire « paritaire » n’est pas une victoire de l’égalité, mais est celle de clans politiciens qui ont utilisé un argument porteur comme alibi à leurs manœuvres de prises de pouvoir. Ainsi, la gauche, et notamment le Parti socialiste s’assure une prolongation de sa place au soleil et tente de survivre le plus possible à l’usure du pouvoir en exacerbant encore plus les contradictions internes à la droite. Celles-ci ce retrouvent doublement, et par le débat sur la place de la femme dans la société, et par l’incapacité moindre à recruter des militantes féminines solides. Les « non-élus » du combat pour être présentés devant les électeurs sont sensés envenimer les structures locales et nationales des partis de droite et faire éclater diverses alliances ou sections locales. Semer la zizanie chez la base de la droite lors de l’établissement des listes de candidats vaut bien le risque de quelques grincements de dents dans ses propres rangs ; ingénument, un secrétaire national socialiste remarque : « Nous ne l’avions pas imaginé en votant la loi, nous le découvrons aujourd’hui. La parité complique le renouvellement des listes de droite [1]. ». Pour le PC, l’avantage se double d’un nettoyage interne. À défaut d’être huiste, l’ancien parti du prolétariat doit devenir celui des nouveaux prolétaires : les femmes et les jeunes. Donc, exit les archéos : place à la double parité femme et jeune et vive le premier parti moderne de France.

Dans la même veine politicienne, rappelons le débat et les dégâts autour de la loi française sur la limitation du cumul des mandats. La comparaison avec d’autres pays européens montre une différence de culture entre le Nord et le Sud de l’Union européenne. Alors que les pays du Nord rationnent peu ou pas le cumul, les hommes politiques ne l’utilisent pas, au contraire ceux du Sud tendent à devenir plus pointilleux face à des élus qui s’y cabrent sur leur cumul de pouvoirs. Il y là aussi une démonstration de l’importance de l’état d’esprit des gens. Une législation n’est souvent qu’une forme d’échec avant d’être une volonté de réforme ou de révolution.

Changer de civilisation

Plus que le changement de lois, c’est le changement de mentalités qui compte ; Le racisme n’est pas disparu malgré les lois. Le sexisme ne disparaitra pas plus si seule la loi change. Seule l’éradication du patriarcat de la société pourra faire disparaitre ce que l’apparence de la « bonne » loi, de la « bonne » justice et du « bon » discours cache : la réalité du sexisme, du racisme, du militarisme, de l’oppression. Pour prendre un autre exemple : une victoire ne serait pas de supprimer les violeurs, mais de supprimer le viol. Pour détruire le consensus patriarcal, changer les structures est un progrès à court terme si l’on ne change pas non plus les individus. C’est cela qui est appelé : « changement de civilisation » et qui se démarque d’un simple changement de pouvoir.

En dehors du débat sur la délégation de pouvoir et la représentation parlementaire, user de la Loi est inutile si parallèlement, chaque structure, chaque organisation reproduit, recrée cette inégalité. Ainsi pour un débat sur l’éducation, en mars 1999, Libération a invité huit participants pour représenter un milieu majoritairement féminin… huit hommes. Il s’agit de quelque chose de plus fort que la loi : un consensus, « la » culture. Il n’est pas sûr qu’une discrimination positive suffise. En effet, l’avant-gardisme (?) des élites ne doit pas masquer la réalité de nos cultures. L’égalité instituée par les discours ou les textes législatifs et réglementaires ne doit pas voiler le refus de cette égalité par l’opinion, par la conscience collective et par les faits. La difficulté est de trouver le mécanisme qui sera capable de faire basculer le consensus actuel sur la domination masculine (l’ « usurpation » comme l’a nommé Olympe de Gouges), sur notre culture patriarcale « molle », vers une acceptation et même une volonté d’égalité.

Se battre pour un changement de culture, de civilisation, peut seul aboutir à l’égalité économique, politique et sociale et sexuelle. Faire disparaître le patriarcat est une obligation incontournable pour supprimer le sexisme, l’homo et la lesbophobie, l’exploitation des classes de sexe et d’âge, le culte du chef, la soumission à autrui. Encore ces derniers aspects ne sont-ils que le désir des libertaires. Ce changement de culture ne peut ce faire que de l’intérieur. Un changement de civilisation doit être librement consenti pour réussir, d’où l’ambiguïté de la loi qui elle s’impose à toutes et tous (théoriquement).

Perspectives

Lister les moyens de lutte :

 Éducation
— Dès la conception, il faut éviter et dénoncer les pièges, les habitudes, les inerties inculquées par le patriarcat.
— Dénoncer l’éducation « genrée » aussi bien celle des institutions que celle de nos familles, amis, voisins.
— Refuser les jouets et jeux séparatistes.
— Éradiquer la violence masculine, seule voie vers l’éradication de la violence sur l’autre. Éviter la reproduction de celle-ci.
— Développer la prise de conscience de tout un chacun et notamment des femmes. Lutter contre la culpabilisation. Créer par exemple des espaces de prise de conscience, éventuellement des espaces féminins (?) en dehors de nos milieux militants, mais aussi des espaces de discussion.
— Aider chacun-e à combattre ses automatismes lorsqu’ils correspondent à des soumissions ou des oppressions et dominations. Aider donc à gérer et reconnaitre ses émotions.
— Créer des groupes d’hommes.
— Inculquer l’égalité des identités quelques soient les différences : sexuelles, ethniques, physiques, intellectuelles, d’orientations sexuelles ou de modes de vie.
— Aider les jeunes à se construire une identité autonome et égalitaire. De même aider les adultes à s’en reconstruire une.
— Enseigner l’autogestion des luttes notamment chez les non-militantes.
— Convaincre les institutions à participer et se convaincre à harceler celles-ci dans ce but. En même tant se garer de l’institutionnalisation des luttes (ministère de l’antipatriarcat ou conseil national d’observation des phénomènes patriarcaux).

 Action directe
— Il faut passer du concept « du passé faisons table rase » au concept « du patriarcat faisons le passé ». En cela, le nettoyage des jargons (voir l’exemple de l’expression juridique « gérer en bon père de famille ») est l’une des tâches utiles, si ce n’est nécessaire. Il faut toutefois aussi joindre le « le geste à la parole » et donc éliminer les réflexes intériorisés qui peuvent être liés si l’on veut éviter la déviation en novlangue.
— Interpeller et faire réfléchir les gens, l’effet destructeur d’une remise en cause doit être compensé par un effet constructif ou un bien-être supérieur.
— Grèves de femmes.
— Marches de nuit.
— Détournement publicitaire et médiatique (affiches publicitaires, Unes de journaux…)
— Réagir autant contre les propos sexistes ou homophobes que contre les propos racistes.

Conclusion

Les luttes partielles sont en elles-mêmes insuffisantes si elles n’entrent pas dans une globalisation des luttes. On l’a bien vu, en France, après les mouvements des années 70. Cette globalisation doit mener à combattre pour une société non patriarcale et libertaire. Le danger qui menace cette lutte libertarisée, c’est le refus de la mise en cause des pouvoirs. Remettre en cause la domination masculine, par exemple, c’est aborder la question du pouvoir lui-même. La réaction de la « gauche » autoritaire est certaine car si les libertaires ne font pas peur, leurs idées ne doivent pas passer dans la société : « Il ne faut pas aller trop loin. » Les mouvements politiques traditionnels gardent et diffusent la vision « religieuse », eschatologique, de la bonne cheffe et du bon chef potentiel promis par le hasard démocratique, vision aussi omniprésente que la culture patriarcale. On peut même se demander si elle n’en est pas un avatar comme le patriarcat est lui-même un avatar du « pouvoir ». C’est à nous de savoir tenir la route et ne pas servir que de chair à canon pour de nouvelles maitres.

Notes

[1Le Pli (lettre politique confidentielle), n° 625 (4 avril 2000). Dans la même brève, Éric Raoult confirme : « Dans certaines villes, des conseillers sortants devront ainsi céder la place à leurs épouses. ». L’alternance hommes/femmes pour choisir les adjoints et les fusions de listes du second tour posent des problèmes d’organisation.