On ne peut plus monter dans le train (pardon, "dans TGV") Paris-Lille sans billet, même avec l’intention de faire faire son billet à bord. Pas assez de contrôleurs dans le train, m’explique-t-on au barrage sur le quai. Barrage qui occupe 5 personnes, dont 3 schmidts de la ferroviaire. Il faut donc courir pour acheter le précieux sésame. Si on n’a pas sa carte bleue, on est bon pour faire la queue au guichet. Et là c’est interminable, faute de personnel bien sûr : les machines se multiplient, et tant pis pour les mamies, les étranger-e-s, les sans-carte-de-crédit et autres inaptes à la société technologique.
Pour les promos c’est pareil : quand on demande à G. Pépy, directeur général de la SNCF, pourquoi les prix augmentent tant alors que le service est de plus en plus merdique, il répond (à côté de la question, bien sûr) que "la possibilité de bénéficier de billets à prix réduits n’a jamais été aussi grande." Là encore, au trou les ceusses qu’ont pas internet, puisque c’est en ligne que les méga-promos nous attendent. Alors comment ça marche les Prem’s, S’miles, idTGV et Cie ? Faut-il acheter son billet le plus tôt, le plus tard possible ? Ni l’un ni l’autre, il faut surveiller les tarifs heure par heure, prêt-e à dégainer sa carte bleue. Ça s’appelle le Yield Management [1] : les spécialistes marketing de la SNCF, sur le modèle des compagnies aériennes, décident par exemple que 50% des places d’un train doivent être réservées un mois à l’avance. On baisse les prix si l’objectif n’est pas atteint, on les augmente s’il est atteint, on réévalue régulièrement. Résultats : les tarifs imprévisibles nous font tourner en bourrique, sauf aux périodes de grands départs où les tarifs explosent systématiquement. A quand les billets aux enchères sur internet ? Le but de ces manoeuvres : maximiser le rapport entre remplissage des trains et pognon encaissé, comme une vraie boîte privée.
Et le service public dans tout ça ?
Voilà bien longtemps qu’il est passé à la trappe. Les billets de train ont toujours été plus chers aux heures de pointe et les week-ends de grands départs, c’est-à-dire quand plus de voyageurs ont besoin de circuler. L’information sur les tarifs, vous l’aurez compris, est à peu près nulle, etc. Du coup, malgré le prix du carburant, du péage, du stationnement, l’aller-retour Paris-Lille à deux coûte moins cher en bagnole qu’en train, au grand bénéfice du lobby routier, qui n’a pourtant jamais eu besoin du soutien de la SNCF. Depuis que je n’ai plus droit à la carte 12-25, je fais du stop.
A la Poste, heureusement les tarifs ne changent pas tous les jours, mais la pagaille est la même. On sait que les bureaux ferment à la campagne, que les horaires d’ouverture sont raccourcis, que des offres comme le colis économique vers la France ou l’Europe n’existent plus, que l’usager-e (désolé, le "client" j’y arrive pas) doit insister pour utiliser les tarifs les moins élevés. Dans le même temps, des faux clients viennent vérifier que les guichetier-e-s essaient de fourguer au quidam des produits à forte marge bénéficiaire. Plutôt que d’embaucher des guichetier-e-s, on préfère mettre des télés pour mieux abrutir une attente, toujours aussi longue, mais triée par les machines à ticket sous l’oeil bienveillant de nombreuses caméras de vidéosurveillance. Carte pro : 5 minutes d’attente ; retrait de recommandé ou mandat cash : 30 minutes. Si on ne regarde pas les écrans, on réfléchit en poireautant : la machine à tickets - avec la télé - pacifie l’attente (on ne peut plus s’en prendre aux guichetier-e-s ou au manque de personnel, c’est la faute à la machine) et elle permet de faire de la statistique, c’est-à-dire supprimer du personnel aux heures où il y a moins d’usager-e-s (sans en ajouter quand il y en a plus, faut pas déconner !).
A la Poste comme à la SNCF, la privatisation est en ligne de mire dans le cadre de l’ouverture à la concurrence européenne. On se sépare des activités non rentables (notamment en les fourguant à l’Etat, comme le Réseau Ferré de France, déficitaire) ou on les sabote, on scinde l’entreprise en plusieurs branches (souvenez-vous des PTT), on multiplie les filiales de droit privé (idTGV la boîte de nuità roulettes pour séduire une clientèle branchée–friquée), on externalise des services (l’accueil dans la gares, le site voyages-sncf.com, l’entretien du réseau dont les ruptures de cateners de cet été sont la conséquence), on ouvre le capital (La Banque Postale en 2006, La Poste tout court bientôt) et on s’attaque aux "privilèges" des salarié-e-s (multiplication des CDD et acharnement anti-syndical à La Poste), stratégies commerciales agressives où on multiplie et personnalise les produits pour qu’ils deviennent nos petits copains (à La Poste : colissimo, cityssimo, affranchigo, e-como, bagoo, montimbramoi...).
Alors, c’est quand qu’on arrête de nous prendre pour des débiles ? Faudra-t-il que des hordes d’affamé-e-s en haillons envahissent les trains et attaquent les diligences ? A quand la révolte des facteurs, des contrôleuses, des chefs de gare, des Micheline ? On se demande bien, car le plus étonnant c’est de constater à quel point les employé-e-s de ces services de moins en moins publics sont conscient-e-s de la démolition patiente et systématique de leur mission – et pourtant illes sont bien peu à manifester leur ras-le-bol dans la rue lors des journées de grève. Va falloir que les usager-e-s s’en mêlent...